Toutes les réformes du système éducatif sont vouées à l’échec tant que deux valeurs claires n’auront pas été prises en compte au préalable. La première qui doit être débattue c’est celle de l’objectif social attribué à l’Ecole : instruction publique ou éducation nationale. Les mots ont un sens et correspondent tous deux à des réalités historiques. Tant qu’il y a eu en France un niveau d’analphabétisme élevé, la République permettait aux femmes (tardivement) et aux hommes de passer du statut de « sujet » soumis aux gens de savoir à celui de citoyens, grâce à l’acquisition d’un savoir minimum. Il aura fallu plus d’un siècle pour que l’on considère que le niveau était atteint. Il y avait cependant un corollaire particulièrement important à cette décision prise sous la IIIème République : la récompense que représentait la possibilité de « rentabiliser » les échelons franchis au mérite, lors de son entrée dans la vie active. Mieux, le savoir théorique ou pratique assurait quasiment un travail pérenne. Cette période a permis à toute une jeunesse de franchir les paliers successifs de la fameuse « réussite sociale », et donc d’accéder à un niveau de vie rassurant. Lentement, le contexte a changé, puisqu’il s’agissait « d’éduquer » la totalité d’une cohorte d’âge en lui offrant non seulement un savoir toujours supérieur mais également les clés d’un comportement que la société elle-même n’était plus en mesure de lui donner.
Il y eut encore quelques décennies où cette philosophie a fonctionné, engendrant d’ailleurs des débats sur les techniques nécessaires à sa mise en œuvre. Des débats qui n’existent plus depuis belle lurette, puisque le système a été volontairement caporalisé, perverti, démantelé, décrédibilisé pour finir par être jugé inefficace. Et ce, d’autant que désormais, plus les exigences de niveau étaient mises en avant, plus le chômage constituait l’issue des études. La distribution massive de diplômes justifiés car diversifiés ne permet plus de faire un lien entre le mérité de son obtention et le respect que lui accorde le monde du travail. Un enfant qui, à 12 ans obtenait il y a un siècle le certificat d’études primaires, était infiniment plus respecté qu’un bachelier général actuel. Son avenir était tout tracé, surtout s’il avait obtenu le Prix cantonal tellement convoité, alors que, pour l’autre, il n’y a pas encore une seule perspective d’emploi. Quant à l’autre volet, il est en dégradation constante, puisque l’école subit les effets sociaux pervers (misère, violence, inculture..) sans pouvoir les modifier ou les compenser, puisque celles et ceux qui doivent agir en ce sens ne cessent d’être dévalorisés directement (salaires, écoute, formation) ou indirectement (multiplication des rapports et des constats sans aucune analyse sociologique des causes des résultats diffusés). Toutes les tentatives de rattrapage des échecs constatés dès la maternelle ne serviront à rien car le mal est irrémédiable et il gangrène les couches sociales les plus vulnérables (pas les plus modestes mais les plus fragiles par manque de culture générale, les plus soumises à la société de consommation). On pourra inventer tous les établissements spécialisés, sécurisés, aseptisés que l’on veut, tant que l’on ne liera pas à nouveau, à tous les niveaux et pas seulement à l’ENA, à HEC ou à Polytechnique, réussite scolaire et garantie de réussite sociale, l’échec sera au rendez-vous.
Nicolas Sarkozy, en réaction à la vague de violences et d’intrusions constatée dans des collèges et des lycées au début de l’année 2010, a inventé les établissements de réinsertion scolaire. En fait, comme dans toutes les réformes, on a simplement effectué un grand bond… en arrière, puisque cette initiative date de 1820 soit il y a quasiment deux siècles. L’ancêtre de la maison de correction prévoyait à cette époque d’incarcérer de jeunes délinquants dans les prisons. Cependant, ce système avait des défauts; en effet, le mélange entre les jeunes délinquants et les criminels, parfois même récidivistes, était souvent de mauvais augure (A-t-on évolué ?) Il fut essayé plusieurs choses comme la séparation des mineurs et majeurs, qui n’a pas fonctionné, après la construction d’une prison spéciale, la Petite Roquette, à Paris en 1836.
C’était une prison cellulaire pour mineurs délinquants vagabonds et enfants relevant de la… correction paternelle qui était évidente à cette époque. Dans la journée, les jeunes détenus travaillaient en silence en ateliers et reçevaient une instruction élémentaire et… religieuse. Elle échoua de même, à cause de critiques sur son fonctionnement très strict. En 1860, soit il y a exactement 150 ans, l’heure n’est plus au projet d’éducation, il n’y a plus que le châtiment et l’enfermement dans les « colonies pénitentiaires publiques ». L’état multiplie la création de ces lieux; les mineurs y sont placés de très longues années, dans une simple logique d’exclusion et de punition. A Craon, ville paisible de Mayenne s’il en est, on est donc revenu, toutes proportions gardées à la « colonie pénitentiaire », en plaçant dans l’internat désaffecté d’un collège, 15 ados de Seine Saint Denis, violents, incultes et asociaux, avec l’espoir qu’on les persuaderait d’acquérir le savoir qu’ils ont toujours refusé, car il les renvoyait sans cesse à la notion d’échec et l’éducation sociale, qu’ils n’ont jamais eue, car elle correspondait à une contrainte que la vie ne leur imposait pas. Les véritables pédagogues ont dit et écrit que ce serait un échec. Peine perdue !
Ces établissements accueillent, selon le ministère, des « collégiens en difficulté scolaire et sociale, dont le comportement nécessite un éloignement de leur milieu d’origine et une prise en charge différente ». Ceux-ci sont âgés de 13 à 16 ans et y sont placés pour une durée d’un an, année au bout de laquelle leur réintégration dans leur établissement d’origine sera examinée. Ils sont censés offrir à des élèves en rupture de ban scolaire et social un encadrement plus adapté à leurs besoins. Un coup politique pur et simple, mais surtout pas un projet réellement efficace. A Craon, des affrontements entre les « immigrés » et les « locaux » ont eu lieu, comme le veut la logique de ce type de fonctionnement consistant à mettre un groupe d’exclus face à une masse hostile. Des faits qui ont conduit, qu’on le veuille ou non, à encore plus de rejet, encore plus de haine, encore plus d’humiliation, encore plus de violence… et qui a débouché sur le retour au bercail précaire de 5 « bagnards de l’éducation ». Profs, parents, élus* vont encore monter logiquement au créneau, et la France entière aura encore sa dose supplémentaire de sentiment d’échec du système public d’enseignement. Tiens, je propose que l’Etat fasse un appel d’offres ou un appel à projet pour connaître les établissements privés sous contrat ou simplement privés qui accepteraient de gérer ces ERS… Ce serait charitable et tellement courageux !
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J’ai lu cette chronique avec un intérêt d’autant plus grand qu’elle m’a rappelé une quantité de souvenirs. Mon grand père maternel était éducateur-surveillant à la colonie pénitentiaire de Lamotte Beuvron, et ma mère a passé toute son enfance à « la colonie », comme ils l’appelaient, puisque la famille était logée dans une maison située sur le « domaine ». C’est là que mon grand père a été tué accidentellement en 1935, par l’avion de Mermoz, alors qu’il aidait au redémarage de l’avion, posé là en catastrophe à la suite d’une avarie.
Les « colons » allaient en classe, et leur temps libre était consacré à la fabrication des briques, sous la surveillance de mon grand père, briques qui servaient à la construction de maisons solognotes typiques…Nous en avons conservé quelques unes, marquées « colonie pénitentiaire de Lamotte Beuvron », et qui sont toujours chez mon frère. Durant mon enfance, la colonie, – abandonnée, bien sûr, – était souvent un lieu de promenade dominicale….Et maman a souhaité que ses cendres soient répandues dans le petit bois qui jouxte la maison, désormais en ruines.
C’est pourquoi, pour moi, la « colonie pénitentiaire » a un sens bien particulier.
J’ajoute que ma grand mère me racontait souvent que les enseignants et surveillants étaient très fréquemment victimes d’agressions de la part des « colons »….Comme quoi rien n’a changé : il aurait suffi que Monsieur Sarkozy et ses sbires se penchent sur l’histoire de tels établissements pour qu’ils comprennent que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, leur magistral retour en arrière ne pouvait qu’être voué à l’échec !
Bel exposé, Monsieur et respectables commentaires, Madame, auxquels on ne peut qu’adhérer en tant que citoyen hagard devant autant de violence juvénile ( des deux côtés à Craon, car le refus est aussi une violence ! ).
Avant que la déferlante n’atteigne Créon, il convient de noter que la violence qui « effleure » ( dans l’instant ) nos collèges de campagne n’a rien de comparable avec la violence d’Aulnay sous bois ou St Ouen, par exemple, vu les témoignages de jeunes professeurs de technologie en « mission suicide professionnel ».
Aussi, on ne peut que regretter que vous n’ayez pas la volonté raisonnable d’aller plus loin dans votre réflexion pour mettre en avant la Solution que l’on attend avec impatience, même si elle est en pointillés dans ton texte, J-M.
Alors,reprenez votre clavier et laissez-vous aller ! !
Cordialement.
PS: Excuse-moi, J-M pour le « Monsieur », mais, de mon temps, l’instituteur à la retraite gardait le titre de « Monsieur » ! !