Morte au champ d'horreur de l'indifférence

La scène se déroule en Chine, dans une ruelle commerçante. Une camionnette écrase une petite fille mais repart sans que le conducteur ne s’inquiéte pour elle. Puis un camion écrase la fillette et repart aussitôt après. Cette horrible réalité quotidienne de la vie dans le monde parait éloignée de notre société, mais il faut absolument se persuader que nous nous en approchons très souvent, sans poursuivre le même émoi médiatique. L’indifférence frappe à nos portes quotidiennement, et nous donne bonne conscience en allant s’installer ailleurs. Pas un jour en France, où de manière moins spectaculaire et moins diffusable sur Youtube, des dizaines de personnes meurent dans des contextes similaires. Une quinzaine de passants croisent la fillette, mais aucun ne lui vient en aide. Finalement, une préposée aux poubelles la déplace sur le côté, avant que la mère de la malheureuse petite de 2 ans n’arrive sur les lieux. Cette dernière se trouve actuellement dans le coma et les médecins pensent qu’elle ne s’en sortira pas. Ces faits, parfaitement décrits par les agences de presse, reflètent simplement une tendance chinoise grandissante : s’occuper du sort des autres ne procure que des ennuis, et donc je me contente de vivre sur « j’ai bien assez de mes problèmes sans me soucier de ceux des autres. Et d’ailleurs, ce n’est pas à moi à m’en occuper ! »
C’est ainsi que nous passons, nous aussi, chaque jour devant des « morts sociaux » ou des « morts potentiels », plongés dans le coma de l’isolement. On les tire sur le bord pour éviter qu’on les voie, mais jamais on ne s’attarde sur leur sort. Il faudrait revenir au contenu des appels lancés par l’Abbé Pierre ou par Coluche, et y puiser les termes qui conviendraient pour commenter ce faits divers chinois. On meurt chaque jour dans la rue dans des situations certes moins dramatiques mais tout aussi mortelles. Ne meurt-on pas chaque année de froid sur des trottoirs ? Ne crève-t-on pas à petit feu dans des squatts insalubres ? Ne détourne-t-on pas le regard quand un accident de la vie touche un quidam, victime du malheur ? Sommes-nous certains d’avoir tendu la main à celle ou celui qui devient un « accidenté » du quotidien ? Même à l’intérieur d’une famille, l’indifférence frappe de plus en plus souvent, et il ne fait pas bon connaître une situation de dépendance.
On vante la croissance exponentielle chinoise qui pèse sur le monde, mais personne ne souligne qu’elle s’effectue sur la base des repères occidentaux du monde du profit, revisité avec une dictature partisane au sens le plus structuré de ce terme. Il faut effectuer du profit à n’iporte quel prix, et le culte de la réussite individuelle a supplanté celui de la personnalité. Le guide suprême a basculé vers le profit, mettant a rencart le prix d’une vie humaine. Une fillette qui meurt en Chine c’est, culturellement, un non-événement puisque elle n’existe pas, dans cette société au sein de laquelle on n’existe que par ce qu’on produit.
La vidéo de l’accident a fait le buzz sur internet dans le monde entier et a été commentée par des millions d’internautes chinois, qui ont réagi avec colère à ce scandale. Une des raisons expliquant que les passants n’ont pas secouru la fillette serait qu’un homme a été condamné en Chine, en 2006, pour avoir secouru une vieille dame qui avait fait une chute. Celle-ci a fait un procès à son secouriste en prétextant qu’il l’avait fait tomber. Et l’homme a dû payer la moitié des frais d’hospitalisation de la dame. La police a interpellé les 2 chauffards, mais les passants ne risquent rien, car la loi chinoise ne punit pas la non assistance à personne en danger. Mais la punit-elle vraiment chez nous ? Où commence-t-elle chez nous ? L’État vient d’avertir les associations caritatives, en Gironde, qu’on leur retirait la dotation destinée à nourrir les SDF cet hiver. L’Europe envisageait de supprimer les versements concrets en produits pour le soutien aux plus démunis. Les places d’hébergement dans les structures évitant des morts dans les rues en plein hiver diminuent, alors que les besoins augmentent. Les enfants trinquent sous prétexte que leurs parents sont pourchassés sur le territoire européen. Et nous passons chaque jour, en détournant le regard, de ces réalités, sous prétexte que nous ne sommes pas capables d’agir. La mission, c’est la parité entre la monnaie chinoise et l’euro, où l’on s’affole sur le triple AAA de cette France du profit financier, qui oublie de plus en plus les valeurs fondatrices de l’Humanité.
Cette fillette chinoise mériterait des obsèques nationales, tellement sa mort est symbolique de ce que nous vivons dans la mutation des comportements. Sur sa tombe, il faudrait écrire en épitaphe : « Morte au champ d’horreur de l’indifférence ». Prenez garde, votre tour viendra !

Ce champ est nécessaire.

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