Vivement que l'on consomme du citoyen

Lorsque l’on sort tant soit peu de son quotidien, et que l’on relève le nez que l’on a dans le guidon, on s’aperçoit vite que les priorités politiques actuelles ne sont certainement pas celles qui sont médiatisées. Elles deviennent de plus en plus factuelles, voire événementielles, mais ne s’attaquent jamais au fond pour redonner un sens à la vie sociale. La primauté de la dimension économique occulte tous les discours reposant sur des valeurs fondatrices. La réaction et la contre-réaction engagent le grand public dans des débats subalternes, qui reposent sur un seul principe : « ne me parlez plus de politique ! », faisant ainsi le lit de tous les discours sérieux, argumentés, construits autour des enjeux primordiaux du sort réservé à l’Homme dans une société axée sur le profit. A Perpignan, où je représente le Conseil général en tant qu’administrateur national pour le compte des départements dans le congrès de l’association nationale Amorce qui regroupe plus de 600 acteurs (collectivités territoriales et entreprises), toutes les interventions « techniques » sur les déchets et les réseaux collectifs de chaleur étaient liées à une seule problématique : comment faire machine arrière et faire que, dans le société moderne, le consommateur (consommatrice) ne domine pas le citoyen (citoyenne) ? Dans la part de toutes les mesures, de toutes les propositions, de toutes actions, il est impossible de ne pas noter qu’elles reposent essentiellement sur cette mutation sociale « génétique » qui a lentement fabriqué des « êtres acheteurs » dénués de toute véritable conscience de l’esclavage dont ils sont victimes. La conclusion des diagrammes, ratios, études technocratiques, tableaux didactiques reste la même : réveillons les consciences citoyennes, détruisons d’urgence la soumission de fait aux acteurs économiques dominants pour espérer sauver ce qui peut encore l’être.
A maintes reprises, dans ces chroniques, j’ai souligné combien la restauration de la citoyenneté sous toutes ses formes (responsabilité, autonomie, information, participation) devrait être au cœur d’un projet de gauche. Aucun catalogue de promesses électorales ne sera crédible tant qu’il sera soumis aux aléas des forces du profit financier, maître du jeu grâce à cette fameuse loi du marché, présentée comme inévitable pour assurer la prospérité. Dans tous les domaines, absolument tous les domaines (environnement, éducation, culture, solidarité, justice, sécurité, coopération), l’ensemble d’un programme doit se décliner autour de cette valeur forte mais oubliée, car mettant élus et habitants face à un défi de changement de mentalité. Tous les « Grenelle », tous les « comités », tous les « groupes », ne changeront rien à cette réalité, puisque ce ne sont que des ersatz d’une véritable « politique » citoyenne.
Les affrontements sur les retraites ne reflètent qu’une confiscation par la démocratie représentative d’un sujet capital pour des millions de personnes. Les difficultés rencontrées en matière de réchauffement climatique illustrent simplement une frénésie de consommation exacerbée par la communication publicitaire schématique et répétitive. L’impact désastreux des déchets s’explique par un manque absolu d’éducation des consommateurs qui ne mesurent absolument pas leur rôle dans cette problématique. L’anéantissement de l’édifice républicain des collectivités territoriales de proximité est largement facilité par l’ignorance des systèmes fiscaux et de la valeur de la proximité sociale. La facilité d’imposer des débats dénués de tout intérêt ne s’explique que par l’indifférence calamiteuse des gens pour le débat de fond, que ce soit dans les structures politiques ou dans celles de la vie collective. La résignation est une habitude de consommation qui fait que l’on paie bêtement le prix demandé sans se soucier de ce à quoi il correspond. On prend dans les rayons des supermarchés le produit le plus attirant ou celui qui parait le moins cher, et en politique on applique les mêmes principes, puisque, pour être crédible, il faut être people et promettre de ne plus faire payer le prix réel des services. Avec une belle « tête de gondole », un titre ronflant et quelques astuces de communication, on peut vite devenir une « denrée » rentable. Un zeste de colorant artificiel (le rouge n’est plus à la mode !), deux ou trois émulsifiants, et une bonne dose de conservateur, permettent de donner à la ménagère de plus de 50 ans ce qu’elle espère.
Par exemple, trier les déchets n’a jamais été présenté comme un acte citoyen de protection de l’environnement collectif, mais comme une nécessité économique pour éviter le coût d’élimination des déchets de la société de consommation.
Recycler n’apparaît pas comme une alternative à une surconsommation effrénée et inutile, mais comme un acte de diminution des coûts du traitement. Implanter du photovoltaïque ne se justifie que par une rentabilité financière possible, mais pas par une volonté personnelle de diminuer les consommations d’énergies fossiles. Lancer la gratuité des transports en commun n’est justifié que par une aide aux plus démunis, mais rarement par un souci d’éviter la production massive de CO2. Développer le vélo n’appartient pas aux nécessités environnementales ou de santé, mais de manière plus simpliste, à une évitement du tout-automobile. A Perpignan, le « contribuable » a été la grande vedette des ateliers. Il va payer les erreurs du consommateur. Comme la chasse de principe aux impôts a été lancée par pure démagogie électorale, toutes les mesures citoyennes apparaissent comme des contraintes strictement financières, d’autant plus intolérables qu’elles interviennent en période de crise provoquée par… les décideurs de la société du profit qui exploitent les consommateurs ! Pourvu que la Gauche ne s’enlise pas dans ce bourbier, et qu’elle sache refonder un véritable projet transversal qui soit social, citoyen et durable !

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Cet article a 2 commentaires

  1. J.J.

    La politique de la carotte et du bâton a encore de beaux jours devant elle : si tu tries tes déchets, tu paieras moins d’impôts.
    Et à voir le contenu des bacs à déchets, on constate que le slogan ne mobilise même plus les citoyens.

    Mais s’agit-il vraiment d’individus méritant le titre de citoyens ?

  2. Christian Coulais

    Une analyse de plus qui sonne juste. Mais le son de la cloche (d’alerte) n’atteint pas les oreilles des conso’acteurs, les yeux rivés sur les dernières trouvailles du Marché et donc sans voir le mur s’approcher !
    Le cerveau est embrumé par le discours pontifiant de nos élites qui se reposent sur le lobby de la science. Cette dernière aura réponse à tous nos maux, allez, en avant consommez les veaux !

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