Il devient urgent de proposer

C’est sur le terrain, dans des réunions impromptues ou des repas au plus près de la société que l’on peut avoir une idée générale de l’opinion dominante qui fait la réalité de la France. Ce n’est jamais sur un plateau de télévision ou dans une analyse extraite de sondages. Il faut avoir ce pouvoir de se fondre dans un groupe plus ou moins fourni. Pas facile quand on tient un rôle social, car il existe une certaine méfiance à dévoiler ses positions personnelles, mais il faut savoir avoir de « grandes oreilles » et percevoir des bribes de conversations entre les convives ou entre les participants à une rencontre. En cette fin de semaine j’ai eu le sentiment qu’un virage était réellement pris dans des secteurs décisifs pour l’évolution politique du pays. D’abord, il existe une position latente extrêmement dérangeante puisqu’elle bloque tout espoir de réveil des consciences. Elle se résume à des commentaires entendus à l’issue d’une réunion publique sur les cantonales, devant une poignée de militants convaincus. « Tu nous assommes avec ton discours pessimiste. Moi j’ai besoin d’espoir et tu ne me donnes pas assez d’espoir, et le PS national en général ne nous donne plus de raisons d’espérer… » Cette apostrophe mettait un terme à ma présentation très synthétique du schéma global de l’idéologie sous-tendant la politique de l’UMP. Lentement mais sûrement s’est installée dans les esprits un refus de voir l’évidence, et j’ai ressenti une lassitude vis à vis des critiques, justifiées mais démoralisantes, faites à l’égard du sarkozisme.
Les gens les plus motivés semblent avoir tiré un trait sur l’année qui vient, et se résignent. Ils veulent que les relais d’opinion de base leur parlent de 2012… le reste, dans le fond, ils le savent ! Ils ont déjà bien compris que la privatisation de l’ensemble du pays pour sa mise en coupe réglée par le monde ultra-libéral du profit ne se discute plus. Même parcellisée, apparemment destinée à des secteurs restreints de la société, même travestie par des affirmations gestionnaires, cette idéologie : Ils veulent l’espoir d’un changement radical en 2012 et, selon moi, ils sont malheureusement prêts à voter pour n’importe qui, s’ils estiment que ce choix interrompra le processus en cours. J’ai ressenti une forme de lassitude réelle de gens qui expriment un ras le bol de se voir culpabilisés par des discours qui les mettent face à ce qu’ils estiment être un échec !
Aucun mouvement social n’a modifié véritablement le cours des réformes, aucun militantisme n’a eu de prise sur des événements imposés par l’échelon national, aucune campagne n’est parvenue à sortir le peuple au sens large du terme de son inertie. Toutes les élections depuis celle de Nicolas Sarkozy ont été sans effets, si ce n’est celui de renforcer le pouvoir local contre lequel ils n’ont pas de critiques à formuler. Ils veulent donc tourner la page et implorent la gauche de leur donner une lueur d’espoir. « Je te crois. Tu as raison. C’est vrai. Mais quand est-ce que le PS national va arrêter de comparer ses nombrils pour ouvrir une fenêtre sur l’avenir ? » Cette militante me reproche presque d’être dans l’incapacité de parler au nom de celles et ceux qui prétendent incarner l’avenir. Les cantonales sont bien loin. Eux, ils vont aller voter, en bons soldats, convaincus de l’utilité du conseil général, mais ils expliquent que les électrices et les électeurs mettent tout le monde dans le même sac « politique », ce qui les conduira à rester chez eux. Il leur faudrait une vision positive, une adhésion à des mesures concrètes, à un « espoir » de changement réel qu’ils ne perçoivent pas. La réponse émerge ailleurs que dans les rangs de la Gauche..
Au repas de la pétanque, il suffisait d’avoir une oreille attentive pour vite s’inquiéter. « Vous allez voir que nous allons voir arriver tous les arabes chez nous… expliquait doctement une dame, devant un parterre extrêmement populiste. « Tu vois, je suis sur les routes tous les jours et on sanctionne les chauffeurs français en bloquant leurs camions s’ils commettent une faute, alors que les Polonais, les Bulgares, les Allemands, ils se contentent de payer et ils repartent… » L’étranger entre peu à peu au cœur des conversations. Sa diversité lui donne une importance décisive dans le positionnement actuel. « Pour moi, il n’y en a qu’une qui dit la vérité, c’est Marine Le Pen. Je le regrette, mais c’est ainsi… » confie un convive âgé, qui prétend aussitôt qu’il « ne votera pas pour elle ! ». Autour des terrains de pétanque de France se construit beaucoup plus efficacement l’opinion dominante que dans les réunions de militants convaincus. Dans les virages des stades de football, dans les repas du troisième âge, dans les conversations de comptoirs, dans les casse-croûtes de chantier, devant les entrées d’écoles maternelles ou dans les repas de famille, il serait absurde de ne pas reconnaître que des tabous (racisme, poujadisme social, acceptation de la tricherie, obsession du pognon, rejet massif de la politique…) tombent et transforment la France en une sorte de bouillie sociale informe qui se déverse dans des moules tout prêts pour forger une opinion dominante. Je suis certain que si je n’étais pas là, présent, à la table de la pétanque, les discours seraient encore plus attristants, mais au moins je peux rectifier, dialoguer, échanger, ce qui peut au moins donner des hésitations au bon moment !
Je sais, vous qui suivez ces chroniques, vous allez me ressasser que je suis pessimiste, que je vois toujours le mauvais côté des choses, que nous allons gagner, que je me pose des questions inutiles, que notre avenir politique est radieux, que le remaniement ministériel va changer tout ça, que le sarkozisme n’est pas si dangereux que cela pour la démocratie, que ces gens que j’ai croisés ne sont pas représentatifs, puisque non choisis par TF1 pour s’exprimer au nom des Françaises et des Français… Je suis, en fait, pessimiste par l’analyse mais optimiste, résolument optimiste dans l’action, car c’est le meilleur des anti-dépresseurs : résister, se battre, combattre et refuser le consensus par indifférence ou par faiblesse.

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Cet article a 6 commentaires

  1. E.M.

    « Je suis en fait pessimiste par l’analyse mais optimiste, résolument optimiste dans l’action, car c’est la meilleure des anti-dépresseurs : résister, se battre, combattre et refuser le consensus par indifférence ou par faiblesse. »
    C’est beau.

  2. Garnier

    Encore une fois je suis d’accord avec toi, mais! Rien ne sera possible sans un éveil, sans un réveil. Aucun réveil ne sera possible si ceux que l’on rencontre ne prennent pas conscience que ce n’est pas en regardant TF1 ou autres qu’il rencontreront le savoir.Tes chroniques éclairent, même si elles sont (parfois)pessimistes. Pour ma part celles que je peux rédiger par ailleurs seront optimistes lorsque l’envie de savoir dominera le monde. La vérité de chacun se limite à ses propres connaissances. Celui qui dit « tout est pareil », ou « ils sont tous pourris » fait montre d’une conscience pitoyable.Il cherche a rassurer sa propre inertie. Le savoir demande des efforts, ne serait-ce que de lire. La lecture offre le savoir. Le savoir offre la conscience et la conscience permet d’exercer sa liberté.
    Alors chacun peut choisir d’être libre ou esclave, encore faut-il qu’il en ait conscience.

  3. Catherine

    Oui, Jean-Marie, c’est bel et bien notre cécité du « rester entre nous » qui nous aveugle, dans le cadre de querelles intestines et tout compte fait assez inutiles.
    Car c’est bel et bien sur le terrain, à l’écoute (des difficultés réelles et/ou fantasmées) des vraies gens avec lesquels nous ne sommes pas tjrs d’accord qu’il y a matière à débattre voire à éduquer.
    C’est ainsi que je prends + de soin à entendre et à contredire les discours popu du FN qu’à ferrailler sur le détail avec mes coreligionnaires.
    Quand il y a le feu à la maison, se pincer le nez très fort et prendre la pose relèvent de l’irresponsabilité

  4. Jean-Pierre Boué

    « Penser avec scepticisme, agir avec optimisme. »
    Jean Jaurès

  5. Suzette GREL

    Je pense sincèrement que toutes les occasions sont bonnes pour pratiquer ce dosage fin entre la réalité pessimiste et le discours optimiste illustré d’exemples précis du quotidien.
    les réunions entre convaincus sont à espacer au profit de rencontres simples autour d’une activité, un « apéro » du terroir ou un échange « associatif ».

  6. Emile Georget

    Oui autour d’un p’tit noir, d’un p’tit blanc, voire d’un p’tit jaune selon l’heure. Pas de ségrégation !
    « Toutes les élections depuis celle de Nicolas Sarkozy ont été sans effets »
    Oui plus sérieusement comme le déni du Président de l’état français devant les résultats des élections européennes du « fumeux » traité, comme cette morgue altière devant des millions de citoyens dans la rue contre la réforme des retraites, etc.

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