Tue, 11 Oct 2005 00:00:00 +0000
La vie réelle s'accompagne souvent du secret. Il faut aller gratter sous le vernis du quotidien pour mieux comprendre comment fonctionnent des personnes dont on ne perçoit que l'apparente gentillesse. Ainsi, il paraît probablement provocateur d'affirmer que, pour certaines familles, le » vieux » est devenu une source appréciable de revenus. Ecrire cela, c'est probablement devenir iconoclaste, mais pourtant, force est de reconnaître que le comportement autour de la personne âgée se modifie. Il évolue avec la dégringolade des situations sociales, avec un environnement paupérisé, avec le sentiment que, dans le fond, toutes les opportunités de s'en sortir sont bonnes à saisir.
D'abord, le système actuel favorise des dérives que peu de monde ose dénoncer. Tout ce qui touche au quatrième âge est tabou. L'institution de l'Allocation Personnalisée à l'Autonomie (APA), destinée à conforter le maintien au domicile de gens plus ou moins valides, a vite connu ses déviances. Arrivant le 5 du mois du Conseil général, en bloc, sur le compte bancaire, elle suscite parfois des convoitises détestables. Force est de constater que, dans quelques cas, dès que la somme destinée à régler les heures de soutien accordées, est encaissée, quelques proches peu scrupuleux, s'étant fait attribuer une procuration, ponctionnent le mini pactole. Depuis que nous gérons plus de 200 dossiers de ce type, via le Centre Communal d'Action Sociale, nous avons ainsi vu la personne attributaire de l'APA régler la facture du téléphone portable du petit-fils, acheter le cadeau de mariage de la nièce, ou donner les étrennes à sa belle-fille?Mieux, le Percepteur en est arrivé , pour la première fois, à mettre en recouvrement contentieux, avec vente des biens par huissier, des prestations effectuées mais non payées par de braves papis ou mamies, inconscients du fait que l'on n'a pas géré les factures arrivées. On est alors très loin de la finalité d'une aide destinée à financer un soutien rassurant pour la personne âgée.
Ensuite, compte tenu du libre choix laissé à l'attributaire de l’embauche de la personne susceptible de remplir les tâches nécessaires à réduire sa dépendance, il arrive que l'embauche se porte sur une petite-fille, une nièce ou une bru, dont la compétence n'est nullement reconnue. On remarque alors que la personne concernée ne voit guère sa situation antérieure s'améliorer. Elle n'ose pas réclamer car, psychologiquement, elle ne souhaite pas remettre en cause la manière dont elle est traitée?Elle se tait, même quand on lui demande un avis. Douloureux pour elle d'avouer que rien n'a véritablement changé dans sa vie quotidienne. D'autant qu'elle sait que son A .P .A . met bien du beurre dans les épinards de la famille?
Enfin il y a les profiteurs. Celles et ceux qui utilisent le temps donné au père, à la mère, à la grand-mère ou au grand-père pour l'ensemble du groupe. Il y a quelques temps, nous avons appris que, dans une famille nombreuse, le père avait obtenu du Conseil général, trois heures le dimanche pour la préparation de son repas et son suivi. La maisonnée avait sauté sur l'occasion obligeant, non seulement l'aide à domicile à préparer le repas dominical pour tout le monde, mais aussi à faire la vaisselle et à ranger. Le père invalide ne pouvant manger seul, il fallait même, à la personne de service, lui donner son repas, sous l'?il du reste de la troupe indifférente?Une situation dramatique par son caractère sordide mais pas très exceptionnelle. La solidarité familiale explose dans la facilité du transfert de responsabilité vers l'intervenant extérieur.
Pour ne pas perdre le bénéfice de l'A .P.A ., certaines familles luttent parfois d'arrache-pied pour éviter le départ, pourtant nécessaire, de la mamie ou du papi vers la Maison de retraite. Ils sont encore plus arc-boutés sur cette position, quand ils savent, en plus, que la retraite ne suffira pas à faire face au coût du séjour, et qu'ils pourraient être mis à contribution. L'intérêt de la personne âgée devient vite secondaire.
Ces constats ne remettent pas en cause une mesure généralement utile. Ils posent simplement la question de sa mise en ?uvre, en passe de plomber à mort les finances des Conseils généraux. Pourquoi ne pas unifier les modalités de l'application de l'A.P.A. pour juguler des dérives moralement insupportables? S'il faut maintenir indiscutablement le principe de l'attribution, il devient urgent de l'assortir de règles claires : embauche obligatoire d'une employée d'un service collectif agréé, versement direct de l'AP.A. au service prestataire, suivi de la prestation, vérification de la qualité du service, accompagnement réel du bénéficiaire et plus encore, moins de souci de sa part car bon nombre d’entre eux ne savent pas faire face aux déclarations d'un(e) employé(e). Au nom de la liberté absolue du choix, on a perverti un concept social de solidarité capital dans une société de l'indifférence.
Chaque jour ou presque il nous faut rectifier les comportements, éviter les abus (dans un sens ou dans l'autre), repérer la maltraitance morale insidieuse de personnes âgées dépendantes, répondre à des demandes insatisfaites sur le lever, le coucher, la toilette que plus personne ne veut assurer dans le monde paramédical agréé.
La vieillesse, sans être un naufrage, n'en devient pas moins un moment de la vie de plus en plus douloureux. En ouvrant la perspective d'un allongement de la durée du passage sur terre, le progrès a oublié en chemin les dégâts collatéraux. Ils s'appellent solitude, désespoir, angoisse de déranger. Et ce n'est pas le versement d'une allocation qui les estompera totalement. Le propre de la vieillesse est de plaindre le présent, de vanter le passé, et de craindre l’avenir dit-on. Jamais on n’aura été aussi proche de la réalité de notre époque moderne !
Mais je déblogue?
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