Les images et les articles se multiplient au moment des fêtes de fin d’année, comme si notre société voulait s’offrir une vaste cure de bonne conscience. Les journaux télévisés, fabricants brevetés avec garantie gouvernementale d’opinion dominante, étalent chaque soir des reportages sur des repas spéciaux offerts par des structures ou des particuliers généreux. Ils accueillent ce que l’on appelle les « pauvres » ou des « sans domicile fixe » pour des moments de partage, pour une mise en Cène caritative. Mais quel partage ? Le partage de leur fardeau quotidien ? Le poids de leur angoisse ? Les moments où l’on doute du sens d’une vie ? Les images de ces gens de peu qui vivent sous une tente, qui essaient d’échapper aux morsures du froid en rejoignant des lieux bondés où l’on rassemble les travers sociaux, rassurent celles et ceux qui, devant leur cheminée, se préoccupent de la température de la bouteille qu’ils vont déguster. Les paellas, plat estival s’il en est, fument sous le nez de ces convives, sortis des catacombes sociales où les enferme leur échec. Les soupes dites populaires s’avalent, plus ou moins chaudes, autour d’un camion sorti de la nuit, et qui y repartira une fois sa bonne action effectuée. Chaque bribe de « charité » permet de masquer les vraies questions qu’il ne faut pas se poser.
Pourquoi en sommes nous réduits à cette médiatisation de gestes ayant traversé les siècles ? Quelles sont les vraies raisons qui font que, dans une société de l’opulence ostentatoire, de plus en plus de personnes doivent encore échapper au froid, à la faim, à la solitude ? Pour celles et ceux que l’on voit, combien sont encore dissimulés derrière les murs de la pudeur, et ne franchissent jamais le pas de leur porte pour aller exhiber leur détresse ? En fait, tout est en place pour que l’on se contente de la façade bien pensante, sans jamais aborder la notion indéniable de responsabilité politique collective dans ces situations. Pas question de se poser cette question essentielle, car elle gâcherait les fêtes de toutes ces électrices et ces électeurs qui ont accepté, par leur indifférence ou leur soutien , une évolution sociale catastrophique. Impossible de leur gâcher cette période, durant laquelle il faut donner le change et accumuler les signes d’un bonheur matériel permettant de se positionner socialement. La trêve des confiseurs ne saurait être perturbée par des états d’âme sur les choix effectués par les personnes détentrices du pouvoir.
Chaque « convive » de ces retrouvailles exceptionnelles ou quotidiennes a sa propre histoire, avec, quelque part, une « fracture » ou un « précipice » qui ne s’est pas résorbé ou qui n’a pu être franchi. Personne n’a le temps de tenter de comprendre une descente aux enfers, et plus personne n’a les moyens de refermer ces terribles ruptures. Une retraite misérable n’est que la résultante d’une carrière erratique, ou plus encore d’une exploitation cynique de l’homme par l’homme. Trop tard ! Une déchéance physique ne reflète qu’un naufrage moral dans une traversée mouvementée de l’océan de la vie personnelle. Trop tard. Un errance dans la rue n’est qu’une forme lente de noyade que l’on accepte sans se débattre. Trop tard. La séparation familiale qui désoriente des enfants expédiés dans un camp ou dans l’autre, au gré des querelles , s’apparente à un accident causé par le verglas des égoïsmes. Trop tard. La transformation de l’échec scolaire en échec social conduit à l’agonie matérielle. Trop tard. Le refus strictement politicien d’un titre d’espoir de séjour sur d’autres terres que celle qui ne vous nourrit plus ressemble étrangement à la relégation des pestiférés. Trop tard. En se mettant autour de n’importe quelle table, ils arrivent toutes et tous trop tard, puisque les dégâts sont irrémédiables. L’épidémie de pauvreté gagne chaque jour du terrain, sans que personne ne veuille absolument admettre que nous en sommes toutes et tous responsables par notre indifférence aux causes. Elles sont multiples, et inexorablement politiques, car chaque acte individuel du quotidien a des conséquences sur la vie collective.
Inexorablement, les gens qui savent tout sur tout se sont appropriés le champ de la conscience et ont anesthésié l’esprit de résistance et de révolte. Ils savent bien qu’en montrant le pire, on rassure toutes celles et tous ceux qui n’y sont pas encore arrivés. Ils oublient ainsi que la seule loi qui s’impose chaque jour davantage, c’est celle du profit, profitable aux possédants qui peuvent en faire, et écrasante pour la très grande majorité, qui espère toujours qu’un jour, elle en fera. Chaque acte social n’est désormais guidé que par cette arrière-pensée. Même Michel de Montaigne le savait, puisqu’il affirmait que le « profit de l’un est le dommage de l’autre ». C’est simple. C’est clair. C’est tellement vrai que personne ne s’en sert.
En laissant la solidarité mourir, pour prôner une pseudo responsabilité individuelle, soit disant indispensable dans cette période de crise, les gourous ultra libéraux vont creuser les inégalités entre le monde des exploiteurs et celui de ceux qui ne sont même plus exploitables. Pas question de se laisser culpabiliser d’être heureux en famille, entre amis, entre générations, à condition de ne pas être dupes, en admettant que les lendemains ne chantent jamais en play-back ! Ce n’est pas fini. Dès la semaine prochaine, vous aurez droit aux images d’autres réveillons… et à un discours du chef de l’Etat français, version promesses générales sans aucun avenir!
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Oui ces nouveaux pauvres ont travaillé toute leur vie à plein badin pour un salaire misérable et donc une retraite si l’on peut dire misérable.Et le gouvernement ne veut surtout augmenter les bases SMIC etc…
Bonjour Jean-Marie et encore une fois Merci de cette véritable mise en Cène.
Tu me permettras de t’adresser mes meilleurs voeux 2011 avec lesquels je souhaite te faire partager les 13 desserts de ma Provence d’accueil…depuis 40 ans.
Amitié d’un Bitterrois « exilé ».
Gilbert de Pertuis en Luberon
Et pour couronner les reportages télévisuels sur ces brillantes interventions humanitaires, on a comme dessert les inévitables interviouves d’enfants débitant doctement des inepties à propos du père noël et de leurs « commandes ».
Comme si dans l’existence il ne suffisait que de commander pour recevoir !
On a même eu droit sur la « 2 » à une autre carabistouille : la cigogne qui aurait apporté le premier né de noël !
Quel sera l’avenir de ce malheureux si il ne fait pas partie des nantis de naissance ?
Qu’on ne se méprenne pas, je ne juge et surtout ne critique en rien ces interventions humanitaires, dont les animateurs sont souvent des gens qui prennent sur le temps d’un repos qu’ils pourraient passer bien au chaud. Mais on y rencontre rarement des aficionados du CAC 40.
Ce que je déplore, c’est l’utilisation démagogique que l’on fait de ces organismes dit « caritatifs ».
Ils sont bien utiles comme faire valoir, mais on n’hésitera pas à les traîner en justice si ils venaient à troubler ce que d’aucuns appellent « l’ordre public », ça s’est déjà vu.
De toute façon , à cultiver des mythes, à commencer par celui du père noël qui est un véritable abus de confiance (1), en faisant prendre aux enfants des vessies pour des lanternes, comment peut on dès lors espérer développer leur esprit critique ?
Il est vrai que ce n’et pas le but de l’opération.
Malgré ces propos désabusés et pessimistes, je souhaite à tous un joyeux Solstice et une heureuse année nouvelle.
(1) Un mensonge, même si il est pieux, reste un mensonge et détruit la crédibilité de celui qui le profère. Et que l’on vienne pas me parler de la soi-disant magie de noël.