Ils auront des lendemains qui déchantent…

Ce qui est toujours triste après les révolutions, même les plus pacifiques et les plus enthousiasmantes, c’est que les lendemains ne chantent pas nécessairement très longtemps. Comment voulez-vous que j’oublie, par exemple, la manière dont avait été engloutis les espoirs de mai 68 en France ? Toute ma vie j’ai été marqué, à un peu plus de 20 ans, par cette désillusion qui suivit le retour au pouvoir d’un gouvernement, et surtout d’une écrasante majorité bleu horizon, qui réclamait de l’ordre à tout prix, au sein d’un Parlement n’ayant jamais été aussi godillot de la Vème République ! Et que n’ai-je entendu, durant quasiment deux mois, en ce qui me concerne, comme déclarations flamboyantes, comme concepts idylliques, comme propositions enivrantes. Le seul problème, c’est qu’il y a toujours un après. Et c’est le plus dur à gérer, comme ces matins où l’on se réveille avec la gueule de bois, devant reprendre le boulot, sans être certain que les espoirs se transformeront en réalités, même minimes, même modestes.
Il existe un sentiment réel de frustration qui conduit souvent au renoncement quelques semaines plus tard, et à un rejet douloureux des idéaux les plus enthousiasmants. En Tunisie, c’est déjà le cas… en Egypte, ça ne tardera guère, puisque, au nom de la stabilité exigée par des interventions extérieures, les gouvernements installés passent le plus clair de leur temps à maîtriser le mouvement qui peut, à tout moment, leur réserver le sort qu’ils se préparent à réserver à leurs prédécesseurs. Toute révolution sociale ne débouche que sur des incertitudes si elle ne s’accompagne pas d’une profonde mutation citoyenne. En fait, depuis le début de cette année, la misère matérielle reste le fondement des actions passées ou en cours. La faim, le chômage, la pauvreté sous toutes ses formes, ont conduit des millions de « consommateurs » a prendre en mains leur destinée collective, qu’ils acceptaient, pour la plupart, tant qu’ils avaient l’espoir d’échapper à cette dramatique précarité.
Les opposants se sont parfois égosillés à protester dans le vide. Beaucoup ont été contraints à l’exil. La grande majorité ont été accusés de faire de la politique du passé, et de colporter des fausses informations. Les médias se sont résignés, face au pouvoir de l’argent qui les étrangle, faute de conscience populaire sur leur importance. Les policiers se sont tout permis, en toute impunité, soutenus par les gouvernants, qui trouvent toujours une justification liée à un fait divers ou à un comportement déviant. Au nom de l’efficacité économique, on détruit toutes les contraintes sociales, creusant ainsi les inégalités existantes entre le pouvoir de l’argent et le pouvoir social… Et au bout, il y a un spasme plus ou moins violent, comme celui qui est étranglé et qui jette toutes ses forces dans une bataille pour sa survie.
En Tunisie, les lendemains manquent de chants glorieux. Certains en profitent déjà pour aller chercher fortune ailleurs, comme s’ils ne croyaient plus dans l’efficacité de leur mouvement. Remarquez que le Peuple tunisien devrait être fier de constater que son Ministre des affaires étrangères a démissionné… pour compromission avec Michèle Alliot Marie. Depuis une visite en France le 4 février, il n’avait quasiment pas repris ses fonctions, selon des sources diplomatiques. Cet indépendant avait même été chahuté le 7 février par des fonctionnaires des Affaires étrangères, qui manifestaient devant et dans l’enceinte de son ministère, en réclamant son départ immédiat après ses propos tenus à Paris.
En visite dans notre belle France, dont le ralliement tardif à la révolution populaire a fait grincer des dents à Tunis, M. Ounaïes n’avait pas tari d’éloges sur son homologue Michèle Alliot-Marie. « J’aime écouter Mme Alliot-Marie en toutes circonstances et dans toutes les tribunes », avait-il affirmé. Il avait salué en elle « avant tout une amie de la Tunisie », alors que « MAM » était sommée, au même moment, de s’expliquer en France, pour avoir bénéficié des largesses d’un grand patron tunisien, lié en affaires au clan Ben Ali, et pour avoir proposé au régime vacillant le « savoir-faire » des policiers français, alors que la répression battait son plein. La différence c’est que MAM, chez nous, n’a pas démissionné, et qu’au contraire elle continue à enchaîner les déclarations désastreuses !
Dans le même temps, des centaines de Tunisiens ont débarqué sur la petite île italienne de Lampedusa durant le week-end. Cette situation, effet indirect de la révolution des jasmins, suscite l’inquiétude de Rome, qui a lancé un appel à l’aide internationale, et veut déployer ses policiers en Tunisie… (ça ne vous rappelle rien ?) « Je demanderai au ministre tunisien des Affaires étrangères (NDLR : quand il y en aura un !) l’autorisation pour nos forces d’intervenir en Tunisie pour bloquer les flux. Le système tunisien est en train de s’écrouler », a déclaré le ministre italien de l’Intérieur Roberto Maroni. Précisions qu’il est membre du parti anti-immigrés et populiste de la Ligue du Nord… Il ne va pas tarder à demander le retour de Ben Ali !
En Egypte, les affaires sont closes. Dans son « communiqué numéro 5 », le conseil suprême des forces armées a aussi indiqué qu’il prenait « en charge la direction des affaires du pays provisoirement pendant six mois, ou jusqu’à la fin des élections législatives et pour la présidence de la République ». Le conseil suprême, instance formée d’une vingtaine de généraux, a décidé « la dissolution de l’Assemblée du Peuple et de la Choura », les deux chambres du Parlement, et « la suspension de la Constitution » ainsi que la création d’une commission pour l’amender et organiser un référendum sur ces changements. Abel Bonnard avait eu ce constat parfaitement adapté aux circonstances : « Vous autres, militaires, vous avez bien de la chance : quand vous gagnez des guerres, vous avez la gloire ; quand vous les perdez, vous avez le pouvoir, et si vous trahissez, il vous reste l’honneur ! » Merci de traduire en égyptien !

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