Parfois une nostalgie profonde m’envahit. Je suppose que c’est une question d’âge et c’est, dans le fond, ce qui a tout lieu d’inquiéter celui qui éprouve cette sensation déstabilisatrice, puisque l’avenir doit davantage préoccuper que le passé. Une étrange mélancolie submerge le cœur et plonge en une fraction de seconde dans un extraordinaire flash-back, quand un maigre événement fait ressurgir des images ou des souvenirs enfouis sous la poussière du temps. Hier soir, j’étais précisément sur les lieux de toute mon enfance, et brutalement le monde qui m’entourait s’est fissuré. Il a suffi d’une odeur, dans l’atmosphère d’une chaude journée estivale finissante, pour que je revienne des décennies en arrière. Paradoxalement, ce retour ne s’effectue pas sans dégâts, car on ne ressort jamais indemne d’une plongée dans ce monde souterrain des sensations.
La rentrée, c’était pour moi des senteurs particulières, des effluves qui envahissaient l’air des soirées de septembre, les plus douces de l’année. Elles étaient présentes au rendez-vous, dans cette vallée du petit ruisseau qu’est devenue la Pimpine. Elles portaient les sous-bois, les mousses, les lichens, les feuilles mortes, les arbres oubliés. Je me suis laissé enlever par ce parfum oublié de mon village natal, en pensant que peu de monde pouvait avoir les mêmes sensations que moi, puisqu’il faut avoir été imprégné par ce repère de fin d’été. Ce n’est que les lendemains de pluie bienfaisante que l’on a le bonheur d’humer, en fin de journée, ces odeurs naturelles. Elles sont subtiles, et il faut avoir le nez rôdé pour saisir son intérêt. Parfois, il arrive que s’ajoute à la dégustation olfactive un soupçon d’effluves de champignons en fin de vie.
Les spécialistes y voient un signe d’effervescence potentielle dans les forêts, puisque les cèpes peuvent surprendre en pointant leurs têtes rousses ou noires sur des écrins de mousse verte, situés le long d’un ru ou en lisière d’une châtaigneraie. Cette période de l’année, au cœur du Créonnais, permet de revenir sur les origines sociales. La cueillette et la chasse deviennent très marginalement des activités humaines pratiquées dans les zones rurales oubliées. Il y a seulement une cinquantaine d’années, une frénésie s’emparait des autochtones. Ils allaient successivement ramasser bien évidemment les champignons, puis les raisins, avant de se consacrer aux pommes et aux châtaignes. Ces collectes appartenaient à un style de vie tendant vers l’autosuffisance. Le séchage, les conserves, les distributions aux proches, appartenaient aux rites d’un moment clé, préalablement à l’hivernage. La notion de récolte a beaucoup évolué puisqu’elle ne porte plus sur l’appétence que l’on a pour le produit mais sur la quantité pouvant valoir un… profit. On ratisse, on racle, on traque, on stocke, on vend et plus encore on exploite. On se moque totalement des rites, des précautions, des senteurs ou des couleurs : le seul résultat qui compte devient celui de la vente !
Il reste encore des esthètes de la cueillette, qui partent avec un panier en osier, pour ramener des mûres joufflues obtenues au prix d’un affrontement avec les épines. Elles sont livrées aux rares oiseaux qui les aiment, car plus personne n’a confiance dans leurs apparences en raison de la pollution dans les « nouveaux chemins » sentant plus les gaz d’échappement que les noisettes. Peu de gens se préoccupent des prunelles sauvages qui sont sous leurs yeux, alors que la liqueur constitue un must des fins de repas. La nature reste généreuse pour celles et ceux qui la connaissent. Or elle est tellement méprisée que, désormais, rares sont ceux qui en possèdent les secrets.
Les odeurs humides de cette soirée fraîche portaient ces espoirs permanents de septembre. Elles deviennent encore plus prégnantes et prometteuses quand les marcs des vendanges sont stockés hors des chais. Ce parfum aigre, qui s’accompagne de nuées de moucherons, reste le préféré des gens du vin. Il atteste que la matière première d’un cru est à l’abri, et que l’hiver fera son œuvre. Tous les parfums reflètent les bonheurs des récoltes réussies ou en cours. Ils ne sont que les accompagnants d’une vie sincère, reposant sur l’attention, la simplicité, et le respect. Il faut donc savoir les reconnaître et les apprécier sans modération, car il est merveilleux de s’enivrer de ces valeurs oubliées qui ont bercé son enfance. Hier soir, la vallée de cette Pimpine qui fut pour moi aussi important que le Nil pour les Egyptiens, exhalait les senteurs du temps passé. Comment arriver à expliquer que ce fut pour moi « extraordinaire » alors que ça n’a eu, durant des décennies, qu’un caractère « ordinaire ». Le seul fait de m’en rendre compte m’inquiète. Le monde s’est tellement artificialisé et aseptisé qu’il devient étonnant de respirer les promesses de la nature.
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Magnifique texte pour une simple odeur ! Si tu veux étoffer ton investigation olfactive, approche-toi de l’Ancien Agriculteur qui, à l’ombre du tilleul de la cour de la ferme, semble sommeiller sur son banc, le menton en appui sur son bâton de coudrier. Les yeux mi-clos pour mieux se remémorer « l’ancien temps » ( S’Il te connaît bien,Il te parlera en patois !), Il te décriera cette odeur humide, moisie … ou poussiéreuse que sa charrue à traction animale extirpait du sol lors de ces labours d’automne en chaussant les vignes ou en préparant les semis de blé, le summum étant le dérayure extèrieure ( ou tour du bord) quand le soc caresse la « mousseronière » tant protégée!
Avec un clin d’oeil malicieux, Il t’expliquera ce que perdent « ces cou….ns de jeunes dans les cabines climatisées et insonorisées de leurs tracteurs informatisés » ! Cela était sa première récompense ( ou paie )de son labeur pour sa prochaine récolte et avait le don, comme pour toi, de lui procurer un bon moment où la fatigue semble disparaître.
En poursuivant ton chemin, aprés avoir traversé le petit bois où l’odeur du cèpe commence à danser sur les premières feuilles mortes, je te souhaite de retrouver le forgeron et l’odeur de ce charbon embrasé qu’il aura calmé avec son chiffon dégoulinant d’eau de la Pimpine ! Elle est de ces odeurs qui ont enveloppé notre jeunesse et qui, à l’image d’une retrouvaille de classe de primaire, seront toujours un élixir pour nos sens déclinants !
Amicalement.
Comme toujours, je « chuis » un peu en retard, »echcusez » moi, l’odorat, un de nos cinq sens pas près d’être virtualisé, du moins dans toute sa richesse: l’odeur du livre neuf dont on s’imprègne avant d’en dévorer le contenu ! En parlant de dévorer, combien d’entre-vous se souviennent de l’odeur du saucisson à l’ail qui se mêlait aux relents de fumée de la loco dans les compartiments de chemin de fer à l’heure de midi pour les départs en vacances ?
Bonnes vacances Jean-Marie !