Quand on s’engage dans la vie publique, il faut être persuadé que pour réussir il faut être seulement utile. Plus longtemps vous savez vous rendre indispensable et plus vous pouvez espérer vous en tirer. En revanche, dès que vous n’êtes plus dans le circuit ou que vous vous laissez glisser à l’arrière du peloton, vous êtes certain que l’oubli sera extrêmement rapide. L’autre certitude, c’est que votre importance se mesure au nombre d’amis que vous avez, mais plus encore à la durée de leur amitié… Ils peuvent être une ribambelle, mais rien que le temps de vous piquer quelque chose, avant de repartir vers d’autres proies à vampiriser. Et encore en politique, notamment, retenez ce principe confié par André Labarrère : « plus quelqu’un te serre la main longtemps (NDLR : et il savait le faire au point qu’on l’appelait toque manettes), t’assure de son appui, et plus tu peux être certain que c’est un ennemi ! » Jamais ce constat n’a été aussi vrai, car les pires adversaires sont dans son propre camp, et pas souvent dans le camp adverse, car ceux-là sont connus d’avance et donc maîtrisables !
Plus on s’élève dans la hiérarchie et plus l’ingratitude constitue la base du fonctionnement des élites. Il ne peut y avoir de liaisons authentiques entre des personnes qui occupent des responsabilités similaires ou comparables puisque; par essence; elles deviennent à un moment ou à un autre rivales ! Dans ce monde, on a donné l’illusion, ou on s’est donné l’illusion, que l’on était entouré de gens qui vous adorent alors qu’ils se comportent, à la première occasion, comme un pilier de l’équipe adverse qui se fait plaisir en vous écrasant la gueule si vous tombez devant lui dans un maul !
La sincérité représente un poison mortel, une sorte de breuvage qui vous tord les boyaux quand vous osez l’avancer. Surtout, il est impossible de mesurer réellement l’estime que l’on vous porte, car dès que vous avez le dos tourné il est inexorable que l’on vous taille des costards.
Interdit de travailler avec enthousiasme, car c’est vécu comme de la provocation par celles et ceux qui se planquent en permanence pour ne pas agir. Il faut donc essentiellement apprendre à la fermer… pour ne pas prendre de risques. Attention si vous faites référence dans vos propos à des « valeurs », car ça fait vieil « instit » acariâtre. Pour réussir, ne jamais contrarier quelqu’un, surtout si ce qu’il dit est absurde ou intolérable. Ne pas entendre, ou faire semblant d’être sourd, constituent des atouts indéniables pour réussir. Toute remarque, surtout si elle est argumentée, prend des allures d’agression.
Allez, répétez après moi : « Tout le monde est beau et gentil ! », même les pires ringards, car ils porteront au pinacle votre image et diront de vous que vous êtes un mec bien, ne faisant pas…de politique ! Ne vous attachez donc à personne, car ce peut être un boulet pour la suite de votre carrière, ou une mauvaise fréquentation que l’on vous reprochera de longues années plus tard, en sortant une photo d’archives.
Dans le quotidien, il est essentiel d’être gris muraille et de ne pas sortir des sentiers battus pour pantoufler heureux. Et alors, le pire arrive quand vous avez une idée novatrice ! Là c’est l’hallali ! N’imaginez pas un instant être le propriétaire de votre initiative, puisque d’une manière ou d’une autre, quelqu’un de la catégorie supérieure, vous la piquera pour s’en approprier la paternité ou la maternité. S’il est entouré de « communicants » dévoués, la situation deviendra encore plus complexe, car ces derniers doivent pomper l’énergie des autres pour la mettre au service de leur mentor ! Là encore, si on le sait à l’avance, on n’est jamais déçu, mais si on s’attend à ce que l’on vous rappelle que vous étiez à l’origine d’un événement qui marche, on tombe vite en dépression.
La vie publique se résume dans un principe clair et confirmé par tous les vieux routiers : « chaque fois que l’on rend service à quelqu’un, quel que soit son niveau social ou son rôle politique, il vous en veut énormément, car vous avez fait de lui une personne redevable ! » Et c’est devenu une tache dans son parcours, puisque chaque fois il aura peur que vous le lui rappeliez. Il deviendra distant et se détournera rapidement, en pensant que vos routes ne doivent plus se croiser, au prétexte souvent encore plus répandu que vous vous avez réussi et que lui n’a pas toujours gravi les échelons. Forcément, votre réussite sera suspecte. Elle ne sera analysée que comme le fruit d’une inextinguible ambition, et on se méfiera de vous comme de la peste, surtout si vous bossez, vous bossez, et êtes toujours présent. L’interrogation est sans cesse présente dans les regards : « que cherche-t-il ? Est-ce un rival ? pourquoi fait-il ce que les autres ne font pas ? Quelle place veut-il prendre ? On ne parle que de lui ? Bien évidemment, personne n’admettra que vous n’avez rien demandé, et que si l’on vous charge de responsabilités, c’est tout simplement que d’autres ne les ont pas voulues, car ils ne veulent pas gâcher dans des combats leur vie personnelle.
Une lueur authentique d’amitié devient aussi précieuse que la lumière du jour après une nuit de doute. Vous la guettez à la fenêtre du quotidien, parfois durant des jours et des jours. Et comme souvent vous êtes happé par la redoutable obligation, quand vous la dénichez il est trop tard… vous avez abandonné la vie publique ou elle vous a abandonné !
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Ou comment se sentir un homme quand ce mot prend des significations étranges, pour ne pas dire étrangères l’une à l’autre !
Du temps de Lino Ventura, être un homme était l’apanage de quelques voyous se refusant à la compromission. Question de point de vue…
Du temps de Nicolas Hulot, être un homme ressemble à s’y méprendre à la philosophie de l’ours des montagnes, agrémentée du plaisir savant d’un progrès technique contenu.
Sans oublier la femme qui est un homme comme les autres quand on parle d’être humain.
Sans oublier non plus ce qui fait la fierté d’homme d’un porteur de montre rollex et celle d’un indien d’Amazonie.
Il en va de même du mot ami semble-t-il, avec comme dernière innovation l’amitié crée en réseau sociaux, sans parler du fameux « j’aime » de facebook, mis à toutes les sauces. Un vidéo monstrueuse sur la déforestation au Congo, » j’aime » !.
Rien de bien grave au fond, puisque nous avons, nous vieux cons, réinventé une nouvelle façon de prouver notre amour en amitié :
nous ne nous disons rien et le savons bien !
Pourquoi ai-je l’impression, Mr Darmian, que vous découvrez l’humanité en avançant en âge ?
Le monde de l’humain est comme une mine de diamants, quelques pépites de pure lumière au milieu d’un monde de glaise et de roches dures…
Qu’y pouvons-nous ? S’accrocher aux pépites et ramer dans la glaise…
Texte amer et désabusé qui semble le reflet d’une grande expérience !
Expérience vécue, probablement, expérience incommunicable.
Mais que ça sonne vrai et que c’est bien dit.
Privilège de gens plus très jeunes qui s’y reconnaissent.
On ne découvre rien, on constate.