Difficile de rendre compte, dans une chronique, de presque trois heures passées dans le sillage d’un Président de la République, surtout quand on est l’un de ceux, parmi bien d’autres, qui ont aidé à son élection. Tout mot favorable sera taxé de flagornerie ou d’idolâtrie et tout mot défavorable entrera vite dans la catégorie des critiques inutiles ou injustes. En fait, une simple palette d’impressions prendra soit les allures de l’arc en ciel, soit celles de la noirceur volontaire. Dans le fond, l’essentiel étant de témoigner aussi sincèrement que possible, en assumant ce que l’on écrit à titre strictement personnel, le risque mérite d’être couru. François Hollande entame donc une longue série de déplacements liés à la situation économique et à l’emploi… afin de tenter de convaincre du bien-fondé des nombreuses mesures déjà prises. Un pari qui relève davantage du défi que de la sinécure, car il faudra que les médias relaient ces visites « techniques », dans une époque où ils ne s’intéressent qu’au subalterne. Et dans ce domaine, le premier constat de son passage sur le site de l’Aérocampus c’est qu’encore une fois, le « Président normal » aura fait une « visite normale », dans un « environnement normal » et avec des « échanges normaux ». Bien entendu, cela lui sera reproché, car dans le fond, ce qui faisait la force de son prédécesseur, c’était sa volonté permanente de créer l’extra…ordinaire pour justement transformer ses sorties sur le terrain en véritables événements polémiques. La forme l’emportait sempiternellement sur le fond ! Et le pire c’est que ça marchait.
D’abord, pas de claque militante pour l’accueil, pas de mobilisation ostentatoire avec drapeaux flamboyants, cris d’amour ou déclarations idolâtres derrière des kilomètres de barrières. Les gendarmes locaux, en faction avec, et c’est un constat, un camion hurleur à quelques mètres du point d’arrivée, entourés d’une poignée de travailleurs de l’AIA, (il est descendu de son véhicule pour justement ne pas échapper au contact!) crachant des slogans pour le moins simplistes et historiques du type « vendu aux patrons ! », sifflant, vitupérant en toute liberté le visiteur et levant le camp dès que le cortège se fut dispersé. Arrêt : discussion sans problème avec deux groupes distincts du Crédit immobilier et des ouvriers d’Etat en perte de statut. Normal, vous dis-je, rien de plus normal… le train train des voyages présidentiels depuis qu’ils existent avec la différence notable : le Préfet ne sera pas viré au prétexte que les oreilles présidentielles auront sifflé ! Pas une image saisissante à se mettre sous la caméra, pas une bon mot du genre « casse toi pauv’con ! » ou « descends si t’es un homme » ! Rien vous dis-je, le calme plat et une écoute placide de propos parfois pour le moins synthétiques et outranciers ! Les mêmes que ceux qu’entendait,sans les supporter, son prédécesseur.
L’accueil fut ensuite aussi simple que possible. Contraire à tout : Le Maire UMP, la Députée, le Conseiller général, les Ministres, le Président et le Directeur d’Aérocampus et les conseillers régionaux dans une sorte de pêle-mêle sympathique, mais loin des principes habituels des déplacements de ce type. Un mot pour chacun, comme s’il n’avait pas changé de statut, et même parfois un éclair d’amitié personnelle, dans un regard qui hésite entre la distanciation et l’envie de revenir dans ce dialogue amical antérieur. François Hollande n’est visiblement plus le même, car il est entré dans le corset de la maîtrise contrainte des gestes et des paroles. La bise à Martine Faure… comme pour témoigner qu’il n’a pas perdu la mémoire en grimpant au sommet de l’État, un « bonjour monsieur le Premier Ministre ! » à Alain Juppé, mais guère plus pour le comité d’accueil… Il est au boulot, et son boulot c’est justement d’aller vers celles et ceux qu’il faut convaincre. Rien d’anormal. Rien d’extra…ordinaire ! Que du normal sous tous rapports.
La visite des ateliers se déroule dans une mêlée générale entre caméras, « micros rallonges » ou portés par des mains tendues vers d’éventuelles paroles susceptibles de meubler une rubrique du Petit journal ou des mares du Canard enchaîné… Mais rien. Une saine curiosité sur les parcours personnels, les conditions de l’orientation, la motivation ou les conditions de vie des jeunes. Un dialogue paisible, détendu, direct et sans filtre, avec des élèves ou des étudiants peu impressionnés, peu stressés et surtout heureux d’être enfin placés dans un contexte où ils peuvent exprimer leur plaisir d’apprendre. C’est probablement le moment le plus anormal de la visite, puisque personne ne lui présente une doléance, n’exprime une frustration, un besoin ou une inquiétude… Bien évidemment, une certaine déception, une vraie frustration régnait dans la cohorte des dévoreurs de sensationnel. Il y avait même des professeurs fiers de leur métier et de ce qu’ils apportaient à l’établissement… A désespérer dans le contexte actuel, tellement ce Président est attentif, ouvert, à l’écoute.
Il restait le discours devant un parterre mixant élus nationaux ou régionaux, acteurs économiques, institutionnels, enseignants, élèves… et invités de la Région Aquitaine. Structuré, dépouillé, dense, il avait pour objectif de convaincre que la France dispose d’atouts concrets non négligeables pour la relance, et que souvent ils étaient inexploités, oubliés, boudés et finalement non utilisés. Rôle décisif des collectivités territoriales en matière d’investissements, soutien aux innovations, à la recherche, à la compétitivité, aux fonds propres des entreprises, car « il n’y a pas d’avenir possible sans investissements (…) Nous avons besoin d’une vision à long terme d’une ambition collective » et « j’ai demandé au gouvernement de préparer une feuille de route pour dessiner la France des prochaines décennies ».
Un discours cohérent, structuré, pragmatique mais manquant de « piment », quand il ajoute que « tout l’enjeu, ce n'(était) pas d’aller chercher des investissements nouveaux, nous n’en avons pas à notre disposition sur le plan budgétaire, mais de mieux mobiliser ce qui existe déjà ! »Partisan d’une méthode « pragmatique », il a défendu les partenariats publics-privés (PPP) pour investir dans « cinq grands domaines d’investissements essentiels » : le logement, la rénovation thermique et la transition énergétique, le numérique, les transports, l’aéronautique. Ouf ! Dangereux que cette doctrine que j’ai défendue publiquement et que je défends encore, car l’appréciation ne doit jamais être globale mais au cas par cas ! Quand il appelle à utiliser tous les dispositifs existant, estimant notamment que la France ne devait pas hésiter à « aller au guichet de la BEI » (banque européenne d’investissement), soulignant qu’elle avait participé à son augmentation de capital ». Il a aussi préconisé la « promotion du crédit d’impôt compétitivité emploi »… rien de sensationnel, de spectaculaire, de dérangeant, de polémique. Bref du normal ! Résultat : 30 secondes d’images dans le JT de Pujadas !
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Un Président qui semblait être à l’écoute des manifestants, deux groupes distincts, les employés du Crédit immobilier de France, avec qui il s’est longuement entrenu puis il a écouté les cégétistes des Ateliers Industriels de l’Aéronautique (A.I.A.), qui craignent pour leur statut d’ouvrier d’Etat.
Rien de plus normal quoi !
Images : http://youtu.be/EIVkq8v2MHc
Ça change, pas de formule lapidaire, pas de déclaration tonitruante de circonstance à l’emporte-pièce, pas de promesse démagogique, pas de stigmatisation, pas d’aboiement hargneux de roquet, pas de claque rameutée, pas de sélection des proches participants en raison de leur taille, bref rien de ce à quoi on nous avait habitués depuis une trop longue période.
C’est vrai, ça change. Et quand ça change, ça s’appelle le changement.