Messi, le petit homme agile qui tient ses promesses

La presse a déversé des torrents d’éloges sur un petit bonhomme génial qui, lui, tient ses promesses : Lionel Messi. J’avais écrit un texte sur lui il y a déjà quelques mois. Je ne résiste pas ce soir à l’envie de vous le proposer car il me plaît et c’est bien là l’essentiel !

La télévision va finir par tuer le football français. En ouvrant les petits écrans de l’Hexagone sur les fastes des confrontations entre les « chevaliers » de la balle ronde partant à la conquête du Graal européen, on finira par ne plus avoir aucun rêve autour d’un splendide Bordeaux-Arles Avignon, un alléchant Sochaux-Caen ou un terrible Brest-Nancy ! Épouvantable comparaison que celle qui conduit à déguster des grands crus classés, pour ensuite tendre son verre à passions footballistiques vers un tonneau de piquette sans aucune consistance. Il faudrait ne pas avoir de telles apparitions, pour se contenter d’une affreuse bouillie que tente de nous vendre Canal + par la surexploitation des ralentis d’actions présentées comme des pépites, alors qu’elles n’ont pas plus de valeur que du plaqué or !
Comment s’enthousiasmer pour les tribulations des chevaux de labour français, quand ailleurs ce ne sont que virevoltes de chevaux légers ? Comment ne pas préférer un bon canapé face à un Barça-Real, à une place inconfortable dans un stade qui attend la fin des hostilités avec tristesse ? Comment ne pas s’enthousiasmer pour la qualité du jeu, quand ailleurs on exulte sur un résultat ?
Le seul fait de ne pas être un supporteur, mais simplement un spectateur, rend le plaisir plus intense, surtout quand des lutins aux pieds agiles cherchent seulement à tracer des arabesques sur un tapis vert damassé. Le véritable bonheur repose sur le non engagement partisan, sur la pureté des gestes et des combinaisons. Les duels prennent alors leur véritable dimension, celle d’un jeu dans lequel l’instantanéité des réactions transforme l’ordinaire en exploit. Jouer comme un pied de Lionel Messi ne constitue pas une insulte mais un régal.
Ce petit bonhomme, à l’allure de Dustin Hoffman, ressemble justement à Raymond Babbitt faisant trembler tous les tapis verts des casinos du ballon rond. Il l’emporte à tous les coups à la « roulette » argentine, il répond avec une promptitude diabolique à toutes les situations, et il utilise des cartes imprévisibles, comme un joueur de poker tentant systématiquement le plus osé.
Ce Tom Pouce fait la nique aux géants aux pieds qu’ils pensaient agiles, se moquant dans ses chevauchées aux pas étriqués d’une chinoise en robe traditionnelle. Messi tisse sa toile avec une vivacité réelle, mais non perceptible, quand on le voit s’insinuer entre les cerbères ayant en charge sa garde rapprochée. Il se faufile en tripotant avec une fréquence ressemblant à un message en morse parmi tous les obstacles pour, à la fin de l’envol, toucher le but. Il respire le plaisir dans toutes ses foucades d’enfant gâté par la nature, jouant au passe muraille. Il est passé par ici. Il repassera par là, le furet malin. La tête légèrement enfoncée dans les épaules, court sur pattes, il fait la nique à la pesanteur, pour filer vers le seul bonheur qui lui convienne, celui qu’il ne se lasse pas d’éprouver en crucifiant un adversaire impuissant face à tant d’audace.
Alchimiste transformant le plomb des semelles ordinaires pour les uns, en or pour les balles dont les siennes ont la charge, Lionel Messi témoigne d’un appétit insatiable. Il cherche absolument chaque coin ou recoin libre, pour donner une vie magique à ce qu’il reçoit. À tel point qu’il agace singulièrement les malotrus qu’il croise dans ses déplacements de moineau, cherchant à grappiller des miettes de gloire. Dans le fond, le reste importe peu… on attend que les hasards du jeu fassent sortir le génie de la lampe triste dans laquelle des cerbères sont chargés de l’enfermer à vie. Fauché dans des gerbes d’eau dès qu’il tente une escapade gourmande, bousculé dès qu’il touche ce ballon, objet naturel de ses désirs, détesté dès que sa facilité ridiculise ses adversaires, le « Messi » adore les statuts de martyr. Il lui donne des allures d’ange dans un monde de brutes, ce qui va bien à son image.
L’Argentin adore danser le tango au milieu des loups. Il ne parvient pas toujours à s’en dépêtrer, et son bonheur de jouer se laisse dévorer par l’agressivité ambiante. Peu importe, il repart sans cesse au combat avec bravoure et panache, tentant de passer, là où une souris n’oserait pas s’aventurer. Barcelone, d’ailleurs, adopte vite le style de son feu follet courtaud, en jouant justement au chat… et à la souris, avec ses adversaires.
Nulle part ailleurs on ne prend autant de plaisir en suivant le Rainman de ce ballon qui ne tourne parfois plus très rond. Je rêve de le voir, non écrasé par les objectifs des caméras, dans ce volcan crachant la lave de la passion qu’est le Camp Nou. Ce « trotteur » de charme, qui filoche en se dandinant avec une agilité plus grande que l’ombre des autres, même s’il n’a pas franchi la ligne blanche du paradis de la marelle du football, réconcilie avec le plaisir. Simple, spontané, pugnace, intenable, déroutant, il garde une fraîcheur d’esprit qui fait oublier que le football n’est plus qu’un jeu du cirque médiatique pour gladiateurs milliardaires.

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