Rien ne peut remplacer, dans la vie publique, la prise de recul par le retour sur le terrain, au contact des réalités. Il se trouve que, depuis des années, le fait d’avoir eu à exercer, même partiellement, la profession de journaliste, et d’avoir commis quelques livres, me permet encore de trouver des plages temporelles où les fonctions électives ne comptent pas. Ce que je considère comme un atout puisque, en me renvoyant au statut de « demandeur » vis à vis des autres et non plu à celui de « délivreur » de messages, il m’éloigne des certitudes toute faites. Le salon du livre du sympathique village de Romagne, niché au cœur de l’Entre Deux Mers girondin, aura donc constitué ma cure mensuelle de distance vis à vis des aléas de l’action quotidienne, au service des collectivités que j’ai partiellement en charge. En effet, là, à une table, derrière une pile de « Sauterelle bleue » on regarde défiler des gens de tous les âges, en quête d’une part écrite de rêve. La très grande majorité jetait un regard distrait sur cet ouvrage, et je n’étais pour elle qu’un écrivain inconnu. L’attente du dialogue autour de ce que je considère seulement comme un outil de transmission d’une tranche de vie collective, rend forcément impatient. Écrire un livre, quel qu’en soit le contenu, relève du besoin irrépressible de communiquer avec les autres, conforte l’envie de leur apporter un support à leur analyse, amène à les conduire vers un autre monde.
Le problème, c’est que quel que soit l’intérêt de l’ouvrage, la notoriété de l’auteur reste la plus grande garantie pour l’acheteur. Ce constat conduit les éditeurs à sélectionner des… noms, mais pas des contenus, des auteurs factices plus que des écrivains sincères. La « pipolisation » outrancière de la vie sociale s’accentue et je souffre parfois de constater que les gens, par manque de confiance (et souvent par manque de moyens) sedirigent directement vers les places tenues par des « vedettes» . Un salon du livre, c’est l’ illustration parfaite des efforts qu’il faut déployer pour convaincre les autres d’entrer dans son schéma de pensée. Y participer, c’est répondre à ce « pauvre » Eric Raoult sur l’engagement que représente une création et sur la liberté que l’on croit avoir en l’offrant aux autres. Il est déjà dur d’exister mais en plusse montrer pour tenter d’y parvenir c’est un défi.
Désormais, il faut en effet s’interroger sur un cycle infernal : doit-on déjà être célèbre pour écrire, ou écrire pour devenir célèbre ? On peut dupliquer à l’infini cette interrogation. Devra-t-on être vedette de cinéma, présentateur de télé, champion olympique ou du monde, invité permanent des émissions de Drucker ou de Ruquier pour devenir un jour représentant des autres au plan national, régional, territorial ou local ? Il faut modestement convenir que le phénomène s’accélère et que les prochaines échéances le mettront en évidence. Le « contenant » a pris le pas sur tous les « contenus » et , dans le fond, la « couverture » a plus d’importance que les « pages », le « cadre » supplante la « toile », « l’étiquette » prend le pas sur le « cru », la « pub » fait oublier le « réel ». Tout devient « objet », et la « marchandisation » galope dans tous les domaines.
Un salon du livre aussi douillet que celui de Romagne recevait Eric Naulleau, le réducteur de grosses têtes, qui ne se couchent pas de bonne heure le samedi soir. Entre deux TGV, il est venu tester sa popularité dans une petite Toscane girondine essuyant toutes les larmes de son ciel touchant le sol. Derrière la même table que tous les autres auteurs, il a dédicacé des bouquins à des gens fiers comme « bar-tabac » (cf Coluche) de posséder dans leur bibliothèque une dédicace de quelqu’un dont ils vérifieront, samedi prochain, qu’il ressemble à celui qu’ils ont pu toucher. La sacralisation de l’écrit repose maintenant sur les évangiles audio-visuels.
Détendu, affable, appliqué, il a tout fait pour casser son image de tueur à gages et de vedette. Il n’a vidé son chargeur de bons mots sur personne, mais comme tous les autres il a pu constater que le livre n’entre plus dans les préoccupations majeures des familles ou des lectrices passionnées. J’aurais aimé savoir ce qu’il avait pensé de cette escapade de 4 heures dans cette France profonde qui, dans le fond, ne regarde que très peu ses exploits nocturnes. Mais chapeau bien bas : plus de 6 heures de train pour rencontrer quelques dizaines de lectrices et de lecteurs même sous le charme, mérite l’admiration. Ce gars-là ne peut pas être aussi mauvais que le disent ses détracteurs, car je l’ai découvert sincère.
Ah! J’allais oublier, la « Sauterelle bleue » a trouvé six preneurs, auxquels j’ai demandé de me faire part de leurs remarques après lecture, car je n’ai pas le droit de les tromper sur le « plaisir » que je leur ai promis. Comme je les connais tous, j’aurai l’occasion de les croiser sur les chemins réels de la vie. Nous aurons des choses à partager, sans aucun filtre, et, qui sait, nous aurons peut-être fait un pas les uns vers les autres.
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Le titre de mon blog, « ON A PAS TOUT ESSAYE » lors de sa création en 2005, était un petit clin d’oeil à l’émission de Laurent RUQUIER « ON A TOUT ESSAYE ».
Et si Laurent vous invitait dans « ON EST PAS COUCHE » avec votre « Sauterelle bleue » comme sujet de débat d’écrivain de journaliste occasionnel, de Maire accomplit, et de fournisseur de support d’analyse, voir de communiquant d’exception?
Dans le même domaine je vais vous raconter une anecdote similaire quelques part.
Le 25 septembre, avec mon épouse nous sommes allé à Rocamadour, assisté à la pièce de Théâtre « Le Kangourou » mise en scène et jouée par Patrick Sébastien.
Ce théâtre ne dispose que d’une centaine de places.
L’ambiance intimiste des lieux, la magnifique terrasse de ce café théâtre « Le rocher » éclairant la falaise de Rocamadour vous plonge dans un lieu surréaliste, d’autant plus quand vous vous retrouvez à deux mètres des acteurs sur scène.
Mais le plus étonnant, c’est la suite.
Une fois la pièce achevée et le plus gros des spectateurs ayant quittés les lieus, il reste les inconditionnels. Les fans en terme de Pipolisation.
Enfin il est une heure du matin quand Patrick SEBASTIEN apparaît, souriant, calme, détendu, se laissant abordé par la trentaine de personnes toutes acquises à ses causes.
Nous engageons le dialogue tous les deux, sans précipitation, avec un tutoiement naturel:
-Ce qui est frappant ici, Patrick c’est de mesurer à quel point tu es quelqu’un d’abordable,par rapport à l’image télévisuelle que l’on peut avoir de toi, par exemple dans « Les années Bonheur ».
-Sa réponse fut immédiate, (je ne la retranscrirais pas ici). Je recent cette sensibilité à fleur de peau, ce besoin d’être aimé, sa lucidité et une pudeur toute particulière et surtout cette incontournable volonté de distribuer du bonheur, l’élément moteur de sa propre vie.
Je lui demande ensuite s’il se souvient dans les années 80, où à l’époque en tant que responsable d’un comité d’entreprise j’avais organisé une sortie pour aller voir son spectacle à la patinoire de Bordeaux.
– Tu te souviens de ton spectacle, à l’époque tu débutais, et ton dernier sketch sur scène, c’était Johnny Hallyday vieux, tu nous avais donné des larmes aux yeux.
-Oui je m’en souviens très bien me dit-il, avec ses yeux bleus remplis par cette satisfaction commune, à tous ceux qui savent si bien un instant vous faire oublier les prochaines élections, ou la réforme de la taxe professionnelle.
-Ensuite nous avons parlé rugby, bien entendu, c’était avant qu’il soit écarté du management du club de Brive, puis devant un demi à deux heures du matin dans cette France profonde nous avons continué à échanger, pas très loin tout de même des caméra, puisque ce soir là une équipe privée de télévision était présente, tournant un sujet sur la vie de Patrick Sébastien, l’équipe était logée directement chez lui, et le sujet sera diffusé bientôt sur France télévision.
Même les plus connus cherche toujours une certaine forme de reconnaissance.
Votre croisée des chemins avec Eric Naulleau n’est peut être pas que le fruit du hasard, et j’en suis très heureux pour vous, la célébrité et les indices d’audiences ne changent pas fondamentalement le coeur des hommes.