Si l’on reconnaît une autorité morale à quelqu’un en France, c’est bien à Robert Badinter qui mena un des combats les plus exigeants au profit de l’Homme. Celui qui n’a jamais renoncé à des valeurs issues de son parcours personnel mériterait largement plus que l’audience que lui accordent des médias boudant les fortes personnalités, peu prêtes à sombrer dans la facilité. Certes, on trouvera toujours matière, à droite, à tenter de discréditer une conscience morale dans notre société, avide de sensationnel mais de plus en plus rarement capable de raisonnements construits. Connaissant parfaitement le sens des mots, il les a sans cesse utilisés pour convaincre, et donc, désormais délesté de tout mandat électif, il reprend sa liberté de parole. Et ça fait mal !
L’ancien ministre socialiste de la Justice a dénoncé, lors d’une conférence de presse un « concours Lépine de la compassion » et une « exploitation cynique » des chiffres de la délinquance. Il reproche au chef de l’État d’avoir masqué « sa politique répressive « sous les traits de la compassion », afin « d’accabler la gauche », censée faire preuve de laxisme et d’angélisme. Au chapitre des « mystifications » et du « charlatanisme », Robert Badinter s’est élevé contre la présentation d’un chiffre unique et global de la délinquance, tout en reconnaissant que cette pratique existait aussi sous la gauche. Une honnêteté qui donne encore plus de poids à ses accusations. La grande qualité de Badinter c’est justement de n’épargner personne sans, comme l’a fait son confrère Roland Dumas, trahir ceux qu’il a accompagnés dans sa vie publique.
Selon lui, réunir des formes distinctes de délinquance sous une « étiquette unique » pour dire que la délinquance a reculé ou augmenté n’a aucun sens. « On ne dit pas la maladie a reculé », a-t-il synthétisé en parlant des affirmations des guérisseurs d’un mal qui ronge l’opinion publique et dont on se sert pour faire et défaire une élection présidentielle.
Robert Badinter s’est élevé en particulier contre le recours par le gouvernement à la notion de « victimes épargnées », ironisant sur une « armée fantôme » de victimes qui n’ont d’existence « que comptable. » En effet, cette notion absurde viserait par exemple à annoncer combien, sur les routes chaque jour, d’accidents ne se…sont pas produits ! « Au moins permettent-elles à l’actuel ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, de se targuer d’une baisse de 500.000 victimes par an. D’où sortent ces victimes épargnées ? Il n’a à aucun moment expliqué comment il arrivait à ce chiffre, sinon en le liant à 17% de baisse de la « délinquance » depuis 2002, a-t-il expliqué avec le ton des procureurs, certains de leur fait. .
Sénateur respecté et écouté, celui qui a plaidé à la tribune de l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort, a dénoncé l’inflation législative, et notamment cette faculté gouvernementale de répondre aux plus sordides faits divers par une loi. Le Chef de l’État français commence par inviter les proches à l’Élysée avant, ensuite, de faire préparer une loi aussi inutile que circonstancielle. C’est désormais un rituel dont on sait combien il entretient l’illusion dans les chaumières où l’on a les yeux rivés sur les apparences.
Le Parti socialiste a, la semaine dernière, dénoncé cette pratique, remise au goût du jour par le récent meurtre d’Agnès. « Pareille inflation législative est en soi un mal. Trop de lois dégradent la Loi, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, a dénoncé Rober Badinter. Mais peu importe la qualité législative. Ce qui compte, c’est l’effet d’annonce, la portée médiatique du texte et le bénéfice politique escompté. » Il aurait pu ajouter que c’est dans tous les domaines pareil. Il a cassé la justice, et la police comme il le fait pour tous les services publics. Il a surtout vanté et développé la pire des cultures, dans tous les secteurs où agissent des fonctionnaires : la culture du chiffre, propre au monde du profit libéral. Il faut quantifier toutes les actions, et l’on est récompensé quand le résultat est, à n’importe quel prix, en progression. On appelle maintenant cela dans les collèges ou les lycées, par exemple, un « contrat d’objectif ! ». il est devenu essentiel de mériter sa promotion par un résultat chiffré.
Ce système pervertit en définitive tout ce qui ne « produit » pas. La prévention et l’éducation n’appartiennent plus aux préoccupations actuelles. Elles ont été méthodiquement déstructurées, afin de donner l’impression que l’efficacité naissait d’une action désordonnée, spectaculaire, médiatisable. Les dégâts sont considérables dans tous les secteurs de la vie collective, mais comme le voudrait un dicton populaire cynique : « seul le résultat compte ». Et justement, pour Robert Badinter, le bilan, le résultat est terrible : « En dépit de toutes les habiletés statistiques, la réalité s’est faite jour. Il s’agit bien d’un échec ». Il aurait pu ajouter, comme pour l’économie, l’emploi, le pouvoir d’achat ou la place de la France. Mais il laisse à d’autres le soin de la clamer haut et fort, comme le feraient des résistants, des vrais, ceux qui font passer les valeurs avant toute autre considération. Et ils deviennent rares. Pourvu que Badinter soit souvent sur le devant de la scène.
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Une citation de’Albert Camus:
« La fin justifie les moyens ?
Cela est possible. Mais qui justifie la fin ?
À cette question, que la pensée historique laisse pendante,
la révolte répond : les moyens »
Evidemment qu’il est important de noter le disfonctionnement des différents pôles de la nation.
Sans oublier les caractères particuliers broyés par un tel système.
Broyés, ce qui est grave pour chacun, et donc mal « utilisés » ce qui est une perte pour le bien-être de tous.
Ne pas savoir reconnaître, depuis l’école, les capacités des individus mène forcement la communauté à la régression.
Comme une famille incapable de déceler dans le petit dernier un talent menant à l’excellence .
Le » libéralisme » que nous combattons au titre de la protection sociale n’a au fond de libéral que la légèreté avec laquelle nous le qualifions.
Pour être plus précis, ce « libéralisme » là s’apparenterai plus évidemment à du totalitarisme.
Le mot liberté en étant la racine, une vrai liberté s’accommoderai mieux d’une recherche des talents et d’une mise en valeur des capacités inexploitées de chacun des membres de la communauté.
Au lieu de ce grand nivelage par le bas.
Mais enfin, pour exemple, qu’est-ce qu’en a à foutre l’entreprise Bouygues de déceler un architecte talentueux et français, quand il s’agit de reconstruire pour la quatre vingt douzième fois une barre d’immeuble de bureaux au Liban ou en Irak ?
Ce dont elle a besoin, c’est de résultat. Quelques bombardements efficaces suivis d’une myriade de camions toupie à bétonner.
Qu’importe aujourd’hui aux mecs assis devant les ordinateurs boursiers que le travail du maçon soit réalisé avec l’amour du métier transpirant à chaque geste ?
Qu’est-ce qu’un compagnon du devoir, maçon, charpentier ou pâtissier peut bien apporter à des structures vouées à la décrépitude rapide ?
Décrépitude organisée par avance pour stimuler les marchés. Votre ordinateur est déjà trop vieux le jour où vous l’achetez !
J’ai souvenir d’un ami maître verrier à qui l’on avait confié la restauration d’un vitrail d’église du 12° siècle.
Le mec des bâtiments de France arrive et, ayant à peine dit bonjour, dit au maître: « vous pensez en avoir pour longtemps? »
La suite serait amusante à raconter, coup de poing sur le nez, si cette histoire n’était pas si triste.
Voilà notre vie, comptée, mesurée, temporisée, au détriment du plaisir, de la valeur acquise le tout au profit de la valeur ajoutée.
Le premier qui soutiendra devant moi que la taxe sur la valeur ajoutée peut-être sociale…
c’est simple je lui fait bouffer sa montre !
La seule taxe qui soit sociale, c’est le temps que nous prendrons peut-être un jour pour mettre en valeur les qualités et les capacités de chaque membre de notre tribu. Et s’intéresser enfin au bien fondé d’une productivité ne servant qu’à fabriquer du surplus jetable et des famines cotés en bourse.
A moins que liberté ne veuille dire, ce que je ne savais pas, la possibilité de traverser la cuisine de mon voisin pour aller lui imposer de force le choix de ses yaourts, pour ensuite passer dans sa chambre pour lui apprendre le bonheur de se lever à l’heure pour aller à l’usine pendant cent trente ans, et pour finir par lui enlever son gosse pour le foutre en prison parce qu’il me jette au visage les dits yaourts, le libéralisme actuel est un délit d’identité.
Je propose donc en lieu et place du mot « libéral » que je souhaite conserver intact pour l’avenir de mes enfants, le mot « alibéralisme ».
Ce qui nous donnera :
« L’alibéralisme actuel est une aberration,
un déni sytématique de la liberté individuelle du citoyen,
au profit d’une bande de voyous »
Mr Badinter fait parti de ces « grands personnages » (comme Simone Veil) que l’État Français a su parfois abriter en son sein.
Combien sont-ils aujourd’hui, tous Partis confondus, à se hisser à ce niveau-là ???
Hélas, je n’en vois guère… Trop de compromissions, trop d’intérêts personnels, trop de marchandages et autres petits arrangements entre « amis »… Ou est la véracité profonde d’une conviction inébranlable, la Foi en un avenir commun, le vrai Projet pour un pays, le nôtre, qui se délite à force de ne plus croire ???
Ni à l’UMP, ni au PS…..
La dictature des chiffres – au détriment du « bon sens »