Thierry Roland l'alchimiste de la passion populaire

Les hasards de la vie m’ont conduit à travailler en 1983, durant quelque temps, comme stagiaire au service des sports d’Antenne 2. Le rêve. Côtoyer… ces professionnels que je ne connaissais que par télé interposée constituait pour moi un rêve. J’avais obtenu ce privilège grâce à Michel Fradet, grand reporter sportif à Sud-Ouest, qui m’avait recommandé auprès de Robert Chapatte. J’arrivais donc sur la pointe des pieds dans une équipe de véritables vedettes du petit écran, dans le courant du mois de mars. Le Libournais Jean Mamère me prit sous son aile bienveillante (c’était un garçon d’une exceptionnelle gentillesse) et j’eus le privilège (ç’en était un véritable!) d’être mis en doublette avec Roger Zabel, chargé des relations entre le service et les journaux télévisés. J’entrais donc dans ces réunions de rédaction, durant lesquelles se confectionnaient le 13 h, le 20 h et le rendez-vous de la nuit. J’en ressortais toujours avec moins d’illusions que lorsque j’y étais arrivé, puisqu’à ce moment là un certain Patrick Poivre d’Arvor était aux commandes… J’y retrouvais également celui qui était au faîte de sa gloire après le Mondial espagnol, Thierry Roland… dont la gouaille faisait polémique mais séduisait aussi un public de plus en plus large. Il passait très rarement dans les bureaux, et je fus vite chargé de préparer ses fiches. Il arrivait en effet au tout dernier moment, notamment le mercredi, lendemain des journées en nocturne, puisqu’il devait vers 13 h 30 commenter un résumé des différentes rencontres. En jean, sans cravate (à l’époque ce n’était pas encore un signe de décontraction) il déboulait dans son bureau pour s’installer dans le studio. Il m’empruntait ma veste de « stagiaire sage » pour se coller au boulot. Une improvisation totale puisqu’il n’avait pas vu une seule image mais avait simplement lu tous les comptes-rendus de l’équipe. Cette fausse décontraction était en fait un filtre de sa passion . Pour lui, le langage était spontané et le récit ne devait absolument pas prendre le pas sur les faits. Il savait relativiser la valeur du sport, et même si mes propos vont à contre courant de tout ce que l’on peut écrire ou lire depuis son départ pour un terrain vert parfait, il avait compris que la passion transmise vaut toutes les compétences techniques. Il constituait avec Robert Chapatte et beaucoup plus avec Roger Couderc le trio de choix d’Antenne 2 . J’ai en mémoire ses plaisanteries que n’auraient pas renié l’almanach Vermot, ses traversées de ce troupeau de « têtes enflées » qui vivaient hors du monde dans l’avenue Montaigne, à quelques encablures de la tour Eiffel.

Lucide et surtout pragmatique, le Thierry Roland d’alors avait eu l’idée de s’associer avec un « Jamimi » Larqué auquel il téléphonait longuement tous les jours ou presque, avant de s’éclipser pour faire ce que l’on appelait des « ménages ». Ces « animations » de stages, de symposiums, de rassemblements où on se contentait de récupérer sa célébrité pour une marque ne lui plaisait guère, mais il compensait la faiblesse des émoluments d’un service public pas très foot ! Il fallait vite régler les problèmes avec lui, car il n’était toujours que de passage… vers un autre sport, un autre commentaire. Thierry Roland était un journaliste non transmetteur. Il collectionnait les infos, il les stockait et les emportait chez lui à quelques pas du bureau. Il accumulait les souvenirs écrits mais ne se servait que rarement de ce qu’il avait appris. Il était d’abord supporteur du spectacle qu’il commentait puis, si la France était concernée, supporteur des Français, au même titre que pouvait l’être Roger Couderc dans le monde de l’Ovalie. Tout était chez lui du premier niveau, ce qui le rendait accessible et surtout compréhensible du plus grand nombre. Il savait que pour devenir populaire, il était indispensable d’être aussi parfois populiste, ce qui expliquait des dérapages non calculés mais qu’il ne regrettait pas !

J’ai ensuite croisé Thierry Roland sur des rencontres de haut niveau (il ne commentait que le niveau international et les moments clés du football). Il avait la même attitude reposant sur le naturel, l’improvisation, la simplicité. Il collait au direct « brut », sans jamais vouloir enterrer le déroulement de la rencontre sous des tonnes de détails, de précisions, de considérations historiques ou techniques qu’il possédait, mais dont il savait qu’elles ennuyaient le téléspectateur. Pour moi, il était de la lignée de ce que fut Georges Briquet pour la radio : il transformait une réalité, parfois pas très enthousiasmante, en épopée. Pour ça, il n’hésitait pas à simplifier outrancièrement les faits. Un zeste « beauf » et même raciste, doté d’une extraordinaire mauvaise foi, il avait connu la célébrité. Sa première « gaffe » remonte au 9 octobre 1976, lorsque, pendant un match de l’équipe de France contre la Bulgarie, à Sofia, il s’en prend violemment à l’arbitre écossais qui a sifflé un penalty en faveur des Bulgares. «M. Foote, vous êtes un salaud !», s’écrie-t-il en direct. Furieuse, la chaîne, Antenne 2, veut le sanctionner, mais recule face à la réaction des téléspectateurs qui envoient des lettres de soutien par centaines. Il avait des éruptions que l’on considérerait maintenant comme racistes ou misogynes, mais… vite excusées et oubliées. Et c’est vrai qu’il recevait des dizaines de lettres par jour. Beaucoup d’insultes ou de reproches émanant de « spécialistes » attentifs aux nombreuses approximations de celui qui se considérait davantage comme un porte-parole du peuple que comme un journalistes éthiquement irréprochable, ce qui agaçait profondément des professionnels se parant dans leur ennuyeuse rigueur. Thierry Roland appartenait à une époque de la télé ; celle de la passion transmise par écrans interposés. Il faisait entrer dans les salons ou les chaumières, un nationalisme sportif simplificateur qui parlait davantage au cœur qu’à la raison. Et il avait le courage de l’assumer… ce qui est rare dans son milieu!

Cette publication a un commentaire

  1. DEGRAVE Michel

    Miroir brisé…
    Par la petite lucarne, il apparut à notre image: plutôt français, plutôt moyen que Coréen…
    Ce fût son charme que de savoir flatter nos instincts partisans, chauvins et parfois, pourquoi pas, patriotiques.
    Il jurait, insultait, critiquait comme nous…
    Il aidait à supporter l’insipide du match « qui ne tient pas toutes ses promesses ».
    Tout ballon qui roule lui sera reconnaissant pour l’amour porté à ce sport, amour unanimement reconnu et apprécié.
    S’il y a un au-delà, c’est sûr qu’il va encore la ramener, critiquer, contester, applaudir, vibrer, chercher à faire aimer, tant que tournera la Terre, comme ce ballon de sa passion!

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