Dans la cour des grands maires, il est indispensable de marcher sur la pointe des pieds… surtout quand on arrive sans avoir fait le cours préparatoire. On entre dans la salle où sont soigneusement rangées les tables autour desquelles sont installés des élèves studieux écoutant le « maître ». Un petit homme austère, rigoureux, parlant haut et clair, interrompt son propos pour commenter l’entrée impromptue du nouveau venu qui a, en plus, quelques minutes de retard. Je le connais, car depuis de longs mois j’ai de loin suivi sa « pédagogie », inspirée par des valeurs dans lesquelles j’ai baigné depuis des lustres : solidarité, efficacité, laïcité. Sorte de Gavroche batailleur de la politique, n’ayant peur de rien ni de personne, il a été investi des fonctions de Secrétaire général de l’Association des Maires de France. Par un concours heureux de circonstances, il m’a demandé de venir le rejoindre pour le seconder dans cette fonction qu’il occupe au nom de la Gauche. Me voici donc à cet instant secrétaire général adjoint de la plus grande association d’élus d’Europe avec près de 37 000 adhérents… L’achèvement d’un parcours qui ne réjouira pas obligatoirement tout le monde, même s’il repose exclusivement sur un principe : le boulot, rien que le boulot, mais toujours le boulot ! Aucune intrigue ! Aucun complot ! Aucune mesquinerie ! Uniquement la reconnaissance d’un investissement durable au service des autres élus…qui me conduit dans cette pièce où je suis déjà entré comme maire lambda !
Les premières minutes me confortent dans mon sentiment : ici ce n’est pas la place que l’on occupe sur la place publique qui compte, mais la capacité que l’on a à s’investir dans les missions que l’on vous a confiées. Pas une seconde d’appréhension ou de méfiance de la part d’un groupe de fortes personnalités. Instantanément, celles et ceux qui sont autour du café dont j’ai grand besoin, adoptent le « nouvel » élève et acceptent qu’il prenne part au débat. L’AMF ne va pas très bien. Comme les élus qui la composent. Le quinquennat qui s’achève a largement entamé le consensus qui régnait en son sein.
Il est de plus en plus difficile aux élus de Gauche, largement majoritaires dans les plus grandes collectivités du pays, d’admettre une part congrue du pouvoir au sein de cette institution. Le sarkozisme a détruit un climat de confiance, jusque là relativement serein. Dans les mois à venir, la situation risque bien de devenir de plus en plus tendue. Après un tour d’horizon sur les sujets inscrits à l’ordre du jour du bureau, la troupe résolue rejoint au sous-sol l’auditorium. Tout le monde connaît tout le monde, et c’est encore plus dur de se sentir à l’aise. Jacques Pélissard, Président UMP, constate vite que ses troupes ont oublié de venir… Une bonne demi-douzaine de représentants du pouvoir en place dont Christian Estrosi, en mission mais très pressé, qui s’est égaré dans le camp… de la Gauche, qui compte une quinzaine de membres. Sacrée ambiance pour mon premier rendez-vous !
Deux textes européens, directement inspirés par la « concurrence libre et non faussée », mettent à mal la notion de délégation de service public. Tout le monde loue la volonté d’harmonisation mais s’inquiète du carcan réglementaire mis en œuvre par une directive d’une effarante complexité, qui vise notamment les services sociaux, éducatifs et culturels ! Une nouvelle destruction de la spécificité française, au nom de la moralisation des marchés dans les pays de l’Est, hâtivement englobés dans l’Europe libérale. Par ailleurs, une autre démarche de Bruxelles va encore complexifier le code des marchés publics. Les amendements sont adoptés, mais nul ne sait véritablement si le parlement européen les adoptera, puisque les principes anglo-saxons dominent toutes les décisions qu’il prend !
Christian Estrosi bouscule l’ordre du jour. Il est en mission. Il vient rendre compte de ses négociations avec les syndicats des policiers municipaux. Distribution d’avantages salariaux et statutaires, en totale contradiction avec les critiques de son camp sur les dépenses des collectivités territoriales trop élévés. Mais on n’est plus à une contradiction près. Visiblement, l’UMP ne croit plus à la victoire de son « sauveur », et le Maire de Nice est venu tenter de sauver sa brillante idée d’armer jusqu’aux dents les policiers municipaux… Avec la compréhension de Pélissard, mais visiblement pas avec celle des autres élus du centre ou de droite présents, il veut retirer au Préfet le droit de se prononcer sur une décision d’armement collectif des forces de sécurité communales. En quelques minutes, il est facile de comprendre que Guéant est dans ce corps…et que la crainte c’est que l’exploitation sécuritaire avant les municipales ne soit plus possible avec des représentants d’un autre État. Séquence époustouflante. Voyant qu’il est largement minoritaire, Le Président dégaine le mi-chèvre mi-chou en évitant un vote. Refus unanime de la Gauche contre ce qui ressemble à une ruse de vieux matois de la politique. Pélissard baisse pavillon. Le statu-quo est maintenu. Le vent tourne !
Sur les déchets, je me prépare à monter au créneau sur la nouvelle entourloupe du monde du profit sur Eco-folio (collecte et tri du papier). Prévenu de la menace qui pointe, le Président recule, renvoie les dossiers du jour en commission et évite ainsi une nouvelle capitulation dans les négociations. « Tu as beaucoup de chance me souffle Christophe Sirugue, député Maire de Chalon sur Saône, car je n’ai jamais vu autant de reculades ». En tous cas, je suis heureux, très heureux, car je me retrouve au milieu de grands maires qui ont le courage de faire de la politique. Quel gros mot dans l’auditorium… de l’AMF où justement on ne survit, comme en Gironde d’ailleurs, que sur le fallacieux principe que celles et ceux qui comptent sont celles et ceux qui soutiennent la Droite, par leur non engagement fallacieux au service des collectivités territoriales. Quel bol d’air frais pour le quotidien !
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Des grands maires ou des grands pairs ?