Le militantisme, durant de longues années, a consisté à s’inscrire dans le parcours d’une organisation sociale, afin de participer librement à sa vie interne, à son développement, à ses actions, décidées de manière collective. Aux origines, le terme (du latin miles, militis : « soldat ») concernait les personnes qui se battaient, les armes à la main, pour défendre (ou imposer !) leurs idées et convictions propres, ou celles de leurs écoles de pensée. Les Conquistadors furent par exemple des « militants » du christianisme. Le militantisme peut en effet aussi, malheureusement, désigner un « zèle ardent » dont font preuve certains en vue de rallier des personnes à une cause philosophique ou religieuse . Au XXIe siècle, dans les pays à culture et fonctionnement démocratique, il utilise des méthodes moins violentes, encore que certaines actions agressives et contraignantes puissent parfois entrer dans la panoplie du militantisme, mais le caractère bien-pensant actuel rend cette démarche problématique. Le militant ne saurait se confondre avec des missions d’antan désormais oubliées : porter la contradiction sous les préaux d’école, coller des affiches par centaines sur tous les supports, vendre le journal du parti, faire les cages d’escalier pour distribuer… des tracts nationaux. Lors de sa visite à Créon pour rencontrer les élus girondins républicains, Laurent Fabius a considérablement modifié la donne. Il a donné une nouvelle orientation à l’engagement qui doit être, d’ici 2012, celui de toutes les personnes engagées dans la vie sociale, qui devrait imprégner tous les esprits des élus et des responsables de tous niveaux : les militants doivent faire de la « pédagogie citoyenne ! » Je suis convaincu que cet appel paraît certainement incongru, dans ce moment où l’on envoie, face à des élèves, des enseignants ne sachant même pas ce que le mot « pédagogie » représente. Et en ce qui concerne la « citoyenneté » il y aurait beaucoup à dire. « Le combat de 2012 ne se gagnera que si nous savons percoler dans la population les conséquences, directes pour elle, de réformes strictement idéologiques » a répété tout au long de la journée celui qui marque ses auditoires par sa lucidité et son remarquable esprit de synthèse. C’est avec une immense joie intérieure que j’ai écouté de tels propos, car depuis des décennies je ne cesse de rappeler que la rôle des « militants » ne consiste pas à s’affronter, à se confronter, à se comparer et à tenter de se convaincre, dans des « sections », des « cellules », des « conventions », alors que le véritable « boulot » militant se situe ailleurs.
L’acculturation citoyenne est devenue tellement prégnante qu’elle constitue une véritable menace pour la démocratie…L’éducation populaire basique redevient une priorité pour tous les Républicains. Elle mettrait cependant des décennies pour combler le trou béant qui s’est creusé depuis la fin des années 80. Toutes les études sociologiques sérieuses et vraiment fouillées établissent, par exemple, un lien très fort entre la disparition de toutes les structures qui gravitaient autour de l’école (patronages laïques, amicales laïques, conseils de parents d’élèves..) et le vote FN ou même sarkoziste. En instillant ce poison mortel pour la République, qui veut que la « politique » se résume à des combines « politiciennes » d’appareils, on a collectivement détruit les valeurs fondatrices du vivre ensemble. Tout a été fait progressivement, tout est fait méticuleusement depuis plusieurs années pour que plus rien ne fasse obstacle à un endoctrinement par une méconnaissance totale des fondements de toute décision politique. Cette carence désastreuse, prétendument compensée par la superficialité médiatique latente, profite à tous les pouvoirs autoritaires qui s’installent sur le terreau de l’indifférence.
Laurent Fabius a lancé à Créon un appel d’une grande portée politique, mais qui, comme toutes les actions pédagogiques, se perdra, comme les oueds rafraîchissants, dans les sables arides des apparences. Certes, il y a les slogans des rues, les mauvais comptes officiels des mobilisations physiques, les anathèmes faciles, les rivalités de personnes qui masquent tout le reste. L’horizon se limite souvent à ces aspects du militantisme, alors que tout passera, dans les prochains mois, par la capacité indispensable à « démonter », à « expliquer », à « aider à comprendre », à « démystifier ». Il faut se démultiplier, ne pas se décourager par des affluences réduites, accepter résolument le débat, mais sortir, sortir sans cesse. « Quand vous remettez une coupe, une récompense, quand vous allez à une assemblée générale, quand vous planchez devant votre conseil municipal, ne renoncez surtout pas à annoncer que les anti-réformes adoptées par la droite du sénat et la droite de l’assemblée nationale vont vous conduire à supprimer des aides, à renoncer aux financements croisés, à saborder l’économie déjà mal en point, et pire, à détruire tout le réseau des services publics de proximité » a exhorté Laurent Fabius. « Ce n’est nullement une posture politicienne, c’est simplement la vérité que vous annoncerez ! » a-t-il ajouté.
Déconnecté de la course à l’élection présidentielle, l’ex-Premier Ministre ne se contente pas de conseiller, il est devenu un « missi dominici » de « l’éducation populaire citoyenne », afin de compenser ce déficit actuel de pédagogie propre au militantisme politique. Il se colle au boulot. Il ne rechigne pas à rencontrer, à agir, à travailler. Il dissèque ce qui n’est pas une politique erratique du chef de l’Etat français mais une conjonction d’attaques bien ciblées, dictées par une volonté d’installer durablement un pouvoir libéral reposant sur un triple principe : « soutenir les riches qu’il peut tous appeler par leur prénom, tondre les classes moyennes qui ne lui sont généralement pas favorables, laisser croupir les pauvres, au prétexte que s’ils le sont c’est qu’ils n’ont rien fait pour l’éviter ».
Dans un tel contexte, il n’y a que la proximité de l’explication qui peut maintenant traverser l’espace sidéral permettant aux Françaises et aux Français de prendre la dimension des difficultés que va générer cette volonté cachée de faire tout tourner autour du profit, via la privatisation la plus large possible de la société. La destruction progressive du système éducatif public est la priorité absolue actuelle du pouvoir, et une course de vitesse se joue entre les penseurs « bushistes », « thatchériens » ou même « lepénistes », et les militants de l’éducation populaire découragés, si ces derniers n’ont pas un prompt sursaut collectif, organisé et coordonné, à travers une semaine nationale de la « résistance citoyenne », sur tout le territoire national.
Tous les professeurs, plutôt que de cesser les cours devraient, dans les lycées, donner une heure de leur temps libre pour effectuer, à chaque occasion, entre les cours, de l’éducation à la citoyenneté, en organisant des forums, des rencontres, des débats avec des personnes ressources militantes. Les maires doivent lancer une grande campagne nationale d’explication à tous les habitants, des conséquences pour les contribuables de la casse territoriale, de la suppression de la taxe professionnelle, de la faillite d’un état qui veut récupérer des compétences qu’il est totalement incapable d’assumer ! Les associations ont l’obligation morale d’inviter leurs adhérent(e)s, pour leur expliciter cette volonté manifeste de supprimer tout ce qui concourt au lien social, afin de n’avoir affaire qu’à des individus non-solidaires et isolés ! Le militantisme passe maintenant par la mise en œuvre de ce constat effectué par Alfred Sauvy : « Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés, ils deviennent des sujets ». Dans son livre (1) Laurent Fabius fait une comparaison mordante entre le tableau de Hyacinthe Rigaud présentant un Louis XIV fringant, sculptural et dominateur, sans rapport avec la réalité du Chef de l’Etat français actuel.
(1) « Le cabinet des douze » chez Gallimard
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Lorsqu’on est militant associatif dans le domaine culturel ,il est heureux de lire combien l’Éducation Populaire a sa place aujourd’hui pour espérer encore sortir de la médiocrité ambiante…
Ton texte Jean Marie « fait chaud au cœur » et des discours politiques unpeu décalés par leur intelligence et leur générosité sont plus que nécessaires…
Bonjour;
Tout ceci est une évidence, qui naît dès lors qu’on analyse les « armes » citoyennes dont nous disposons, nous les « petits », dans notre société aujourd’hui, pour peu que nous voulions « faire changer les choses ».
Le TCE a permis cette expérience de « pédagogie de terrain », laissant à chacun libre de dire – en conscience – « oui » ou « non » à la question posée.
Peut-il en être de même dans une élection? Quelle place reste-t-il à chacun d’exprimer ce qu’il désire vraiment?… Le choix UMP/PS SANS la prise en compte des abstentions (qui n’inclut pas les votes « contre »!) reste, aujourd’hui, une véritable désespérance!
Cordialement
Cher Monsieur Darmian,
Vous couvrez d’éloges Laurent Fabius suite à son passage en terre girondine, votre Camarade Philippe Madrelle était à vos côtés, et pourtant, tous les deux, vous aviez préféré il y a quelques années de cela suivre Bertrand Delanoë et « quitter » Laurent Fabius dans une élection interne majeure. Cela m’avait profondément heurté et déçu venant de votre part, car je vous croyez plus indépendant que cela, et aujourd’hui je n’ai guère changé d’avis, votre Camarade Philippe Madrelle étant aussi votre « supérieur » vous aviez décidé de rejoindre le Maire de Paris, celui qui aujourd’hui sauve le soldat Chirac et participe à une conception de la politique avec un « p » minuscule, vraiment minuscule, et je pèse mes mots.
Oui, Laurent Fabius a la stature d’un Homme d’Etat, oui, je le verrai bien Président de la République, je crois que la France se réconcilierez avec ses Valeurs à travers son accession au « Pouvoir ».
Mais sans doute lui manque-t-il des « sujets » loyaux…
Cordialement.
PS: « Qui aime bien, châtie bien », malgré je vous aime bien, même si je ne vous épargne pas sur ce coup-là.
Cher camarade,
Merci de ce commentaire que j’apprécie particulièrement car il est sincère et irréfutable. C’est vrai qu’après plus de 35 ans passés dans le sillage de Michel Rocard j’ai décidé après une rencontre personnelle avec Laurent Fabius de rejoindre les idées qu’il défendait après 2002.
Je l’ai consulté sur le choix que proposait Philippe Madrelle, qui consistait à fédérer dans la perspective de la défense du Conseil Général le maximum de conseillers généraux pour montrer que nous constituions un bloc solidaire. Je lui ai demandé, devant témoin, de m’accorder ma liberté et il m’a demandé d’être d’abord solidaire afin que mon absence ne soit pas interprétée comme une marque de défiance. J’ai été loyal et j’ai prévenu Laurent Fabius qui m’a indiqué qu’il ne me tiendrait jamais rigueur d’être fidèle à Philippe Madrelle… et samedi, il en a apporté la preuve. J’assume ce qui était un choix départemental mais pas un choix de motion puisque j’avais participé à l’élaboration du texte du pôle écologique ! J’ai accepté librement la solidarité avec le choix de Philippe Madrelle, et je l’assume très bien, d’autant que depuis j’ai totalement rompu avec Delanoé.
Il est certain que si j’avais, comme certains qui lui devaient toute leur carrière, soutenu Ségolène Royal, il n’aurait pas la même attitude à mon égard..
Je suis toujours resté fidèle à des valeurs, pas à des hommes, tellement j’ai été échaudé par le passé avec Michel Rocard.
Ceci n’est pas une justification mais simplement une explication….
Bien à toi!