« Si le Président me le demande… ». Cette phrase d’Alain Juppé, présentement Maire de Bordeaux, traduit la manière habile dont on peut entrer au gouvernement de ce qu’il reste comme République, à l’insu de son plein gré. Ou du moins comment on peut le faire croire. Ces quelques mots, lâchés sur France 3 Aquitaine, dénotent la situation actuelle dans laquelle se trouve le chef de l’Etat français, prêt à étaler la confiture de ses ambitions sur la tartine de pain sec du G 20. Il n’a réellement plus aucun pouvoir sur son propre camp, tellement son autorité est sournoisement sapée par toutes les composantes d’une droite française minée par ses contradictions. Il se retrouve dans la position du promeneur enlisé dans les sables mouvants d’une politique strictement idéologique, et qui ne peut pas refuser les mains qui se tendent devant lui. En fait, il n’a plus de choix. Soit il se replie sur un quarteron de « fidèles » accrochés à lui comme les tiques au dos d’un épagneul breton, soit il compense ce resserrement digne du dernier carré de Waterloo par un semblant d’ouverture vers celles et ceux qui sont susceptibles de le lâcher avant l’échéance de 2012, qui se préparera dès le début 2011. En se positionnant dans les stalles de départ pour le grand steeple-chase des dix-huit prochains mois, Alain Juppé joue gagnant, car il sera facile, quel que soit le poste élargi qu’on lui attribue, de faire mieux que celles et ceux qui sont en place actuellement sur ce radeau de la Méduse. Les trous provoqués dans la coque du « France » par les « réformes » boomerangs, aussi inutiles que non maîtrisées, ont transformé le pays en épave, ballottée par les effets de cette crise que la Droite a prétendu éviter au maximum. C’est donc le moment idéal pour mettre le pseudo pacha du navire dans la nasse, en l’obligeant à « avoir besoin de vous » alors que c’est vous qui avez besoin de lui pour… exister ! Il faut savoir se rendre indispensable pour justifier sa propre ambition.
« Si le Président me le demande… ». c’est cette phrase que tout le monde répète actuellement pour se persuader que son téléphone va sonner, pour avoir des certitudes sur son avenir politique national. Pas facile comme situation. Revenir à l’assemblée nationale, quand on a été sur les bancs de celles et ceux qui donnent des leçons aux députés chaque jour, ne constitue pas un destin enviable. Le sort qui avait été réservé justement à Alain Juppé qui avait trébuché, aux législatives, sur l’obstacle Michèle Delaunay pour un développement durable de sa carrière, atteste que la mémoire fait défaut aux citoyen(ne)s de ce pays . Il avait été abandonné en rase campagne par celui qui doit maintenant lui faire un signe d’estime pour qu’il accepte de passer l’éponge sur ces mois durant lesquels il a rongé son frein, allant pourtant de défaite en défaite : cantonales de 2008 en Gironde, sénatoriales de 2008 avec la candidature de Hugues Martin, législative partielle sur le Bassin d’Arcachon en 2008, Régionales de 2009… Il a, à maintes reprises, à mots couverts, critiqué les réformes en cours, constituant un florilège de cours par correspondance donné à un chef de l’Etat français sûr de lui et flamboyant dans ses discours mais décevant dans ses actes.
Le maire de Bordeaux estimait le 7 octobre dernier, sur un sujet qui ne préoccupe guère les françaises et les Français, alors qu’ils vont dès 2011 en payer les conséquences, que le gouvernement « se fout du monde » sur les modalités de la suppression de la taxe professionnelle, principale recette fiscale des collectivités territoriales. « Le président Sarkozy avait promis une compensation euro par euro mais il avait oublié de dire pendant un an », avait dit Alain Juppé à Sud-Ouest. Il faudra qu’il en parle donc dans quelques jours à ses nouveaux amis, et surtout aux candidats qui ne se réclameront pas de l’UMP et qui avanceront cachés aux cantonales, car ils ont oublié cet épisode dans leurs déclarations fracassantes sur les finances départementales.
La politique d’exploitation politicienne du sentiment d’insécurité ? Dans un long billet daté, il y a moins de trois mois, l’ancien Premier ministre jugeait que «notre pays n’est pas à feu et à sang» même s’«il y a bien, en France, des zones de non-droit où les lois sont bafouées et où la police hésite à pénétrer». Selon lui, «durcir la loi» (…) «peut être nécessaire», « à condition que la loi nouvelle ne soit pas de pure circonstance et surtout qu’elle soit applicable et appliquée dans la durée ». Il en parlera certainement en conseil des Ministres avec Brice Croixdefeu qu’il rejoindra dans quelques jours. Début septembre, il avait implicitement critiqué la gestion actuelle du pays en affirmant au grand jury RTL/LCI/Le Figaro : « Nous avons besoin d’un changement assez profond. D’ailleurs, le président en est conscient, puisqu’il a annoncé suffisamment à l’avance un remaniement ministériel (…) Ce n’est pas simplement un problème d’hommes. C’est un problème de méthode et de feuille de route», avait-il précisé. « …il faut un gouvernement resserré, un gouvernement qui gouverne. Le président ne peut pas être en première ligne sur tout ». Il avait invité le gouvernement à «lancer une nouvelle action pour soutenir l’emploi et ramener la croissance à un niveau plus élevé». Heureusement, il avait refusé de se prononcer sur un changement de Premier ministre, « responsabilité du président de la République ». Ouf ! Il pourra être appelé par François Fillon, au cas où… le « président lui demanderait de rester ! » La France traversée par un tsunami de précarité sociale, économique, institutionnelle est en effet certainement suspendue à cette phrase, durant toute la semaine : « si le Président me le demande… ». Le suspense devient même insupportable. Heureusement, on va avoir le grand spectacle du G 20, qui va permettre de donner une dimension planétaire à cette angoisse qui nous étreint. Qui ira finalement sur le radeau de la Méduse ?
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….J’ai beaucoup aimé « le quarteron de fidèles accrochés à lui comme des tiques au dos d’un épagneul breton »….Ce ne sont certes pas les Estrosi, Moreno, Croidefeux ou Lefebvre, acoompagnés dans la médiocrité par pas mal d’autres d’ailleurs, qui sortiront la France du bourbier dans lequel leur maître à penser l’a précipitée ! Et si tu as bien lu ce qu’écrit le Nouvel Obs ce matin (nouvelobs.com), Juppé se dit « prêt à s’investir » afin d’empêcher le PS d’accéder au pouvoir en 2012….Alors, si le maire de Bordeaux réussit aussi bien à convaincre les français de voter pour Nicolas Sarkozy qu’il a convaincu les girondins, comme tu le dis, à élire les candidats de la droite durant les deux années écoulées, c’est rassurant, et tous les espoirs sont permis pour une victoire de la gauche en 2012 !!!
J’adore « la confiture sur le pain sec du G20 » !
« J’ai beaucoup de respect pour Alain Juppé. Lorsqu’il a été mis en cause et s’est exilé au Canada, j’ai été parmi les premiers à le soutenir publiquement. Mis en cause à mon tour, j’espérais son soutien en retour, sans lui avoir demandé à aucun moment. Au lendemain du premier tour, il accorde son soutien à ceux qui ont construit leur score sur une manipulation haineuse et indigne. J’en prends acte. Je croyais tout connaître des appareils politiques. Là où on me parle de morale républicaine, je ne vois que calculs et arrangements. Pour avoir su en préserver la ville de Bruges depuis 1995, j’ai plus de légitimité qu’Alain Juppé à donner des instructions de vote aux Brugeaises et aux Brugeais. C’est à ces derniers qu’il revient de l’apprécier en toute indépendance. »
Écrit par Bernard Seurot.