DEMAIN IL SERA TROP TARD

Sat, 05 Nov 2005 00:00:00 +0000

Les mentalités évoluent lentement et le malheur veut que ce soit, le plus souvent, sous la pression des événements. La raison n'intervient en effet qu'en renfort de la réalité, mais de plus en plus rarement, en terme de changement. Dans une société rapidement mouvante, paradoxalement, les habitudes n'ont jamais été aussi prégnantes. Ainsi, lors des rencontres citoyennes communautaires organisées pour les élus et citoyens volontaires, par la Communauté de Communes du Créonnais, dès que le développement des transports collectifs est arrivé sur la table du débat, a ressurgi le principe numéro 1 de la vie actuelle : c'est excellent pour les autres. Peu de personnes présentes les utilisent, mais nombreuses sont celles qui souhaitent ardemment des mesures pour qu'ils soient améliorés.

Le seul mode de transport de ce type accessible actuellement sur le Créonnais, c'est l'autobus, dont l'usage est, par exemple, quasiment réservé aux lycéens âgés de moins de 18 ans. Rigide au possible dans son trajet et ses horaires, très moyennement confortable, de plus en plus onéreux, car lui aussi victime de l'augmentation du coût du pétrole, il ne concurrence absolument pas l'incontournable automobile. Il n'existe pourtant aucune autre alternative pour orienter différemment les déplacements pendulaires quotidiens domicile-travail et inversement, véritables plaies pour l'avenir de la planète. Dans la mesure où cette pratique du  » tout automobile  » a été encouragée, développée, planifiée depuis des années, il faudrait non pas une évolution, mais une révolution des choix individuels. Or, chacun s'accorde à considérer que la révolution est à faire? ailleurs.

Comme beaucoup de zones périurbaines, le Créonnais, en  » jachère d'urbanisation  » dans les décennies antérieures, a laissé passer toutes les opportunités de liaisons collectives avec l'agglomération, détentrice des emplois mais en revanche  » expulsatrice  » des logements. Il est ainsi tout de même assez cocasse d'entendre des habitants demander le retour d'un tramway jusque dans ces villages de la Rive Droite de la Garonne, dans lesquels il arrivait encore dans les années cinquante? Quand il a disparu, rares, très rares, ont été les usagers qui y ont vu un handicap pour l'avenir. Et prôner son retour relève de l'utopie politique tant il y aura d'obstacles à lever.

Il en fut de même quand, fin 70 et début 80, la SNCF annonça la fermeture définitive du dernier tronçon de voie ferrée reliant Bordeaux à Espiet. Elle était équipée. Les gares étaient encore utilisables. Les nuisances inexistantes. En créant le Comité de Promotion et de valorisation de cette voie en 1982, nous étions quelques élus locaux, convaincus qu’il fallait anticiper sur la crise pétrolière future. Nous nous sommes battus, durant plus de 3 ans, pour présenter un projet viable de  » transport en site propre « , sur la base de ce que l'on n’appelait pas encore le tram. Des réunions, des rencontres multiples, un travail énorme d'évaluation du coût des investissements, une estimation de la fréquentation, avaient été effectués pour tenter de convaincre les décideurs. Rien n'était somptuaire. Tout était financièrement acceptable. Peine perdue, le premier choc pétrolier oublié, et Bordeaux sous la férule Chaban étant résolument engagée dans le programme  » métro  » (qui mourra de sa belle mort quelques temps après), la proposition de quelques  » bouseux  » agités a été expédiée aux oubliettes. Le lobby des transporteurs routiers, propriétaires des lignes de bus, était passé par là.

Il aura fallu, ensuite, près de dix ans de bagarres quasiment quotidiennes, pour éviter que la SNCF, en manque d'argent, ne vende l'emprise et les stations au  » privé « . La voie verte Roger Lapébie, (aujourd'hui louée par beaucoup), a failli passer à la trappe des projets alternatifs de déplacement, à cause de l'indifférence générale pour cet espace public. Elle existe. Elle vit. Elle prospère mais? désormais quelques voix s'élèvent pour la transformer, étrange retour en arrière, en voie ferrée !

Comme quoi il ne faut jamais avoir raison avant les décideurs, qui ont souvent un train de retard !

Le tram est arrivé. Il a permis d'effectuer une opération  » lifting  » de Bordeaux, avec beaucoup de chirurgie esthétique, qui n'effacera pas le  » cancer  » de son sous-développement économique. Jamais, au grand jamais, les élus des zones périurbaines dont les habitants sont à priori utilisateurs de ce moyen de déplacement, n'ont été associés, ou au minimum informés, des décisions de la Communauté urbaine de Bordeaux. Partant du principe que seuls ceux qui paient ont le pouvoir de décider, les  » grands  » élus ont conçu cet  » outil  » à vocation collective comme leur affaire. Le Conseil général gérant, de son coté, en toute indépendance, le réseau des autobus en Gironde, aucun lien réel n’existe entre deux systèmes collectifs qui auraient dû être complémentaires. Des cars entrent encore au c?ur de Bordeaux, embouteillant le Pont de pierre, pour déposer des voyageurs à quelques dizaines de mètres d'une station de métro? Les circuits ne sont pas raccourcis au minimum sur la base des économies d'énergie pour se raccorder au tram? Les tarifs ne sont pas complémentaires, car les déficits ne sont pas comblés par les mêmes budgets? Le tram a été prévu pour rester strictement dans les limites administratives de la CUB, et aucune étude de son prolongement extra muros n'a été envisagée? Des conflits de territoires et de pouvoir annihilent toutes les coordinations possibles. En décentralisant tous azimuts (le routier à l'un, le ferroviaire à l'autre), en considérant que tout schéma global constitue une atteinte à la libre gestion des collectivités, en évitant les synergies de financement, on en arrive à des aberrations socialement coûteuses.

La situation empire pourtant de jour en jour. Tout le monde le pressent. Tout le monde le sait. Tout le monde attend une démarche de l'autre. Et c'est le calme plat. Encore une fois, il faudra une crise violente, un spasme social, pour qu'une réaction intervienne.

Celles et ceux qui avaient proposé, construit, agit, auront alors la plus désastreuse des satisfactions morales : avoir eu raison (positif), mais ne pas avoir su convaincre (négatif) !

Mais je déblogue !

Blog + : Amis lectrices ou lecteurs de ce blog vous trouverez sur http://www.liberation.fr/page.php?Article=336215 un papier sur le Congrès du P.S. susceptible de vous intéresser.

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