L’air de la campagne reflète inexorablement les élevages qui y sont pratiqués. L’authenticité se trouve dans l’odeur qui flotte autour de celui qui vient tout juste de débarquer. Ici, les effluves des étables l’emportent sur tout le reste. Au confins de la Mayenne et de l’Ille et Vilaine la vache laitière a une place privilégiée même si elle n’a plus depuis belle lurette dans les élevages actuels la permission de brouter l’herbe des prés. La productivité n’autorise que les jeunes en devenir à baguenauder puisque les plus âgées sont consignées dans des lieux de vie spécifiques d’où émanent ces remugles campagnards.
Un chemin creux où le houx fourbit déjà sa brillance pour les fêtes de fin d’année, les ronciers dégoulinent de grappes de mûres ayant eu bien du mal à enfler sous un soleil outrancier, des chênes aux troncs torses tirent leurs ramures tordues vers un ciel gris d’argent, offre ses mystères au promeneur curieux. Au lois deux engins agricoles de font face bloquant une route goudronnée filant vers une ferme nichée au creux d’une verdure que la Gironde n’a plus. Une silhouette se penche sur le tracteur en fâcheuse posture. Elle vient vers moi.
« Bonjour. Vous êtes logé chez les Anglais ?
– Oui !
– Puis je vous demander un service. J’ai été comme un couillon et j’ai planté les deux roues avant de mon tracteur dans le fossé. Savez-vous conduire un Manitou ?
– Alors là vous tombez mal !
-C’est facile vous allez voir. Je suis tout seul, mes parents et mes frères ne sont pas là et il faudrait m’aider à tirer le tracteur sur la route. Vous verrez vous y arriverez ! »
Après une formation accéléré à la conduite de cet engin impressionnant mais dans le fond assez simpliste dans son fonctionnement, je finis, à la seconde tentative par participer avec réussite à tirer le véhicule ayant amené un abreuvoir aux vaches, de sa situation inconfortable. Jérémy, la trentaine, me remercie : « venez boire un coup à la maison ! » Invitation acceptée avec enthousiasme après que nous ayons fait une photo pour immortaliser ma conduite de « grand Manitou ».L’occasion de découvrir ce qu’il y a derrière l’odeur persistante d’étable.
« Nous avons une soixantaine de vaches laitières, une trentaine de génisses et une vingtaine de « remplaçantes » de celles qui l’an prochain quitteront le troupeau après trois vêlages. C’est suffisant pour nous maintenir à mes deux frères et moi la tête hors de l’eau. » Jérémy m’explique par le menu le fonctionnement de son étable ou beuglent les animaux. « Elles attendent que le robot de traite veuille bien d’elles. Nous avons investi dans ce système ultra-perfectionné qui trait les laitières qui doivent l’être durant une grande partie de la journée. Elles s’y rendent instinctivement. Le robot analyse leur pis et juge si c’est le moment optimum de la traite. Si ce n’est pas le cas il les expulse de l’espace réservé. Il nous a coûté 150 000 € mais c’est un bel outil » commente le vacher.
La machine détecte les trayons, les lave, les aspire et effectue le prélèvement du lait. « Il faut en moyenne neuf à dix minutes maximum. Nous sélectionnons les semences de l’insémination artificielle sur les résultats des filles du taureau dans la durée de la traite. Mon frère a voulu effectuer un essai avec un géniteur norvégien en pensant que la race réputé pour sa capacité à retenir le lait à l’abri des contaminations améliorerait la qualité sanitaire de notre production. Ce fut un échec car le prélèvement des laitières issues de cette expérience atteignait vingt minutes ! Or c’est impossible dans notre système ». Jérémy m’étonne par sa science, sa clarté, sa connaissance de toutes ses pensionnaires, de leurs descendances et de leurs performances.
« Ici les statistiques et les chiffres sont rois. Nous nous occupons de leur confort, de leur santé, de leur nourriture mais avec toujours un œil sur les performances journalières et même de toute leur carrière. » Jérémy lave au passage sa protégée. « C’est une manie. J’aime qu’elles soient aussi propres que possible. » Le robot poursuit sa mission qu’il conclura par une nouvelle désinfection et la libération d’une gourmandise au soja et aux farines vitaminées. Inlassablement il poursuivra son boulot alors que Jérémy s’occupe de deux veaux confiés à une mère nourricière. Le lait file par des tuyaux et sans aucun contact avec l’air ambiant vers la citerne réfrigérée où se trouve la « récolte » de deux jours.
« Elle ne nous appartient pas explique-t-il. Elle a été installée, vérifiée et entretenue par Célia (1) qui nous achète l’intégralité de la production. Quand le lait est dans la cuve il ne nous appartient plus. Le prix d’achat a augmenté mais comme les charges suivent le même chemin nous en sommes toujours au même niveau pour la marge. Nous survivons. Cette année nous aurons une baisse de nos productions de fourrage et de céréales de 20 à 30 % mais nous ne nous plaignions pas trop par rapport à d’autres régions de France. On s’en sortira encore une fois. Mais jusqu’à quand ?» Ce garçon adhérent de la Confédération paysanne qui tente la sortie de toute artificialisation de sa production, affiche une combativité, une lucidité, une envie et une telle passion pour son métier et ses vaches que j’en oublie le temps qui passe et mon grade de Grand Manitou.
(1) Ancien Lactalis
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« Jérémy m’étonne par sa science, sa clarté, sa connaissance… »
Il ne faut pas perdre de vue que la plupart des jeunes agriculteurs ont mainteant une formation professionnelle solide par rapport à leurs aînés, souvent Bac ou BTS.
Je n’ai jamais pratiqué le « Manitou », par contre j’ai quelques lumières sur le « Bobcat »…
Une grande satisfaction de voir évoquée la Confédération Paysanne, tu as fait une bonne action Jean Marie.
Platon disait: « Le vin est le lait des vieux ». La manne itou.
Bon week-end à tou(te)s.
Ce témoignage de Jean-Marie fait revenir en mémoire mes vacances chez el tío Martín, à Oloron St Croix, village d’en haut aujourd’hui rattaché à Oloron St Marie…
La journée commençait très tôt… à six heures: brossage de la robe des vaches, lavage à l’eau claire des pis… avant la traite ! Ces premières tâches accomplies, nous (le cousin et moi) partions et conduisions le troupeau de douze vaches jusqu’à la prairie du jour (jamais la même) où nous les gardions toute la journée, avec l’aide du précieux chien. Chacun de nous trois avait sa ration du midi. À dix-huit heures, retour à la ferme pour y traire les mamelles gonflées d’un lait blanc très crémeux. Matin et soir, un verre de ce lait bienfaiteur était notre délicieuse récompense.