Il y a eu de grandes journées du 1er mai dans l’histoire sociale. Elles ont rassemblé parfois des millions de personnes dans un mouvement revendicatif ou dans des périodes noires de l’Histoire. Il y avait tellement de monde que souvent les syndicats pouvaient se permettre de défiler chacun de leur côté avec leurs ouailles. Il est vrai que les slogans s’inspiraient de cette fameuse lutte des classes, qui a été rayée du vocabulaire syndical et politique. On a vu que la menace de Le Pen aux présidentielles avait généré un fantastique élan de solidarité de citoyenneté anti FN : un triomphe pour Chirac, qui avait ainsi récolté un score exceptionnel, grâce à la fin du principe « bonnet blanc et blanc bonnet », cher aux communistes. Les syndicats timorés, recroquevillés sur leurs querelles, victimes de la crise sociale et économique, absents des grands débats par peur d’être accusés de réformisme aigu et surtout décimés par la disparition de pans entiers de l’industrie ou des services publics, avaient ainsi souhaité donner une tonalité similaire à la fête du travail 2011. L’affirmation de « l’égalité des droits » entre travailleurs français et étrangers et la grogne sur le pouvoir d’achat devaient, selon les annonces, dominer le 1er mai organisé, ensemble, par cinq syndicats, soucieux d’opposer leurs valeurs à celles du Front national, dont les troupes défileront le même jour. Dans une période de reflux des grandes luttes sociales après l’échec des mobilisations de l’automne, impuissantes à bloquer la réforme des retraites, l’édition 2011 ne s’annonçait pas comme un grand cru… Et elle a tourné en piquette !
Dans ce contexte, qui offre peu de perspectives aux salariés, on assiste de plus en plus à une véritable supercherie, visant à défendre des classes populaires qui sont désorientées par, d’une part, les effets concrets du sarkozisme sur leur quotidien, et plus encore, par l’abandon de ces principes simples qui pouvaient leur laisser un espoir de lendemains meilleurs. Les syndicats sont confrontés à l’offensive de l’extrême droite vers la classe ouvrière et à des discours qui occupent de manière totalement abusive et démagogique les créneaux qu’ils ont délaissés. L’appel intersyndical pour le 1er mai voulait donc prendre l’exact contre-pied des thèses de l’extrême droite, l’un des mots d’ordre étant de « lutter pour l’égalité des droits et contre toutes les discriminations, notamment concernant les travailleurs migrants ». Il fait un flop total ! Ce 1er mai 2011 ne restera pas dans les annales de l’histoire syndicale. Les salariés ne sont, en effet, pas descendus en masse dans les rues, contrairement aux deux 1er mai précédents. Entre 77 000, selon la police, et 120 000 personnes, selon les syndicats, auraient défilé, alors que Madame Le Pen s’exprimait avec un aplomb et une arrogance exceptionnels, devant des militants triés sur le volet !
Ce fut un discours dans la droite ligne de celui qu’elle a prononcé lors de son élection à la tête du F N. Le ton s’est voulu radical et rassurant, et surtout tourné vers ces couches sociales dans la déserrance idéologique, et prêtes à suivre celle qui gueulera le plus fort en leur faveur. Peu importe que tout soit fallacieux : elles ont bien cru aux discours sur le plein emploi ou la sécurité de Sarkozy ! Elle a asséné la vaste fumisterie de la préférence nationale, stigmatisant les étrangers, les partis cosmopolites; anti-européenne…en se rappelant que les salariés avaient majoritairement manifesté leur opposition au traité constitutionnel, et que les faits leur donnent raison. Elle n’a rien d’autre à proposer que des déclarations négatives, simplistes, et elle tente de rassembler les gens qui, pour une raison ou une autre, en veulent à toute la classe politique actuelle !
N’ayant plus les moyens de mobiliser, compte tenu du fait qu’économiquement, les salariés, les employés, les fonctionnaires, les cadres moyens sont tétanisés par leurs fins de mois, les syndicats se contentent de réactions généralistes sur le pouvoir d’achat ou les moyens, qui n’ont aucune prise sur l’opinion.
Comme on a abandonné à gauche le créneau de la citoyenneté, et donc de la République, Madame Le Pen se serait offert une référence à Robespierre dans son discours écrit, mais elle a prudemment cité « un grand révolutionnaire ». Il est vrai que le Chef de l’Éat français, durant sa campagne électorale, avait annexé Jaurés, Blum, Mitterrand, et qu’ensuite, il avait exploité le filon de la Résistance, avec la fameuse lettre de Guy Mocquet ! D’ici à ce que tous deux citent, avant 2012, Marx (version défense des prolétaires spoliés) ou Staline (il fut un raciste exemplaire), il n’y aurait rien d’étonnant ! L’acculturation politique est telle que tout devient possible. Madame Le Pen n’a d’ailleurs pas hésité à reprendre un vocabulaire marxiste pour qualifier l’immigration d’« armée de réserve du capitalisme ». Cibles de ces propos : les classes populaires et les classes moyennes en voie de « prolétarisation », sans oublier plusieurs appels du pied aux fonctionnaires. La présidente du FN a aussi enrôlé, dans son allocution, des personnalités dont la mention est inhabituelle à l’extrême droite : de Victor Schœlcher, père de l’abolition de l’esclavage, à Charles de Gaulle, cible des nostalgiques du régime de Vichy et de l’Algérie française, en passant par Charles Péguy et Condorcet. Elle sait que plus personne n’a les références pour comprendre les hiatus !
Les responsables syndicaux n’ont plus, pour leur part, l’oreille de la société actuelle, tellement elle leur a tapé dessus. Les services minimum qui ont été adoptés par les consommateurs de services publics ou de ce qu’il en reste, les critiques récurrentes médiatisées sur les grèves, seul levier réel pour peser sur l’opinion, l’absence méprisante de cadre pour le dialogue social, la réalité économique rendant les adhésions chères, la notion de militantisme, déconnecté du panel citoyen, conduisent aux résultats de ce premier mai ! Il appartient aux politiques de gauche de prendre le relais clairement, courageusement, méthodiquement, solidairement, en tirant les conséquences de ce 1er mai 2011, qui restera celui de la désillusion, sauf à devenir une autruche sociale. Il devient urgent de redonner vie à Marianne, car Jeanne d’Arc est de retour. Rendez-vous l’an prochain…entre les deux tours !
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Bonjour Jean-Marie,
Toujours d’accord avec ton point de vue.
J’ai hier préparé quelques lignes et photos pour le Pertuisien.fr où j’ai écrit :
1er Mai bon enfant à Pertuis sous un soleil radieux et narquois.
En effet, dans une commune de près de 20 000 âmes, les motifs de mécontentement ne manquaient pas : salaires, pensions, allocs de chômage, l’emploi, des moyens pour le bon fonctionnement des services publics…
Seuls étaient absents les Pertuisiens et … ses travailleurs syndiqués ou pas.
Si j’avais un voeu de vieux militant à émettre, il serait celui de dire en toute simplicité et fermeté à la fois : le 1er Mai appartient à tous; Nos pères l’ont sué; Certains en sont morts; Et nous nous le laissons reprendre;
Certes celui à Pertuis était à l’appel de la CGT & la CFDT, mais d’autres auraient dû s’y imposer: FO et SUD, et ceux de l’éducation et des PME et des champs. Quant aux travailleurs qui ne sont ni chez l’un, ni chez l’autre, ils auraient dû venir dans ou autour du cortège.
Bien sûr, le drapeau rouge ne doit absolument pas changer de couleur; Le brin de muguet non plus!
Merci; J’ai beaucoup mal!
Gilbert
Le « brin de muguet » ne doit pas devenir un brun de muguet, en référence au bleu marine, ce qui est une erreur de perception, un daltonisme politique en quelque sorte.
C’est brun Marine, couleur peu ragoutante, que je vois, et que je ressens.
Cet attachement à des idées de droite radicale, pour déroutant qu’il soit ne m’étonne pas.
C’est dans des milieux pas forcément défavorisés mais populaires que j’ai rencontré le plus souvent des partisans d’une droite réactionnaire, pour ne pas dire extrême.