L'air n'est vraiment pas meilleur ailleurs

Il n’est jamais inutile de prendre ses distances avec le rythme de la vie quotidienne pour pouvoir mesurer combien parfois nos préoccupations sont dérisoires par rapport aux réalités de la vie. Il suffit chaque matin de prendre la presse du lieu où l’on se trouve et de chercher la trace de la France pour admettre que ce qui nous paraît essentiel n’a qu’une importance relative ailleurs. Même les soucis personnels s’effacent devant les autres réalités que l’on côtoie. Voyager hors des chemins battus, en toute liberté, sans aucune connaissance réelle des comportements, lave les esprits obsédés par ce qu’ils pensent fondamental.
D’abord parce que ce n’est pas en regardant France 5 à l’étranger que l’on a une idée exacte de ce qui se passe dans le beau pays de France. Editions des journaux télévisés édulcorés, au prétexte qu’il faut les condenser. De l’eau tiède que n’importe quel Secrétaire d’État aux Français de l’étranger pourra réchauffer à sa guise, puisque de là-bas, à l’autre bout du monde, on ne baigne que dans du Pujadas ou du Leymergie, c’est à dire de « l’incisif » et du « glacial »… Terrible cette France instillée avec des reportages à l’eau UMP, réducteurs et le plus souvent aseptisés, afin de ne pas affoler celles et ceux qui sont allés chercher fortune ailleurs. Elle dégouline de ce fameux principe de Pangloss : « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » pour ceux qui sont philosophes, ou par le fameux refrain : « Tout va très bien Madame la Marquise ! ». Comme la presse écrite étrangère se contente de résumer les splendides condensés de l’AFP, et que trouver un quotidien français dans un aéroport relève de la mission impossible, il faut avaler des propos lamentables de Copé, repris en boucle, commentant le basculement du Sénat à gauche. D’ailleurs, pour arriver à savoir quel est le rapport exact des forces, il vaut mieux avoir un bon téléphone mobile permettant d’accéder aux sites Internet. Le Français de l’étranger ou le Français de passage à l’étranger n’a que CNN ou BBC World pour lui donner une vision réelle du pays des Bisounours ! Pas un mot sur le saccage du tissu républicain causé par la réforme des collectivités territoriales qui sont aussi nombreuses au Québec que chez nous. Pas une allusion à ce ras le bol des élus de base ne sachant plus comment concilier palliatif et services publics
Ensuite, même sans avoir la science infuse des grands « je sais tout » médiatiques, on peut aisément prévoir les sujets qui préoccupent le peuple parmi lequel on vit temporairement ou durablement. Au Canada, vous ne devinerez jamais ce qui mobilise les énergies ?
Tout simplement les affaires, avec le financement des campagnes électorales des conservateurs ou des libéraux par le milieu du bâtiment et des travaux publics. On vient de découvrir, grâce à la « cellule anti-collusion », que les entreprises du BTP minoraient le dosage du béton, volaient sur les épaisseurs de matériaux, s’entendaient pour se partager les chantiers, grâce au fait qu’il n’existe plus de fonctionnaires pour les contrôler. Le Canada s’étonne que les purges organisées parmi les fonctionnaires aient conduit depuis plusieurs années à une privatisation des certifications ou des contrôles. Des « agences » vérifient, pour le compte des élus ultra libéraux, les travaux, et… les ponts se fissurent, s’effondrent ou sont interdits à l’usage prévu. Les « valises » ont atterri dans les bureaux ministériels ou sur des comptes personnels…, et l’on débat pendant des heures sur des télévisions encore plus « faciles » que les nôtres, sur le fait de savoir s’il faut une commission d’enquête à huis clos ou publique. « Nous tournons le dos à la politique avec une indignation fracassante » écrivait dans une tribune libre un sociologue québécois.
« Cette attitude qui fait signer des pétitions pour n’importe quoi ne sert en fait qu’à excuser notre incapacité à nous rebeller. Nous crions très fort mais nous ne résistons pas et nous refusons d’agir avec celles et ceux qui luttent. Nous sommes devenus des « indignés » systématiques mais pas des actifs motivés ». Mais ce gars là a effectué son étude en France, quand on regarde les reportages de France 2 effectués à quelques centaines de mètres de la rédaction, dans des écoles parisiennes bon chic bon genre où, bien évidemment, les parents des élèves privés de classe en raison de la grève des enseignants, s’indignent de cette « journée perdue ». Quelle caricature d’une France de « fainéants » et de « gueulards », mais elle marche !
Enfin, lorsque les kilomètres vous séparent de votre lot quotidien, vous oubliez tellement vite que le temps n’a de valeur que s’il est consacré aux autres en général et aux vôtres en particulier. En rentrant, vous apprenez qu’une vie s’évapore en quelques jours avec un énième cancer foudroyant. La véritable guerre serait à mener contre ce fléau dû à des contextes uniquement marqués par le culte du productivisme, le stress ravageur, le manque de structures médicales spécialisées, des délais d’attente interminables, un système médical en débâcle. Prendre l’air d’un autre monde, c’est dans le fond se donner l’illusion que l’Homme serait parvenu à se débarrasser du boulet de ses exploiteurs sans scrupules. Le seul avantage qu’offre la position de touriste, c’est que l’on n’a aucune responsabilité dans ce que l’on croit facilement relever des l’initiative des autres. Un peu comme chez nous quoi !

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Cette publication a un commentaire

  1. batistin

    Bonjour monsieur Darmian. Heureux de vous retrouver, reposé et mordant !

    Le refus du guerrier. par Batistin artiste

    Je vis au beau milieu des bois au centre de la France, à 800 mètres d’altitude, et n’ai au fond de vrai relations avec le monde extérieur et les malheurs du monde, mis à part internet et la télévision, que le bruit assourdissant des avions militaires qui passent au-dessus de ma maison.
    Ils passent d’ailleurs vraiment très près, à un point où je peux quelques fois presque entrevoir ou imaginer la couleur des yeux du pilote. Les yeux clairs d’un homme assumant pleinement son plaisir et l’utilisation qu’il fait des progrès réalisés par l’humanité.
    Si ce n’était cette mécanique bruyante et inquiétante qui me ramène à ce que doivent subir celles et ceux qui survivent aux bombes, je me sentirai l’âme d’un guerrier !
    Bien à l’abri sous mon pommier sauvage aux fruits un peu acides, je n’ai de cesse, entre deux copieux repas de refaire le monde et de cracher sur les puissants avides et monstrueusement inhumains.
    Je peste et tempête, entre deux rots et quelques pets, avant chaque sieste digestive, celle du juste évidemment. Au fond, il me suffit d’éteindre internet et la télévision pour ne profiter, jour après jour que des bienfaits offerts. Le ciel bleu la journée, étoilé la nuit, le chant des oiseaux et au loin quelque chien qui aboie. Tout cela me porte à la philosophie, j’attends l’hiver en rentrant du bois comme les arbres économisent la sève en abandonnant leurs feuilles. Un rythme sans cesse renouvelé où le combat qui se livre entre la pierre et le lierre n’a pour effet que d’offrir un nouveau repaire à quelque petit animal.
    Une douce aventure teinté de rouge sang parfois quand mon chien conquérant se saisit d’un rat taupier et le croque à pleine dent. Ce qui me ramène tout à coup à la dure réalité.
    La promenade dominicale dans la nature domptée de nos parcs paysagés n’ayant il est vrai rien à voir avec la vie des hommes ayant à chasser pour survivre. Ni avec celle de ceux qui aujourd’hui, maintenant, là tout de suite, quelque part sur cette Terre sont en train de mourir de faim dans quelque contrée asséchée ou sont en train de mourir d’ennui seuls et abandonnés dans quelque mégapole.

    La contemplation que m’offre le recul quotidien de l’isolement n’a de cesse d’être obstinément empêché, lorsque je me « connecte » au monde, par la conscience que j’ai de la vacuité de tous les discours politiques. La nature ne supportant pas le vide, le creux du discours est toujours et irrémédiablement empli d’argent. L’argent, les finances, le budget, les économies, les affaires, l’amortissement, la banque, la dette, l’impôt, l’inflation, crédit, la dette, l’emprunt, la monnaie, la taxe, la capital, la bourse, le commerce, les dépenses et j’en oublie…
    Quand il suffirait à notre bonheur de discourir sur le sens que nous voulons donner à nos vies.
    Refuser de courir pour enrichir un système qui appauvri nos âmes est un acte fort dangereux et répréhensible aujourd’hui.
    Il n’y a qu’à voir le regard que me lance le préposé en charge de relever mon compteur énergétique quand il me réveille à onze heures du matin.
    Il ne sait pas, le pauvre homme, comme la nuit fut belle et étoilée.
    Jamais plus il ne le saura d’ailleurs puisque la retraite des travailleurs s’éloigne au fur et à mesure qu’ils s’en approchent.

    Alors, oui, j’ai l’âme d’un guerrier
    et reste pourtant assis à écouter le chant de la rivière et l’oiseau qui s’y accorde.
    Mais parce que cela même est un acte guerrier !
    Avant que tout n’explose au prochain passage de ce foutu avion de chasse à l’homme.

    À un nazillon qui demandait à Picasso, devant son tableau « Guernica » : » mais pourquoi avez-vous peint une telle horreur ? »
    le maitre répondit: « ce n’est pas moi, c’est vous l’auteur »

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