Ce 9 novembre les « démolisseurs héroïques » du triste mur de Berlin vont se répandre sur les ondes, sur les écrans et dans les colonnes des journaux avides de célébrations « vendables ». Ils auront tous leur analyse, leur jugement et surtout, pour beaucoup d’entre eux, ils vanteront leur participation active à cet événement qui changea la face du monde. Mieux, regardez, écoutez et lisez : ils se glorifieront d’un moment de l’Histoire qui a confié au libéralisme économique débridé le sort de la planète. Tout le monde condamnera cette décision des bâtisseurs de la honte, qu’Israël impose pourtant actuellement aux Palestiniens dans un contexte beaucoup moins critiqué. Tout le monde s’extasiera sur la fin d’une oppression sur des peuples aspirant à décider de leur destin. Tout le monde y ira de son couplet sur les souffrances indiscutables des citoyens privés de leur liberté de pensée et frustrés de cet extraordinaire avantage offert à celles et ceux qui ne rêvaient que de… devenir des consommateurs. Rassurez-vous, il y aura bien des aboyeurs patentés pour effectuer une comparaison favorable entre la situation actuelle d’une Europe réputée heureuse de la libre concurrence, et celle, sombre, héritée des horreurs d’un conflit déclenché par un homme et un parti adoubés par le verdict du suffrage universel. Les détenteurs de « LA » vérité médiatique, inspirée par des témoignages partiels, vont se transformer en chantres d’une démocratie dont on sait qu’elle n’oppresse jamais le faible et n’avantage jamais le fort. C’est ainsi que vit désormais une société qui distille les poncifs sur lesquels prospère l’opinion dominante.
Or, il se trouve que le 21 juillet 1966, à 19 ans, avec une bonne partie de la promotion 137 de l’école normale d’instituteurs de la Gironde, je franchissais sans absolument aucune arrière-pensée le mur de Berlin, à 6h 30, à « Checkpoint Charlie », pour aller « survoler » la vie en Allemagne de l’Est, ce secteur confié au communisme soviétique pour servir de vitrine de ses réussites aux portes de l’Occident capitaliste. Un acte réfléchi et très rare pour des étudiants non inféodés au Parti Communiste Français, en une période où le climat restait « froid » entre les États concernés par le sort de l’Allemagne. Pas aisé à organiser pour le responsable de promotion élu que j’étais. Il avait d’abord fallu obtenir les autorisations des autorités françaises, qui condamnèrent durant des semaines cette volonté de ne pas se contenter des affirmations officielles. L’Office Franco Allemand de la Jeunesse (OFAJ) accepta, véritablement à contre cœur, de nous soutenir dans cette ouverture vers la RDA.
Le mur était verrouillé dans les deux sens… mais personne ne le rappellera forcément, car ce serait admettre que si les Allemands de l’est ne pouvaient pas effectivement sortir de leur forteresse idéologique, les Allemands de l’ouest n’avaient pas nécessairement la possibilité de faire le voyage inverse. Prévenus que la seule présence du tampon de la RDA sur notre passeport le rendrait «obsolète», nous prîmes pourtant le chemin de l’autoroute vers ce Berlin occidental, américanisé à outrance. Ville à soldats « néonisée » et « macdonaldisée » elle n’était accessible qu’après avoir franchi un premier « barrage » au début de l’autoroute. Une première longue galère pour s’affranchir de pseudos formalités administratives exigées par des Vopos qui avaient reçu des consignes pour continuer le blocus de l’ancienne capitale du Reich. Ce fut une rude épreuve, démontrant que tout passage constituait une affaire… diplomatique.
Le franchissement de Checkpoint Charlie deux jours plus tard, après de folles nuits dans des boîtes enfumées, fut, à la limite, plus simple. Il nous permit de découvrir un secteur de Berlin Est encore en ruines, encore mutilé, et d’une désolante tristesse architecturale, pour nous retrouver dans une auberge de jeunesse confortable, peuplée de jeunes cadres Russes venus en stage ou en soutien à un Etat qui espérait encore convaincre que l’espoir résidait dans le communisme. Rapidement, le vocable de « tovarich » installa des rapports humains, confortés par la vodka sortie des armoires. Elle s’échangeait contre des stylos billes, contre des Gauloises, contre des objets ordinaires qui manquaient au quotidien de la RDA. Chaque rencontre était encadrée par des « amis qui ne nous voulaient que du bien » et capables de tout justifier. Mais dans le fond, nous ne souffrions pas de cette situation, puisqu’elle nous plaçait en situation de privilégiés pour un superflu qui ne nous pénalisait pas. Le dialogue était stéréotypé avec nos accompagnants.
Le mur? « Quand vous voyez quelqu’un qui veut se jeter dans un puits ou du haut d’un pont, n’est-il pas logique de construire une protection pour l’empêcher de tomber dans le piège ». Le sport, alors gratuit, massif, encouragé pour des raisons de notoriété internationale? « Nous ne pourrons jamais convaincre les générations passées des bienfaits de nos actions. Nous tablons tout sur la jeunesse car c’est elle qui nous donnera raison! » La santé? « chez nous, tout est absolument gratuit et si nous n’avons pas les moyens matériels de l’ouest, personne n’est exclu de ceux qui existent chez nous ». La liberté? « Elle n’a de valeur que si on a les moyens matériels comme chez vous de l’exercer. Quelle est la liberté de celui qui meurt de faim, n’a pas de travail et qui ne peut accéder à l’éducation, à la culture, au sport parce que ses disponibilités financières sont inexistantes ou trop faibles »! Le communisme? « Il n’est pas nécessairement partagé par les gens qui espèrent exploiter les autres pour construire leur fortune »… La religion? « Demandez, et vous trouverez une église ouverte le dimanche matin, parmi celles qui n’ont pas été détruites ». Leipzig nous réserva à cet égard un accueil exceptionnel (hôtel de luxe, concert improvisé à l’orgue dans la cathédrale par Albert Schweitzer , liberté d’accès aux commerces…) comme si les chargés de propagande avaient voulu casser les images mauvaises transportées de l’Ouest. Nous avions l’impression grisante d’être des nantis au pays de la grisaille institutionnelle.
En fait, dès cet été 1966, sans être visionnaire, on sentait que le régime ne tiendrait pas, puisque le mur ne pourrait jamais arrêter les idées toutes faites, les fantasmes du profit, les communications via les ondes, qui vantaient les mérites de l’autre monde, celui des supermarchés regorgeant de produits oubliés, de la réussite individuelle, du capitalisme permettant de s’installer dans l’opulence. La RDA n’oublierait jamais le temps de son opulence liée aux productions agricoles de ses grands espaces, et de son industrie de précision. Impossible de se tourner vers l’avenir quand le passé est si pesant et le carcan si lourd..
Les miroirs réfléchissants, minutieusement passés sous l’autobus, les fouilles féroces, l’examen approfondi des listes de passagers et des passeports… les regards inquisiteurs des policiers en civil revinrent au retour, de l’autre coté de ce mur qui traversait la ville, la banlieue, la campagne comme une muraille triste d’une autre Chine. Nous étions retournés vers le monde prometteur du libre marché, de la libre entreprise, de la libre pensée. Nous y retrouvions, sur l’autre face, les premiers élus néo-nazis, de retour dans les parlements des Landers que nous visitions, car eux aussi avaient refait leur apparition, les usines qui crachaient leur fumées obscures dans la Rhur, au mépris de l’environnement des hommes qui y travaillaient jour et nuit, l’arrogance contenue d’un peuple, persuadé de sa supériorité, venant de sa rigueur et de sa vaillance.
La RDA n’a pas survécu au naufrage économique de la « non loi du marché ». Elle a simplement sombré sous l’influence du mythe de la libération par la consommation. Forcement, pour survivre, cet état artificiel usa et abusa de méthodes au moins aussi terribles que celles qu’il avait combattues une vingtaine d’années plus tôt… La fin du mur, célébrée comme un événement salvateur, a-t-elle véritablement changé la vie de toutes celles et et tous ceux qui l’ont voulue ? Si vous avez 19 ans, allez donc faire un petit tour en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne, en Ukraine, en Biélorussie ou dans certains villages de l’ex-RDA pour vous forger votre idée. Il existe aussi des murs virtuels, qui ne tomberont jamais.
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Bonjour Monsieur le Maire.
En vous souhaitant une bonne « Cagouillade » pour votre manifestation d’aujourd’hui, dans le cadre de « Label Fête de CREON », rassurons nos jeunes,car s’il existe des murs virtuels,qui ne tomberont jamais, il y aura toujours les anciens pour leurs expliquer, au moins ce qu’il y a derrière.
En tant que natif de la Charente, rien ne vaut un fagot de sarments enflammé à même le sol et un gril composer de petits gris, avec un verre de pineau rouge pour coller à la réalité du terroir,comme l’on dit.
Bien cordialement.
Je voudrais simplement mettre en exergue cet article car il illustre la manipulation extraordinaire faite autour de la chute du mur et de sa sur exploitation politico-médiatique. Extraordinaire cette mauvaise foi à laquelle Alain Juppé, François Fillon, Nicolas Sarkozy ont moins de mémoire que moi. Car me réconforte un peu… Allez voici un extrait d’un papier sur « le mur si je mens.. » la belle histoire des menteurs qui ont fait le mur mais pas l’histoire. A lire :
« Nicolas Sarkozy réécrit-il l’Histoire ? Dimanche après-midi, le chef de l’État poste une note sur sa page Facebook pour raconter son 9 novembre 1989. « Le 9 novembre au matin, nous nous intéressons aux informations qui arrivent de Berlin et semblent annoncer du changement dans la capitale divisée de l’Allemagne. Nous décidons de quitter Paris avec Alain Juppé pour participer à l’événement qui se profile », croit se rappeler le chef de l’État.
Il ne faut pas une heure pour que cette version soit sérieusement mise à mal sur Internet. De l’avis des observateurs, il était impossible de savoir le 9 novembre au matin que le mur de Berlin allait tomber le soir. Le premier à publier ses doutes est le journaliste de Libération Alain Auffray, qui écrit sur son blog : « Le matin du 9 novembre, personne à Paris – ni même à Berlin – ne pouvait soupçonner que le Mur allait tomber. Les radios et télévisions ouest-allemandes n’ont commencé à évoquer la libre circulation qu’à partir de 20 heures. » Et Alain Auffray de se demander : Nicolas Sarkozy n’était-il pas plutôt à Colombey-les-Deux-Églises pour commémorer la mort du général de Gaulle, comme chaque 9 novembre ? Une photographe qui a accompagné à Berlin la délégation RPR est catégorique : « Sarkozy avec Juppé à Berlin, ce n’était pas le 9 novembre, c’est certain