Les nuits d’été, lorsque le soleil a laissé la place aux étoiles, gardent une part de magie puisqu’elles arrivent à persuader les hommes que le temps vivant des journées peut dépasser les normes. Sur l’écran noir d’une soirée qui dure, on emmagasine des souvenirs de partage, qu’il soit familial ou amical, où l’ on prolonge la vie sociale institutionnelle par des rencontres, des échanges, des amours, des excès. Dans le contexte actuel d’une société du repli exacerbé, ces moments disparaissent sans que la crise en soit la cause. Le mal être est en effet plus profond que l’on veut bien l’écrire. Il ronge les esprits en restreignant les périmètres de vie collective, comme si ces moments où l’on donne du temps au temps étaient inutiles. Les fêtes de toutes tailles portent ainsi les fondements d’une valeur en voie de disparition, la solidarité.
Tant à Dax vendredi soir, qu’à Créon samedi, les étoiles étaient au moins autant dans les regards de celles et ceux qui avaient osé sortir du quotidien, que dans les cieux, pourtant privés de tout voile. Dans un cas, je n’étais qu’un parmi des dizaines de milliers de silhouettes rouges et blanches, alors que dans l’autre, de table en table, il m’était possible d’ouvrir un dialogue familier. Cette vision différente, très rapprochée, m’a permis d’évaluer que sous les cieux dacquois ou créonnais, on ne tutoyait pas les étoiles de la même manière.
Il existe en effet des rites connus et reconnus dans la cité landaise, sans que l’on sache vraiment s’ils relèvent d’un plaisir identitaire ou d’un besoin de ne pas être différent. On va en vitesse acquérir les signes ostentatoires d’une fête religieuse, ou on les sort du placard où ils attendent, soigneusement pliés, ces nuits interminables pour revivre. Les habits deviennent alors des uniformes sacerdotaux que se partagent avec plus ou moins d’originalité les participants à une gigantesque fête païenne. Ce préalable vestimentaire pourrait niveler les classes sociales, s’il n’y avait pas chez certaines ou certains une volonté démonstrative de s’afficher en tenue populaire. Il suffit pour s’en persuader de s’offrir une place sur le belvédère social que constitue la terrasse du Splendid.
Les marches conduisant vers les salons arts déco sont révélatrices de ce virage « people » d’une société des apparences de plus en plus trompeuses. On y vient promener, à la sortie de la corrida, son « blanc plus blanc que blanc » même si on nourrit de noirs desseins. L’escalier se monte avec la même élégance que celle que mettait une Joséphine Baker vieillissante à descendre celui du Casino de Paris. La fête à Dax donne l’illusion éphémère de l’encanaillement à ces « belles étrangères aux Landes », qui délaissent leurs villas de la côte pour venir tremper leurs lèvres dans la daube de taureau ou une flûte de champagne, levée à ces toreros ayant abattu le « bœuf » mal choisi par des responsables des corridas voués aux gémonies.
Des bandes de jeunes qui échappent à la répression type Hortefeux, parcourent des rues en quête de sensations fortes et avec le plaisir de la découverte collective. Des parcours nocturnes initiatiques se transmettent de générations en générations. Toutes et tous mettent leurs espoirs dans des verres enfilés comme des perles magiques. Ils boivent pour se rassurer. Ils se chamaillent pour mieux se réconcilier. Ils titubent sous le poids de leurs incertitudes sur l’avenir, et se réfugient dans la certitude que donne l’alcool. Certains rentreront totalement ivres du bonheur du partage, noyés dans leurs exploits oniriques, abasourdis par leurs audaces, surpris d’être entrés dans les interdits, convaincus que le bonheur est parfois dans la fuite.
Dax ruisselle sous une chaleur de plomb. Le soleil des cœurs réchauffe la nuit qui ne veut plus mourir. Le jaune pâle du Ricard trouble les yeux, le rosé donne des couleurs aux joues, les bulles de champagne montent vers les étoiles depuis les comptoirs de bodegas pour rugbymen fortunés ou « veuves de la vie » en mal de rencontres, qui ne rêvent que de corps à corps musclés… La fête coule à flot et enivre les esprits. Les chansons invitent à la communion ou à l’offrande dans le temple surchauffé de Los Cantadores… les rythmes des bandas résonnent dans les rues… une tuna donne l’aubade dans les salons feutrés du Splendid. Etonnant mélange culturel, ethnique, social, musical, placé sous le seul label rouge et blanc, alors que rien ne le prédispose à l’unité.
Des tonnes de frites, des hectolitres de bière, des milliers de bouteilles cadavres, partent vers des estomacs ne criant plus famine ou des gosiers assoiffés par la traversée du désert de l’indifférence. On engloutit plus que l’on mange. On ingurgite plus que l’on boit. On s’enferme dans la ouate de l’inconscience plus qu’on ne se libère sur les prés du bonheur. Dax vit sur une notoriété exotique voulant que, comme les soldats collectionnent les références de lieux de combats violents, les jeunes et les moins jeunes, les « festayres », inscrivent son nom sur les faits d’armes de leur vie.
Créon avec ses centaines de convives ne tombera jamais dans ce bouillonnement intense des émotions. La famille qui s’y retrouve chaque samedi prend simplement son temps pour regarder les étoiles qui surplombent la piste. Elle se contente de se rassurer en constatant que d’une année sur l’autre elle élargit son cercle, qu’elle goûte au plaisir discret des retrouvailles, des plaisanteries, des potins, des débats, sans se soucier outre mesure des impressions données. Sur l’écran noir de leur nuit blanche, les habitués sont rares à se faire du cinéma. Ils trainent, ils dégustent, ils plaisantent, ils échangent : bref, ils partagent, dans un espace à taille humaine, le vrai plaisir du vivre ensemble.
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Quel bel article sur le bonheur de se retrouver tous sous les étoiles, de se sentir unis par un plaisir partagé que l’on voudrait prolonger durant des heures.
Oui, ces rencontres sous les étoiles, faites d’insouciance, de convivialité et de partage laisseront des souvenirs inoubliables !
« Pas trop mal au cheveux se matin Jean Marie? Quelle super soirée, hier soir, entre gens heureux, de la bonne ambiance et de la super musique, que demander de mieux!! »
Valérie via facebook
C’est quoi une vie d’homme? C’est le combat de l’ombre et de la lumière… C’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur… Je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté.
Aimé Césaire dans « Entretiens » Editions Présence Africaine