Wed, 14 Sep 2005 00:00:00 +0000
Jamais on n’a réclamé davantage de concertation aux élus locaux. Le » concert » est à la mode, d'autant plus volontiers que les solistes deviennent nombreux et qu'il existe une chance de faire du public en tapant sur le chef d'orchestre.
Il ne se passe plus une journée sans que l'on reproche aux décideurs, quels que soient leur rôle et leur grade, de manquer d'esprit de débat et de concertation. D'ailleurs, quand cette accusation est lancée, on demande parfois la? démission immédiate du » despote « , ou tout au moins son mea culpa public expiatoire. Le problème, c'est que personne ne lit individuellement ou collectivement la même partition, et que la tendance dominante est de se regarder le nombril en agitant le spectre redoutable du retrait de l'estampille » démocrate » à celui qui assume la responsabilité collective. Un peu comme si le principe de base du » concert » n'était pas de jouer complémentairement sur des instruments différents, mais de réclamer au chef d'orchestre de renoncer à son rôle pour un dialogue long et abstrait destiné à fixer la date de la… première représentation.
Vous reconnaîtrez aisément au royaume de la concertation les spécialistes du » saxo « . Eux, ils viennent vous en passer un de temps à autre, et disparaissent aussitôt en clamant qu'il est scandaleux que l'on ait choisi l'?uvre en? leur absence. Le roi du » saxo » devient d'autant plus épidermique qu'il assiste rarement aux répétitions programmées. Il ne veut pas se compromettre et avoue sans vergogne qu'il n'a pas le temps d'y participer, car il a d'autres partitions prioritaires à partager. Le » saxo » s'époumone à rappeler qu'il n'était pas d'accord mais qu'on ne l'a pas entendu au bon moment. Il le clame haut et fort, pour qu'un jour on se souvienne de ses éclats, et pour satisfaire éventuellement un mentor caché.
Le » violon « vous le fait avec davantage de trémolos. Il pleure en vous glissant que vous l'avez beaucoup déçu; que, s'il avait su, il n'aurait pas rejoint le groupe. En général on remarque vite le premier violon, celui qui vient aux réunions, sans mot dire, car son standing lui permet de garder secrètes ses techniques personnelles. Il ne conçoit le concert que s'il met en valeur ses conceptions et son talent. La concertation n'a de valeur que si l'?uvre à bâtir correspond à son standing. Le violon se donne volontiers une image de martyr potentiel, victime de la répression féroce du chef.
Le » percussionniste « lui, aime bien le bruit. Il martèle des principes tout prêts, en se rassurant sur le fait qu'il est forcément entendu. Son comportement lui permet de s'adapter à tous les rythmes de travail. Il est à l'arrière-plan, assénant ses revendications souvent assez éloignées du thème initial. S'il aime la grosse caisse, le danger ne menace guère car il finira par lasser l'auditoire. S'il pratique la caisse claire, il faut se méfier de lui, car il a le sens de la mesure et donne le ton. L'adepte du triangle ou des cymbales s'avère très épisodique et donc facile à maîtriser. Il pratique des apparitions, sonores mais rares, ce qui vous permet de respirer.
Il vous faut davantage vous méfier des » flûtistes « . Ils vous la font leste, élégant, brillant, alerte, et vous charment l'auditoire, pour vous emmener au bord du ravin. Le concert les place au second plan. Ils savent que l'essentiel, c'est de se fondre dans la masse, de conforter allègrement le tempo général. Les flûtistes de la concertation peuvent être des Mozart de l'hypocrisie, susurrant leurs refrains critiques dans les oreilles attentives. Ils travaillent dans l’ombre.
La charge revient au » trompettiste « . Il ameute les troupes. Il galvanise les énergies. Il s'expose crânement face au chef en démontrant qu'il n'a point peur de lui et qu'il peut à tout moment rivaliser dans la diatribe. En général, on le retrouve dans les temps forts, dans les manifs, dans les occupations précédant justement? la concertation. Il impose sa présence par des envolées suscitant les applaudissements des timides et des frustrés du solo. Difficile de le ramener à la raison. Il vous fait une sonnerie de Fort Alamo assiégé, et vos propos disparaissent dans la nuit.
Le problème du chef d'orchestre, c'est qu'il doit concilier tous ces talents pour plaire, à terme, à un public peu mélomane, et surtout avide de résultats rapides, concrets, précis. Le pire de tout c'est qu'il s'épuise en répétitions, toute la journée et tous les soirs, à rechercher les sponsors dispensateurs de subventions, à contrôler les techniciens préparateurs du son final, à modérer les imprésarios soucieux de l'image de marque de leurs favoris, à écouter le silence de la majorité. Le plus dramatique pour lui, c'est qu'en plus, il accumule les désillusions, car s'il multiplie les » concerts « , plus il veut concerter, et moins il a de monde. Les absences s'accroissent. Les excuses ou les pouvoirs affluent. Les renoncements se profilent et le reproche surgit : on n'a pas le temps, car nous, on travaille !
Il est vrai que les groupes de travail, les commissions, les colloques, les symposiums, les rencontres, les débats, les? concertations, s'amoncellent sans que la société s’aperçoive que trop de réunions tue les réunions. Le seul qui en a conscience, c'est le chef d'orchestre, puisque, s'il ne vient pas, on l'accuse d'être fainéant et s'il est toujours là, de brider la discussion.
La concertation, fleur de la démocratie, survit mal dans un contexte où la gestion réduit les marges de man?uvre, où la complexité des dossiers nuit au débat, où les apparences prennent le pas sur la réalisme. Chaque jour la situation s'aggrave, et les chefs d'orchestre sont à la peine !
Mais je déblogue?
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