Que justice soit faite !

Le temps gris et froid enveloppe Bordeaux. La grande salle des pas perdus du plais de justice est encore plus anonyme et triste que d’habitude. J’ai du mal, beaucoup de mal, à me persuader que je dois aller dans ce lieu. J’ai le ventre noué et surtout une certaine angoisse. Je n’aime pas être parmi celles et ceux qui viennent en ces lieux, car j’ai toujours eu peur d’être montré du doigt pour une faute. Je me sens naturellement coupable de tout. Impossible de me persuader qu’être dans ce bâtiment austère, glacial, n’implique pas une mise au ban de la société. N’empêche qu’il me faut bien aller représenter le Comité Départemental du tourisme au tribunal des Prud’Hommes où je suis cité pour une affaire antérieure à ma prise de fonction. Avec les personnes qui m’accompagnent, et malgré la présence rassurante d’un excellent avocat, je ne sais pas comment me comporter, en sachant qu’ici je ne pourrai pas m’expliquer, je ne pourrai pas véritablement argumenter, je n’ai pas l’opportunité de me justifier. Derrière les lourdes portes des salles d’audience se joue en effet le déroulement de vies que la justice va, au nom du peuple, modifier. Pas un bruit ne filtre de ces vases clos où le silence est de rigueur et où les voix institutionnelles prennent le pas sur toutes les autres. Ici, j’ai peur, car je me sens très seul face à cette machine complexe et redoutable, forte de ses codes et de ses rites que je ne maîtrise absolument pas. L’individu que je deviens brutalement perd tous ses repères sociaux pour devenir quantité négligeable dans ce monde clos ressemblant à l’antichambre de la mort sociale, d’où on ne ressort jamais indemne.
Bien évidemment, l’audience prévue à 14 h nous conduira à passer vers 17 heures, après une longue attente, dans une salle où sont installées les robes noires des avocats. Les grands bancs ont sûrement vu passer des dizaine des milliers de personnes anxieuses du sort que leur réservaient des juges ne paraissant jamais assez attentifs au sort de celles et ceux qu’ils doivent contenter ou sanctionner. Les « affaires » défilent avec quasiment une heure de présentation pour chacune. Elles portent bien évidemment sur des licenciements plus ou moins complexes et douloureux. Des histoires stéréotypées avec un salarié victime du comportement qu’il estime injuste de son employeur. Les avocats dressent des scénarios de films, car aucun dossier ne ressemble à un autre dans la forme, alors qu’ils ont tous la même conclusion : dédommagements financiers et argent sollicités pour effacer ce qui est considéré par les plaignants comme un faute et par les défenseurs comme une triste réalité sans faute particulière. Les quatre juges, réputés sages et conscients des enjeux, ne sont pas dupes de ce jeu du bon et du méchant. Ils prêtent une oreille attentive au poids des mots, mais surtout ils savent que tout reposera sur le contenu des dossiers.
En sortant d’une salle, on eut accéder à une autre, dans laquelle on retrouve la vraie vie, celle qui interpelle, qui agresse, qui dérange, celle qui résulte d’un week-end girondin autrement plus dramatique. Il suffit de franchir doucement la double porte de la salle d’audience du tribunal correctionnel où sont présenté les « flagrants délits ». Là, le monde vous saute à la gueule, et vous avez beaucoup de mal à ne pas vous asseoir pour assister à ce qui ne relève plus du jeu de rôle mais du drame permanent. Le tribunal correctionnel reste, en effet, le véritable reflet d’uns société misérable intellectuellement, matériellement et culturellement. D’abord on présente à un juge méthodique le cas de trois chinois arrivés sur Bordeaux de Mongolie extérieure, sans que l’on sache véritablement comment, mais qui se sont fait pincer dans un magasin de vêtements pour femmes. Ils ne parlent pas un seul mot de français, mais reconnaissent leur faute décrite par un Président laconique, puisqu’il doit utiliser le secours d’une interprète. Les prévenus, visiblement perdus dans ce contexte solennel, baissent la tête et reconnaissent d’un hochement de tête leur faute, avec un larcin de 43 euros. Ils écoutent debout, figés, sans rien comprendre, le réquisitoire d’un procureur qui lui aussi semble las, très las de sans cesse avoir à évoquer les mêmes articles du code. Sa sévérité, empreinte d’un certain humanisme désabusé, se veut dénuée de tout parti pris sécuritaire. Il se contente de constater que ces gens venus d’ailleurs ont cru que le monde de la consommation était accessible sans vergogne. Ils écopent, après des plaidoieries en service commandé, de 6 mois de prison dont 3 avec sursis. Direction Gradignan où on ne saura pas faire autre chose que les enfermer dans une cellule, d’où ils ne verront, par dessus le toit, qu’un bout du ciel de la terre promise. Affaire suivante : trois Bulgares chapardeurs qui pillent les chantiers.
Récit ordinaire de faits ordinaires avec les excuses pitoyables ordinaires. Pas un mot. Ils écoutent l’interprète résumer les propos du Président qui, pour la énième fois de sa carrière, décrit une réalité qui n’a pas l’air d’affecter outre mesure un ,trio vivant de rapines revendues (au fait, quel est leur commanditaire, car il y a bien une filière de récupération de ces vols ?) pour faire bouillir la marmite du squat. Réquisitoire sévère avec, cette fois, pour le public de retraités présents dans la salle et l’association de défense des Bulgares, des piques sévères sur le manque de courage de ces immigrés ne « reconnaissant pas leur faute ». Verdict sans pitié : 8 mois de prison dont 4 avec sursis. Direction Gradignan avec les menottes, comme les Chinois une heure avant, et des familles qui quittent les lieux après un échange en Bulgare dont bien évidemment personne ne comprend le sens. Il y a dans les regards une résignation et un certain mépris, qui permet de penser que la leçon de morale ne changera rien aux réalités… économiques !
On enchaîne avec un jeune qui, ivre mort, a sorti un couteau (arme de 6° catégorie) quai de Paludate à Bordeaux, pour le faire tournoyer lors d’une « embrouille », comme il dit, à la sortie d’un bar de nuit… Il a déjà onze condamnations à son palmarès, il était en liberté conditionnelle, il venait de redonner son bracelet électronique. Le Président ne sait plus quoi dire, que dire, que faire… « J’étais défoncé » bredouille, comme seule explication, un prévenu qui n’a que sa mère qui sanglote dans la salle, et sa copine enceinte de 5 mois qui, elle, sort pour aller pleurer sur la bêtise incommensurable de celui qui devrait être son mari responsable. A 26 ans, il encourt avec le nouveau code pénal… 10 ans de prison, pour avoir enfreint les prescriptions du juge d’application des peines et avoir sorti un couteau… Le procureur requiert 18 mois. Le tribunal se retire… je ne veux pas entendre le verdict. Je repars vers la salle d’audience des Prud’Hommes pour attendre mon tour.
Le prévenu Darmian, Président du comité Départemental du tourisme, restera sagement assis à quelques mètres de l’autre lieu durant la joute oratoire des avocats, enfin appelés à plaider devant ces Prud’Hommes. Ici, on parle de harcèlement, d’égos disproportionnés, de sommes que là bas, où s’enchaînent les jugements avec des mois de prison qui s’ajoutent à des mois de prison, on n’imagine même pas gagner dans sa vie. Il me tarde d’en finir et de sortir !
Quand je sors, des cris montent d’un groupe avec des policiers qui emmènent un autre condamné vers Gradignan. Un autre verdict est tombé…Il me tarde de quitter ce grand hall envahi par l’obscurité et le froid. Vivement l’air libre, la liberté de marcher dans la rue pour rentrer sur Créon. Je ne suis pas soulagé. Je suis inquiet… Qu’ai-je vu de la justice ? Qu’en penser ? Quels résultats en attendre ? Que résout elle ?

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Cet article a 3 commentaires

  1. jocelyne Troscompt

    J’ai connue plusieurs coté de la justice. J’ai été jurée, j’ai porté plainte, j’ai été surendetté, j’ai divorcé. Je ne me suis jamais senti à l’aise dans ces locaux où se retrouve toute la misère humaine. Même du soi-disant bon côté on se sent coupable et on a peur !

  2. jean

    Monsieur Darmian,
    Vous êtes allé dans et endroit qui fait peur surtout aux honnêtes gens. Vous avez pu voir dans ce court instant des petites condamnations qui semblaient être faites rapidement trop rapidement ! Mais c’est ce dont la justice en est réduite de nos jours avec toutes les suppressions des moyens en personnels et dotations.
    Et vous vous avez eu le support des avocats ! Mais imaginez-vous seul tout seul pour votre défense.
    savez-vous que par exemple pour des femmes violées, des enfants et des des femmes battus ils sont seuls sans avocat face à leur bourreau qui eux ont un avocat même commis d’office ! Que le droit à la défense soit un droit inaliénable, je suis d’accord aucun problème. Que l’avocat soit présent dés la première heure de la garde a vue c’est le droit européen pas de problème ! Mais que des victimes en état de faiblesse dans ces moments difficiles soient seuls ! sans aucune aide d’un avocat cela me choque !
    La loi devrait prévoir un avocat commis d’office pour toutes ces victimes !
    Ce n’est pas en faisant une loi dés qu’un fait divers émouvant arrive que l’on doit promulguer ! Mais donner des moyens pour un suivi thérapeutique ou de réinsertion sociale !
    Mais là c’est une autre histoire

  3. Michel d'Auvergne

    « Ce n’est pas en faisant une loi dés qu’un fait divers émouvant arrive que l’on doit promulguer ! »
    La Justice est comme l’enseignement, les suppressions de moyens et de personnels remplacés par des textes voire même quelque déclaration fracassante, or supprimer à la pelle les moyens d’enseignement c’est à moyen terme asphyxier la justice. C’est sans doute le but visé par nos « pinderocrates »

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