Thu, 20 Oct 2005 00:00:00 +0000
Il faudra apprendre à réviser tous les poncifs en vigueur sur les meilleurs amis de l'Homme. Le cheval est en effet, selon toutes les statistiques, le préféré des femmes qui accourent dans tous les centres hippiques. Si le chien résiste encore à la poussée affectueuse de la gent féminine, c'est uniquement parce que les chaussures sont moins en voie de disparition que les gibiers qu'ils poursuivent. Alors, une place libre apparaît et comme, c'est bien connu, la nature a horreur du vide, elle a doté les mâles d'une compagne modeste mais désormais irremplaçable. Durant des années elle fut affublée du surnom de « Petite Reine » comme si les « grandes Reines » avaient existé. Elle n'avait pourtant réalisé aucune percée particulière dans le monde des têtes couronnées, au contraire plutôt dédaigneuses à l'égard de sa compagnie. Et il serait bien présomptueux de prétendre qu'elle avait gagné ce titre de noblesse par une alliance calculée avec celles et ceux qui roulaient carrosse.
Née dans l'esprit inventif d'hommes soucieux d'avancer plus vite que leurs concitoyens, elle ne grandit que quand on sut justement éviter le fameux supplice de la roue pleine, et en démultipliant sa révolution. Lentement, la Draisienne avait cédé la place au Célérifère, nom barbare englouti, à son tour, par la notoriété montante du Vélocipède, dont les utilisateurs ne retiendront que les deux premières syllabes, pour s'approprier un déplacement synonyme de liberté absolue.
Apprendre à conquérir son autonomie a constitué, durant des décennies, l'objectif de millions d'enfants, impatients de caracoler au-delà des limites d'un monde étriqué. Le premier « quad » pédalant apporté dans la hotte d'un Père Noël utilitaire créait donc le ravissement. Il restait à l'apprivoiser. En boucle, dans les jambes des adultes, autour de la table de la salle à manger, dans des allées caillouteuses et malaisées, sur des pelouses chaotiques, le débutant fonçait vers d'improbables lignes d'arrivée. La première étape vers la liberté débutait dès qu'il s'attaquait à la suppression des roues auxiliaires de la stabilité. Une rude épreuve, dont les genoux colorés au mercurochrome témoignaient de la difficulté. La joie de zigzaguer sous le regard inquiet d'un mentor prévenant ressemblait à celle de ces rapaces quittant l'aire de leur falaise natale. L'émancipation, passée d'abord par la capacité à marcher, se confortait par celle de rouler.
Désormais, la moto électrique et le 4×4 motorisé ont envahi les têtes de gondole, le jeu vidéo de « racing car » est entré dans le salon? Le tricycle ou le vélo appartiennent aux déceptions de Noël. Croire que tous les gamins de 6-7 ans savent se déplacer sur deux roues appartiendrait à une vision sociale optimiste. On ne rêve plus de pédaler mais de se faire transporter. D'ailleurs, comment les cadeaux seraient-ils différents quand, en France, seulement 2% des écoliers viennent dans leurs établissements sur deux roues et qu'à Créon, 85 % d’entre eux, habitant pourtant à moins de 800 m de l'école, y sont déposés, matin et soir, par la voiture de maman ou de papa.
Et qu'espérer de mieux à un âge plus avancé quand vient l’heure de la frime.
Le vélo n'a plus aucune chance de se montrer, sauf s'il porte l'audace ou l'aventure. L'émancipation viendra avec le scooter, puis le fameux permis de conduire, sésame vers la liberté de déplacement au moins aussi capital dans la vie que le bac !. Elle ne passe plus par la bicyclette (snob) ou par la « Petite Reine » (ringarde) ou par le vélo (peuple mais manquant de moyens financiers).
Il faudra alors attendre la quarantaine frémissante pour que se réveille le cycliste qui sommeille en tout adulte, brutalement préoccupé par ses artères, son cholestérol, son c?ur ou ses rhumatismes. S'ouvre alors la période de la fameuse remise en selle. Celle qui va constituer peu à peu le défi hebdomadaire que l'on se lance à soi-même en présence des autres.
Certains retrouvent alors leurs sensations oubliées, celles qui les conduisent à martyriser leur dos, leurs genoux, leurs cuisses, leurs mollets pour aligner des kilomètres de ruban noir. Les Jean Valjean des pelotons du dimanche revendiquent le statut de forçats de la route. Ils en sont fiers comme les pénitents expiant une faute lointaine. Les coursiers au grand plateau deviennent des boulimiques de la route, des obsédés du chronomètre, des pousseurs haut du col, des maniaques du dérailleur. Ils essaient de durer, portant haut les couleurs et surtout les marques de leurs héros.
D'autres se ruent dans la boue des chemins creux, plongent dans les flaques stagnantes, escaladent des raidillons poussiéreux avec en mémoire les images des envolées miraculeuses des « varicelleux » du Tour. Ils dévalent, tels des Indiana Jones essoufflés, des sentiers ravinés, murant dans un silence apeuré les oiseaux des sous-bois. La période laborieuse des petites roues béquilles ne fait plus partie de leur vécu. Le vélo luxueux, sophistiqué, technologique leur fournit souvent une revanche sur leur passé hésitant. Le VTT s'affirme comme un outil de conquête de ce qu'il pense être la liberté absolue.
Si ces croyants du vélo sont d'authentiques pratiquants, ils trahissent parfois leur engagement en redevenant des ayatollahs de l'automobile à qui ils accordent, sans sourciller, leurs faveurs dans le moindre déplacement. « utilitaire ». Ils conduisent leur rejeton footballeur au stade en voiture, vont parfois à la salle de gym en voiture, Ils imposent des comportements contraires à la santé de leurs propres enfants avant, dans les conversations institutionnelles ou privées, de se plaindre qu'il n'y a pas assez de sport à l'école.
Ils approuvent massivement la campagne nationale contre l'obésité, la défense de l'environnement, le développement durable, les économies d'énergie?
Le vélo redeviendra, de gré ou de force, le meilleur ami de l'homme. Le pétrole n'a plus de beaux jours devant lui. Les mollets en ont à
créer. Les fesses mobiles remplaceront tôt ou tard les pots d'échappement dans la ligne de vue de celles et ceux qui rouleront vers demain.
Mais je déblogue?
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