Dans son dernier numéro, 60 millions de consommateurs a étudié la composition de gâteaux que les parents donnent souvent ou glissent dans le sac à dos de leurs enfants pour le goûter. Trop de sucres, trop de gras, pas assez de fibres… Le constat est effarant (1)
Il y a, ainsi une grande différence entre le « goûter » actuel et le quatre-heures de mon enfance puisque ces mots ne s’utilisent pas dans le même contexte et dans les mêmes lieux. Le premier appartient souvent à l’élite ou aux couches sociales ayant les moyens de préparer de manière méthodique un mini-repas de fin de journée. Le « goûter » sent le lait, les gâteaux industriels, les enfants sages hébergés chez mamie.
La madeleine de Proust ne se conçoit pas ailleurs pour les analystes de son œuvre que dans le contexte douillet du salon de sa mère ou de sa tante ou dans salle à manger parfaitement en ordre et cirée. Le « quatre heures » respirait la simplicité, l’improvisation, l’originalité et surtout dénotait une philosophie beaucoup plus populaire de la vie familiale.
En fait c’est surtout dans les campagnes que l’on évoquait le « quatre-heures » dès le retour de l’école. Il constituait le complément idéal de la cantine composé sur absolument aucune autre base que la nécessité de donner au plus grand nombre un repas solide permettant de tenir la journée. Il était récupéré au vol pour partir vers des jeux en plein air ou malheureusement pour participer à des travaux divers utiles à la famille.
Les enfants ne connaissent absolument pas le bonheur de trouver sur une table un quignon de pain frotté avec de l’ail afin de « faire circuler le sang » et donner cette vigueur que les parents d’Henri de Navarre avaient eu soin de lui procurer avec une gousse appliquée sur ses lèvres de nouveau-né.
Quel est celle ou celui dans les nouvelles générations qui apprécierait une grande tartine de miche de quatre couverte de beurre frais et saupoudrée de chocolat en poudre ? Il y avait aussi le pain perdu préparé à la hâte par une grand-mère ou une mère n’aimant pas jeter des restes de pain. Et la confiture avec les petits cubes dorés de melons d’Espagne ou celle des prunes reine Claude quasiment confites, étalée sur une partie du « 700 » posée dans la huche extérieure le matin par le boulanger ?
Que penser du clafoutis confectionné avec les fruits les plus mûrs qui menaçaient de se perdre ? Les quatre-heures n’avaient rien de diététique mais on comme on ne savait même pas ce que ce mot voulait dire on ne grossissait pas ! D’ailleurs il est prouvé scientifiquement qu’un enfant qui comme moi n’a jamais eu autre chose que des « quatre heures » devient adulte, un adepte du casse-croûte !
Désormais on part à l’école avec dans le sac un truc emballé dont le magazine de 60 millions de consommateurs dresse un tableau aussi dangereux qu’une part des produits dont on se dit qu’ils sortent de l’usine rouennaise. Au retour à la maison ils trouvent ces « goûters » achetés dans un rayon de grandes surfaces car ils correspondent à une publicité télévisée répétitive. Sous une cellophane protectrice ou dans des emballages aux couleurs chatoyantes ces produits industrialisés masquent sous des noms attractifs une triste réalité (1)
La pression du temps quotidien permet même tous les excès dans ce domaine car c’est l’époque de la facilité. Une bonne bouteille de Coca et du prêt à goûter justement parfaitement adapté à ce que l’affamé préfère par mimétisme, suffisent à transformer ce qui devrait être une fête des papilles en une banale débauche de calories. Le système consumériste a inventé l’équilibre alimentaire pour ensuite le bafouer en permanence au nom de la rentabilité économique.
Que garde-t-on d’un été « chocos BN » ou « Petit Prince » ou du « Nutella » si ce n’est une accoutumance à une marque ? Si ce n’est l’envie permanente d’en remanger ? Le « petite Madeleine » de « Tante Léonie » que Proust retrouve comme un big-bang vers son enfance a forcément un point commun avec toutes les tartines du « quatre heures » car elle avait le goût exceptionnel de ce qui a été préparé spécialement pour celui qui le reçoit.
Accepter ce qui n’est pas parfait, aimer ce qui est tellement simple sans en avoir honte, s’approprier l’authenticité d’une préparation, ne pas être déboussolé par une saveur inconnue… constituent des bienfaits essentiels pour le développement d’une personnalité. Le « goûter » standardisé les détruit inexorablement car elle prépare simplement des générations de consommateurs pour lesquelles les choix sont effectués en amont de leur propre libre arbitre.
Dans la mesure où rien ne barre la route à cette évolution il n’y aura bientôt plus que des nostalgiques du « quatre-heures » mot trop familier pour demeurer dans la langue française.
Aujourd’hui offrez vous votre madeleine… cherchez ce qui a fait votre bonheur, ce sentiment exceptionnel du retour sur des sensations oubliées. Allez chercher des moments aussi simples que possible qui ne peuvent être qu’égoïstes puisque vous serez le (la) seul(e) à le reconnaître au milieu des autres. Et méfiez vous vous risquez d’y prendre goût !
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Bonjour !
Quel merveilleux texte avec tout …son pétillant de souvenirs et de vérités commerciales, tu viens encore de nous offrir, nous les Seniors classés séniles délirants !
Et oui ! C’était le « quatre-heures » de nos jeunes années. Pourquoi 4 heures ? Parce qu’il correspondait à quatre heures de l’après-midi …à l’heure solaire ou ancienne. Puis, la migration des populations des villes ou gros bourgs vers notre belle campagne avec ses coqs, ses vaches et ses cloches a érodé l’expression pour la remplacer par collation puis goûter (beaucoup plus huppée, n’est-ce pas!).
Le casse- croûte, dont tu deviens adepte, est un moment plus ouvrier-travailleur qui se situe vers dix heures du matin, très cousin de la pause café. Il était (ou est ) constitué de solides morceaux de pain frais avec d’un reste de plat du soir ou de saucisson, jambon et fromage arrosé d’une boisson locale et permettait d’attendre le repas de midi (heure ancienne ou nouvelle! !).
Ne perdons pas l’espoir, J-M, d’un retour de cette « tradition » du quatre heures authentique car, durant ces vacances, j’ai pu constater que mes petits-fils (11 et 9 ans) appréciaient cet instant chez Papy et Mamie de même que l’apéritif de Papy, le traditionnel Vin de noyer (à la feuille de noyer) malgré le regard courroucé de la famille !
Peut-être qu’il faut juste ne pas se laisser avaler par la pub envahissante et dégradante!
Cordialement.