Les étoiles se font discrètes. Il paraît, selon une croyance girondine, qu’elles vont passer l’été au cap-Ferret ou ou moins sur les rives du Bassin d’Arcachon. C’est plus chic, et surtout, elles peuvent éclairer celles qui sont en villégiature et qui manquent parfois d’éclat. On prétend que certaines sont filantes et font ainsi le maximum pour être sous les regards envoûtés d’une foule ravis de croire qu’elle peut les approcher.
Le ciel en cette soirée de village a heureusement décidé de pas faire la gueule et de ne pas pleurer sur son triste sort. Lentement, la nuit a enveloppé le lieu, laissant aux lampions et autres halogénes le soin de donner la lumière du partage aux centaines de personnes accourues pour profiter d’un temps de vie collective. Une sorte d’essaim social se regroupe sur un espace ouvert uniquement pour échanger, autour des tables, comme si, brutalement, il s’agissait pour lui de partir pour d’autres horizons.
En fait, malgré les très nombreuses manifestations locales permanentes, celles de l’été reflètent sous des appellations diverses l’esprit d’une commune, d’un quartier ou même d’une ville. Ces rendez-vous, où la musique vivante, dégingandée, libre, envahit l’air et où les fumées des stands de cuisine montent comme une sorte d’encens païen vers les cieux, restent les vrais reflets d’une véritable politique. Ils ne sont jamais des aboutissements, mais toujours des débuts destinés à favoriser cette osmose sociale tellement difficile à trouver. Il suffit d’aller de table en table pour se persuader que c’est bel et bien une volonté collective solidaire qui peut changer les données pré-établies.
Melting-pot des générations, melting-pot des origines, melting-pot des goûts, melting-pot des intérêts, melting-pot des sentiments, melting-pot des cultures ces nuits estivales, souvent baptisés « marchés » redonnent un sens à la communauté. On y vient de bonne heure pour dresser sa tablée, pour être certain de pouvoir rassembler les parents ou ami.e.s ayant annoncé leur venue. Sur les places de villages transformées en gigantesques « cantines » où chacun.e se construit son menu on a presque la sensation de retrouver une France ouverte, accueillante, souriante. Il suffit cependant de constater que les nouveaux venus peinent à trouver des places vacantes tant les premier.e.s venu.e.s s’étalent pour préserver la conquête de leu banc ! On possède son « bien » acquis au prix d’une arrivée anticipée et pas question de s’en dessaisir en faveur d’étrangers !
Horriblement mutilée par le culte de l’individualisme triomphant, la fête sous les étoiles désintéressée renaît parfois de ses cendres, l’espace de quelques instants. Elle se requinque grâce au coude à coude de la table. Impossible de prétendre que ces agapes nocturnes sont des inventions de notre temps, faites pour favoriser (comme il arrive que de doctes organisateurs l’expliquent) les échanges commerciaux entre producteurs et consommateurs, car il s’agit tout simplement de la reprise institutionnelle de ces repas que l’on faisait dans toutes les fermes ou tous les hameaux pour célébrer la fin des récoltes.
Ces fameuses « gerbaudes » forgeaient les solidarités ou avivaient les querelles. On y buvait beaucoup, et pas nécessairement les fonds de barrique, mais on y mangeait aussi beaucoup, sans trop se soucier des consommations modérées dictées par des considérations inconnues en ces temps là.
Les soirées de ces agapes collectives n’ont jamais été qu’un exutoire aux contraintes trop fortes de la société bienséante. Jeunes et moins jeunes se retrouvent dans cette transgression des codes. Les uns, parce qu’ils ont besoin de s’ouvrir sur cette liberté, et les autres, parce qu’ils ont besoin de la retrouver : ils adorent ce temps de partage « gastonomico-musical ». Il n’y a plus l’accordéon sorti de l’armoire ou le crin-crin transmis de père en fils, mais il reste ce besoin d’accompagnement par les mélodies susceptibles de faire danser les étoiles ou de les réveiller. On s’oublie dans des rythmes d’ailleurs. On partage des airs ou des chansons cultes. L’air du temps passé reste forcément le plus alléchant !
Sur chaque table, défilent les plats malheureusement portés par les assiettes jetables des temps modernes. Les escargots terminent leur vie dans la sauce tomate épicée ou dans de la chair à saucisse parfumée aux cèpes ; des magrets se prélassent sur d’inconfortables matelas de frites n’ayant pas eu le temps de bronzer ; des huîtres attendent, coquilles béantes, le coup de grâce d’une fourchette plus ou moins spécialisée ; le couscous se prétend royal, sous prétexte que ses viandes trônent sur un trône de semoule légère ; la lamproie sombre, tronçonnée, dans son sang reconstitué avec l’aide d’un vin de terroir ; les gambas courbées confectionnent une rosace alléchante, les tricandilles grillées à point offrent leur dentelle repoussante pour beaucoup, appétissante pour ceux qui en sont privés chez eux ; les croustades dégoulinent d’armagnac sucré, les crêpes se foutent pas mal de l’origine de ce qui les fourre, les tartes ne se ramassent pas avec des pelles en argent mais se mangent du bout des doigts
Même s’il est vain de vouloir retrouver les réalités d’antan, on approche cependant de ce qui fait la saveur authentique des menus inspirés par ces robustes cuisinières, peu soucieuses de l’élégance des préparations. Il faut du concret, du non aseptisé, pour que la rupture avec le quotidien soit encore plus forte. Ce que la plupart des gens viennent chercher sous les étoiles, c’est cette éloignement totale des règles ressassés par un gourou des régimes que j’aime !
En fait, ces soirs-là, on s’oublie dans le partage. L’alchimie qui permet de transformer le plomb de l’indifférence habituelle pour la proximité, en or « social », repose comme toujours sur un catalyseur. Celui qui devient indispensable pour réussir cette mutation a une couleur pale et se vend en bouteilles : le rosé ! Il est devenu le catalyseur des soirées étoilées.
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Bonjour et Merci jean-Marie
Excepté ce vin à la couleur pale, c’est un régal de te lire car il met « l’eau » à la bouche.
Amicalement, Gilbert de Pertuis, Porte du Luberon
J’ai dû commettre une faute d’orthographe au mot « vairer ».