L’Entre Deux Mers reste probablement la plus belle terre en vue de Gironde dès que l’automne survient. Rien ne vaut une longue promenade sur la ligne des coteaux surplombant la Garonne ou la Dordogne pour déguster le bel ordonnancement coloré des vignes. Au moment où le soleil réchauffe ces croupes de terre humides, une légère brume vaporeuse se déchire sur les aspérités des arbres isolés. Elle dévoile peu à peu un paysage lascif, silencieux, encore mouillé par les larmes des nuages de la nuit la plus longue de l’année. Impossible de ne pas s’arrêter un instant au « Bouit », hameau magnifique, d’où l’on domine la communauté serrée sur son destin historique de Rions. La halte ressemble à celle d’un pèlerinage sur les chemins du temps.
Ici, ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous qui passons dans le temps. Les secondes peuvent ressembler à l’éternité, si l’on sait simplement aller dans le détail des couleurs qui ne sont que des touches imposées par le peintre du devenir du monde, celui qui ne laisse rien au hasard, puisqu’il possède les clés d’une alchimie des teintes. La diversité devient la règle de la richesse dans des paysages alliant la rigueur des vignes mordorées, pourpres ou jaunissantes à la fantasque implantation des bosquets orphelins de leur forêt royale d’entre deux mascarets. Cette alliance permet au regard de ne jamais embrasser la totalité des espaces, puisqu’il se perd dans le pointillisme absolu, celui de la parcelle de ce monde automnal qui refuse les cieux bleus unifiés, les prairies au vert profond, le blanc plus blanc que blanc ou la noirceur des nuits sans étoiles. De là haut, la vie des hommes se relativise, puisque leur frilosité sociale actuelle ne les porte pas à sortir respirer l’air frais d’un matin calme ou à admirer le soleil timide d’un matin riant.
Le repli sur soi incite à limiter son horizon, à ne plus entrer dans les couleurs de la diversité, à refuser les rêves, de peur qu’ils virent au cauchemar. L’automne n’annonce pas des jours meilleurs, alors que chaque jour la télévision promet monts et merveilles pour des printemps éternels. Demain, tout poussera gratis dans le meilleur des mondes possibles, avec une chute des feuilles d’octobre légères, faciles, volatiles. Il suffit pourtant de se poser au pied d’un chêne, dans le hameau du Bouit, pour se convaincre d’ouvrir son cœur vers d’autres préoccupations, portées par cette Garonne invisible, dont le sillon plantureux résiste aux couleurs de la mort programmée. Elle finira par apparaitre à travers les frondaisons dénudées, mais dans la froideur terne de sa couleur de terre, emportée vers des océans d’indifférence.
L’Entre Deux Mers se consume du plaisir que prennent les gens humbles à se glisser dans des habits colorés de princes. Il étale la palette de ses parures étincelantes sur des velours de tendresse jaunes, verts pâles ou ocres. Il laisse un cep de vigne, rouge de honte, faire son malin au milieu de rangs massacrés par la sauvagerie des machines à vendanger qui le regardent faire son intéressant. Il laisse,dans un symphonie colorée, chacun jouer, à l’insu de son plein gré, la carte de l’originalité… Le soleil, enhardi par son ascension sociale, efface les ombres humides. Les secondes devenues minutes s’agglutinent comme un reproche fait au flâneur impénitent, subjugué par l’inutile.
En bas, là bas, au bout de la route que je reprends ce dimanche matin m’attendent, à Podensac, des femmes et des hommes en gilets fluo artificiel ne voulant pas entrer dans l’hiver de leur vie professionnelle. Ils n’ont pas envie de passer leurs dimanches d’automne dans des temples de la consommation, sous les lumières atrophiantes des néons de la modernité, dans des lieux aseptisés, standardisés et surtout rentabilisés. Je ne peux pas leur expliquer que je partage leur envie d’être libres de goûter aux merveilles de la proximité, au bonheur de se ressourcer, à la simplicité des dons de la vie. Le paysage de leur quotidien reste maigre, pauvre, aride, très loin de celui qu’offre cet Entre Deux Mers aux croupes généreuses et girondes. Je me sens gêné en remontant vers « Bouit », ce hameau où l’on pourrait leur offrir le plus beau des luxes : donner du temps au temps, car c’est justement ce que leur refuse la loi autorisant le travail le dimanche. Je m’arrête encore une poignée de secondes. Je me retourne, et la lumière couvre désormais ce monde réel de la diversité dont on veut les priver au nom du profit.
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Même quand la porte de l’automne s’entrouvre et que votre plume retrouve le calme du temps qui semble se figer, vous demeurez implacablement démonstratif des travers de notre société.
Je me souviens d’un certain slogan:
L’AQUITAINE: « LA PORTE DE L’EUROPE ».
Dans les années où le développement des industries aéronautiques cherchait de la place parmi les rangs de vignes pour s’implanter en gironde, Toulouse ne prétendait pas jouer sur un slogan quelconque mais par contre au point de vue aéronautique et armement ils l’ont bien ouvert la porte.
La société d’armement dans laquelle je travaillais à l’époque avait aussi repris ce slogan marketing à son compte.
Et pourtant aujourd’hui on nous annonçait un suicide dans une usine de ce groupe (THALES).
Comme quoi dans les couleurs de l’automne il reste beaucoup de tâches sombres.
Et cette lumière qui couvre le monde réel de la diversité, dans votre dernière phrase de conclusion à tendance sérieusement à se fragiliser face au profit.
Le même profit qui voudrait nous faire acheter des lampes basse consommation dont on sait qu’elle peuvent être en fin de compte nocives, ne nous prendra pas le plus beau des « LUX »: Donner du temps au temps.
Chut écoute avec tes yeux, regarde avec tes oreilles, hume avec tes mains, palpe cette terre avec ton nez !
Eh oui aujourd’hui Dimanche, journée jardinage dans ce superbe hameau de … (chut afin de ne pas avoir trop de touristes !) à plus de 70m d’altitude, comme le soleil était riche, lui !
Et pourtant sur ce plateau viticole, en ce superbe dimanche, l’homo sapiens conardus conardus, quelques cons-génères (en deux mots) et leurs rejetons pratiquaient quad, moto trial, mini-bike sur les chemins de randonnées pédestres de la Gironde. Mais qu’on les envoie bosser ! Même le dimanche, surtout le dimanche…
Bonne semaine à toi, golfeur ou caddy (mot anglais provenant du français cadet).
Oui, quelle tristesse de vouloir priver tous ces honnêtes gens de dimanche, au nom du profit de leurs patrons.Comme ils seraient heureux de profiter de la nature, de leurs enfants, de leurs amis, comme ils aimeraient simplement cultiver leur jardin, flâner, se détendre, et comme ils ont dû être sensible à ta présence parmi eux, en ce dimanche, pour les soutenir dans leur lutte….
Mais ce à quoi j’ai été le plus sensible, c’est toute la poésie qui se dégage de ce texte, où, en dépit de la sévérité du sujet, tu décris avec une infinie délicatesse les paysages d’automne de cet Entre Deux Mers que tu connais si bien et que tu aimes tant.
Certes, le sujet était sévère, et tu as su en faire un poème plein de sensibilité, qui met en lumière toute la tendresse que tu éprouves tant pour le pays que pour les hommes.
Un texte d’une telle qualité littéraire et humaine ne peut qu’émouvoir ceux qui le liront.
On revient à la même constatation !! ce sont toujours les personnes obligées de travailler avec de bas salaires pour être certaine de pouvoir nourrir leur famille…qui travaillent le Dimanche . ELLES NE PEUVENT SE PERMETTENT DE DIRE NON AU CHEF DE SERVICE SOUS PEINE DE SE VOIR MONTRER LA SORTIE ….ce qui n’empêchera pas les gros PDG de continuer à se remplir les poches et les étiquettes à l’augmentation chaque semaine !!
Quelle magnifique description de la campagne de L’Entre Deux Mers .Une poésie qui adoucit la gravité du déplacement de Jean Marie . MERCI POUR CES BELLES LIGNES.
Ami Jean-Marie bonjour et merci pour cette magnifique promenade à travers…ta plume et l’Entre Deux Mers, méritant bien les majuscules.
Je crois que tu as tout dit ou presque (1); Alors « ite missa est »;
C’est vrai que j’ai eu surtout un faible, dans mon adolescence, pour les vins de messe; Et j’avoue qu’il y a bien longtemps ( hélas ) que je ne touche plus aux burettes; J’ai seulement conservé le goût de leur contenu!
Cependant, et ce sera la suite à mon (1), J’ai découvert les belles vignes du Libournais, en ce début d’octobre, en ayant rendu visite à St Emilion, puis très proche celles à Montbazillac en séjournant en Périgord rouge, puis en Périgord noir…que nous ne connaissions pas; Cette diversité est simplement merveilleuse; Et « on » voudrait nous en priver?
Très amicalement,
Gilbert de Pertuis en Luberon.