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Le jour où Paul Louis Lande impose sa science (2)

Le jour du 25 septembre 1911 où Pierre Teillet a été assassiné sur le chemin du retour vers Créon, a été celui de l’effroi dans la ville bastide créonnaise. Les premières constatations effectuées par la maréchaussée locale et quelques témoins ne laissaient aucun doute sur la nature du geste criminel : le vol. Le cadavre était toujours allongé en bordure de la route caillouteuse et poudreuse en milieu de journée. Les autorités locales ayant été prévenues se rendirent sur place. Bien évidemment le juge du Tribunal de la justice de Paix de Créon était accouru pour déterminer la conduite à tenir. Il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre compte que « l’affaire » dépassait sa compétence. Il rentra au plus vite vers son bureau afin de contacter le parquet de Bordeaux.

Vers midi et demi une automobile prit la direction de Créon. A son bord MM. Lefranc juge d’instruction, Charrié Substitut du Procureur, Riber greffier afin d’engager officiellement l’enquête. Il ne manquait que le médecin légiste. De la place de République le trio fit un détour place Gambetta au domicile du Professeur Paul-Louis Lande, ancien maire de Bordeaux (1) afin de récupérer sa trousse médicale puisque son propriétaire était encore en vacances à Tresses. Le quatuor arriva sur place deux heures plus tard. Même si la fameuse police scientifique n’existait pas encore les arrivants tentèrent de bâtir un scénario de l’agression mortelle. La première démarche fut de confier au plus prestigieux spécialiste de médecine légale le soin d’effectuer une autopsie. Elle fut effectuée sur place.

Un élu de Sadirac, M. Monsion, potier de profession avait prit les devants en préparant avec quatre tuyaux en terre cuite et une planche assez large, une table d’opération sur le bas-coté. On y disposa le corps de l’infortuné Teillet. Le médecin joua du scalpel devant les autorités présentes. Il leur fit partager ses observations. « Il a d’abord reçu une première balle au niveau de l’aine alors qu’il était debout et une seconde qui é été tirée à bout portant au dessus de l’oreille quand il était su sol. Je pense qu’il doit avoir une douzaine de chevrotines dans le corps. Je vais en extraire deux que je vous confierai, monsieur le juge. » Après avoir joint le geste à la parole et déposé deux billes en acier dans un bocal il affirma : « ces chevrotines ne sont pas de fabrication artisanale. Elles ont été achetées chez un armurier ».

Il avançait dans ses observations avec une précision dénotant une expérience de ce genre de situation. « Compte tenu de l’angle de la première blessure qui n’a pas été mortelle il marchait sur la gauche de la charrette car sa pèlerine et sa casquette sont trouées sur le côté gauche. Il ne pouvait pas être assis sur son porte-fainéant. Il s’est avancé vers le talus avant de prendre la décharge d’un fusil à quelques mètres. On peut penser que son chien avait détecté une présence anormale. Le meurtrier a été obligé de tirer vite. » Le Dr Lande après avoir recherché des indices supplémentaires décrivit avec grande précision le déroulement des faits que le greffier s’empressa de noter.

« Le coup de feu l’a fait tournoyer sur lui-même comme le prouve l’éraflure de ses bouts de chaussure ici sur le sol. Il est ensuite tombé à genoux face à son agresseur. Regardez les deux traces ici dans la partie meuble. Il avait donc vu le meurtrier. Ce dernier s’est approché et l’a froidement abattu en lui tirant à la hauteur de la tempe à moins de deux centimètres du crâne. Il aussitôt enlevé la sacoche et a dû s’enfuir par les allées de vigne. Vous devriez aller voir s’il y a des traces. Il s’agit donc d’un crime crapuleux de sang-froid et prémédité ». Le juge d’instruction et le Procureur n’en demandaient pas tant. La notoriété du médecin légiste rendit ses conclusions indiscutables. L’instruction débuterait sur de bonnes bases .

En attendant l’arrivée du parquet et malgré une matinée brumeuse suite aux fortes pluies de la fin de nuit, les gendarmes avaient patrouillé dans la campagne environnante ne trouvant aucune traces de pas et surtout pas la sacoche. Mme Teillet questionnée ultérieurement confia que selon elle, et de ce qu’elle connaissait des commandes effectuées pour le dimanche matin elle ne contenait probablement pas plus de 100 francs. Elle affirma cependant qu’une rumeur avait couru dans Créon sur le fait que son époux aurait sur lui une somme plus importante car il était partie avec un chargement de barriques plus important qu’à l’habitude.

En interrogeant les habitants du village de Lorient les gendarmes évaluaient l’heure du crime vers une heure trente du matin puisque certains d’entre eux avaient entendu la charrette une demi-heure avant. Il restait une zone obscure. Où était passé Rabat-Joie entre le crime jusqu’à sept heures ? Il n’était pas sur la route quand Guimberteau a trouvé le corps. Il n’était pas rentré avec l’attelage. Il n’est revenu qu’une heure plus tard. Connaissant son caractère ombrageux le maréchal des logis Villenave émit l’hypothèse qu’il « avait peut-être mordu l’agresseur et que dans ce cas on aurait vite une piste… ». Le substitut du procureur décida de confier l’enquête à la section de la police mobile. Elle durera onze ans !

(à suivre)

 

(1) médecin légiste de notoriété nationale Paul Louis Lande avait été le premier Maire de Gauche de Bordeaux entre 1900 et 1904. Il est décédé quelques mois après cette autopsie d’un Avc durant le congrès des médecins de France dont il était le Président.

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