PRINCE SANS RIRE

Mon, 21 Nov 2005 07:59:00 +0000

Albert a été sacré, samedi, Prince de Monaco. Une cérémonie qui a largement éclipsé le Congrès du Parti Socialiste, ainsi que toutes les autres facettes de l'actualité nationale ou internationale. Le 20 heures de France 2 ne s'y est d'ailleurs pas trompé, le soir, en ouvrant son journal sur cet événement décisif pour les Françaises et les Français.

Son Altesse Sérénissime Albert II, soutenu par une poignée des 32 000 habitants monégasques, acceptant d'être des  » sujets  » et non pas des citoyens, a donné le spectacle d'une splendide opérette en plein air. Les caméras s'étaient déplacées en force. Elles avaient droit de diffuser des plans de ces moments émouvants susceptibles de changer la réalité de la France. Grâce à votre taxe télévision, France 2, chaîne publique, a retransmis en direct ce spectacle d'une autre époque. TF1, plus pragmatique a flairé le bon coup financier et a engrangé de solides subsides publicitaires en ouvrant son antenne dès 10 heures. 2,2 millions de téléspectateurs ont assisté sur cette chaîne, avec passion, au couronnement, tandis que 1,2 million de personnes suivaient la cérémonie sur France 2, selon des chiffres de Médiamétrie communiqués, hier, par les chaînes. L’émission spéciale de TF1, s’est classée en tête de cette compétition, avec une part d’audience de 30,5%, indique la chaîne privée dans un communiqué, et chaque spot lui a rapporté quelques millions d'Euros. Comme Télé Monte Carlo, bien évidemment à l'?uvre, avait dépêché tous les moyens techniques dont elle dispose, la rentabilité de l'opération aura été maximum. Trois heures de rêve, gratis ou presque, ça ne se refuse pas. 

PRINCE DIRECTEUR GENERAL.- Gérant un budget, quasiment personnel, de 10 milliards d'Euros, il effectue la synthèse parfaite, vers laquelle dérivent nos démocraties, entre un rôle politique et un rôle économique. Albert est devenu, par la grâce de sa naissance, Prince Directeur Général, de droit divin, de la Principauté monégasque. Aucun compte à rendre à quiconque, en dehors d'un  » conseil d'administration « , tenant lieu de conseil des Ministres. Tant qu'il y aura des coffres forts, des plaques de cuivre pour sièges sociaux discrets, un casino fastueux, des boîtes de nuit sélectives, de la défiscalisation totale et peu regardante, des investissements incontrôlés? le règne ne posera aucun problème. Il manque aux PDG des grandes multinationales une cérémonie du sacre, similaire à celle dont les Princes sont tellement friands. Celui de l'héritier des Grimaldi a dû leur donner des idées !

Il faut cependant reconnaître qu'un malaise s'installe, car les têtes couronnées étaient finalement peu nombreuses (celle d'Espagne était excusée pour une sombre histoire de sécurité olympique) autour d'Albert, et les chefs d'Etat s'étaient faits porter pâles. L'air pur de Monte-Carlo est de moins en moins prisé par les  » grands  » de ce monde. Ils préfèrent éviter de trop se montrer sur le Rocher, dont certains aspects paraissent susceptibles un jour ou l'autre de s'effondrer. Il est d'ailleurs assez cocasse que la France ait été représentée par? SON Garde des Sceaux, Ministre de la Justice : tout un symbole.

GENEREUSES BENEDICTIONS.- Il n'a pourtant rien manqué à la cérémonie : les uniformes, les gardes prétoriennes, les musiques solennelles et le passage obligé devant le représentant de la religion d'Etat. Monseigneur Barsi, archevêque d'une communauté de quelques centaines de pratiquants et le nonce apostolique de France ont accordé leurs bénédictions à des princesses en rupture de ban religieux, à un Prince qui a reconnu un fils naturel, et a vanté leurs mérites alors que le Pape refuse la moindre concession en la matière aux divorcés de droit commun.Dans son homélie, Mgr Bernard Barsi a déclaré que le prince Albert était « le digne héritier d’une dynastie conduisant la principauté depuis plus de sept siècles ». « Aujourd’hui est un jour de joie à Monaco », a-t-il ajouté. Il a souhaité au souverain « un règne de prospérité, de paix et de bonheur, ainsi que l’attachement indéfectible du peuple de Monaco ». A la fin de l’office, Mgr Fortunato Baldelli, envoyé spécial de Benoît XVI, a béni Albert II, agenouillé devant lui. Le nouveau souverain et ses s?urs ont alors versé quelques larmes.

Fait inhabituel pour un office religieux, Albert a quitté la cathédrale sous les applaudissements de l’assistance comme si, inconsciemment, le public tenait à témoigner sa satisfaction à l'issue du spectacle. Les 3,4 millions de téléspectatrices et des téléspectateurs ne se sont posé aucune question sur cet étalage de fastes hypocrites, comme s'ils constituaient une offrande faite par un grand du monde pour illuminer leur quotidien.

RACAILLE CACHEE.- Les larmes des princesses sont télégéniques. Elles font vendre du papier glacé et plus encore de la minute de pub. Elles émeuvent beaucoup plus le Peuple que celles des mères de familles immigrées sans logement, sans nourriture et sans espoir. Cette  » racaille  » était bien loin du Rocher sur lequel, pourtant, elle se terre pour effectuer la plonge dans les cuisines des palaces, pour tondre les rares pelouses, pour nettoyer les baignoires, pour faire les lits ou pour servir dans des appartements achetés au prix d'un siècle de SMIG. Mais motus. On ne peut rien dire de néfaste sur la Principauté : Albert veille, car il sait que son avenir se jouera sur son image, et non pas sur sa capacité à gouverner.

Le monde est en effet rempli de pauvres, prêts à adorer des princes. Des princes d'opérette, des princes du sport, des princes des médias, des princes du show-biz, des princes aboyeurs de la politique, des princes de la finance, des princes du jeu, des princes religieux, et même des princes charmants : peu importe leur statut, pourvu qu'ils distribuent du rêve gratuit. Et par ces temps de disette et de malheur rampant, rien ne remplacera le rêve pour réchauffer les corps et les c?urs. Alors merci Albert, Alexandre, Louis, Pierre, Prince de Monaco, Marquis des Baux. Merci pour les chaumières de France et de Navarre !

Mais je déblogue?

 

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