L'AMOUR NET

Fri, 14 Oct 2005 00:00:00 +0000

Quatre millions de Français dragueraient, d'une manière ou d'une autre, par Internet. L'entrée de  » Meetic  » sur le marché boursier a tenu compte de cette époustouflante réalité. L'action s'est envolée car elle est synonyme de rentabilité immédiate. Elle a enthousiasmé, paraît-il, les fonds de pension et les retraités avides de profits rapides. Le  » chat  » amoureux va couler les agences matrimoniales classiques, va reléguer au rang de souvenirs d'une autre époque l'escalade de balcon ou la menthe à l'eau sirotée, les yeux dans les yeux, à la terrasse d'un bistrot sympa. Tout se tisse désormais sur la toile. L'amour, l'amitié, le dialogue, naissent et meurent par le biais d'une technique pour le moins anonyme, lointaine, et sophistiquée.

Les deux atouts indispensables du dragueur sont, maintenant,  un ordinateur relié à Internet et un téléphone portable dernier cri. Grâce au premier il peut, à l'instar des Vénitiennes et des Vénitiens, dissimulés derrière un splendide masque de Carnaval, se lancer sans risque d'être jugé sur son physique, dans la quête de l'âme s?ur. Le net devient alors l'atout principal du timide, du grincheux, du simplet, qui donnent ainsi le change sans risque d'être rejetés sur leur mauvaise mine. Quasimodo aurait pu séduire Esméralda grâce à la beauté de ses sentiments, et non pas la faire fuir sur son physique ingrat. Cyrano n'aurait pas eu à souffrir de la dimension péninsulaire de son nez. Ses lettres à Roxane, transitant via Internet, auraient, certes, manqué de pleins et de déliés, mais auraient eu un impact beaucoup plus large. En traquant le blog ou le forum propices, le (la) célibataire élargit aisément son horizon. En effeuillant lentement sa véritable personnalité, chacun fait un pas vers l'autre, alors qu'il garde physiquement ses distances. L'utilisation de pseudonymes ésotériques ou évocateurs relèvent de la routine. Ils autorisent tous les risques mais interdisent l'essentiel : le contact réel ! Bizarre monde que celui du virtuel, du marivaudage électronique, de la confidence codifiée. Pour vivre heureux, on essaie de vivre caché, jusqu'au moment où l'on a décidé de se dévoiler et sortir de sa clandestinité sentimentale. On lance alors une ligne à l'eau pour tenter de capturer la sirène ou le capitaine au grand c?ur.

La seconde phase débutera via le portable. Dans le monde actuel, tellement individualiste, des milliards d'heures d’échanges téléphoniques prétendent compenser l'absence paradoxale de dialogue direct. On se rassure en appelant très souvent ses proches, ses copains, son ami(e), pour lui raconter des banalités, pour lui narrer par le menu les aléas ordinaires du quotidien. Conçu pour l'urgence, le portable ne traite véritablement que l'ordinaire de la vie. Il tient lieu de paratonnerre contre la solitude potentielle. Les jeunes en ont fait un outil de lien social de proximité, tout en étant de plus en plus loin les uns des autres.

Le milieu économique en a vite pris conscience en orientant ses offres vers la récupération de ce besoin nouveau de communication permanent. Les SMS synthétisent le phénomène et révèlent sa véritable dimension. On s'aime en quelques mots codifiés, on se déteste aussi promptement. L'écrit n'a plus rien de réfléchi, de structuré. L'impulsivité prédomine. Toutes les audaces deviennent également possibles.

La solitude au milieu de tout le monde, phénomène social angoissant, sert de socle à un marché comme un autre. Elle rapporte fortement à des structures en ayant soigneusement étudié les racines. En offrant des ouvertures discrètes sur un ailleurs supposé plus chaleureux, la technique prend sa dîme au passage. La détresse, la soif indélébile de rencontre, le besoin de rompre un silence mortifère servent de bases à des pratiques mercantiles. En exploitant le fait que l'on n’existe que par les autres, les marchands du temple de la communication ont trouvé le filon.

Les rendez-vous derrière l'église n'existent plus. Les escapades à bicyclette, de bon matin, avec Paulette ne font plus naître de bouquets changeants de sauterelles, de papillons et de rainettes. Les tours de salle de bal champêtre, à la recherche de l'acceptation du partage d'un slow prometteur, appartiennent aux souvenirs des papis et des mamies. Les mots doux glissés dans une poche ne finiront pas leur existence, enrubannés, dans des cassettes secrètes. Les cartes postales délicates ne voyageront plus entre les mains des facteurs. La tendresse n'humidifiera plus un regard. Il ne restera de conquêtes heureuses, de parcours initiatiques, que des mails, des SMS, des messages, des extraits de blogs, des photos jetables? Tous, un jour ou l'autre, iront vers les  » éléments supprimés  » ou la  » corbeille « . Rien ne permettra éventuellement, à la nostalgie ou aux regrets, de refaire surface un jour.

Ce sera autant de moins à emporter dans une nouvelle solitude.

Mais je débloque?

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