Le retour au pays reste un moment privilégié pour le voyageur. Soit sa besace personnelle est emplie d’impatience, soit elle ruisselle de regrets de devoir revenir au quotidien, et c’est une constante que cette hésitation entre le plaisir de retrouver ses repères, et la déception de partir au moment où l’on commence à avoir justement des repères. Il faut y ajouter, quand le parcours est long, une pointe d’angoisse pour en apprécier, par avance, les difficultés éventuelles. En partant plus de 3 heures avant l’heure d’embarquement pour l’aéroport international Trudeau à Montréal, je voulais prendre toutes les assurances afin que la traversée aérienne de l’Atlantique soit sereine. « Faites attention, signala la responsable de l’enregistrement vers 15 heures, le passage à la sécurité et à la police des frontières risque d’être long… » Oiseau de mauvais présage que cette charmante personne, payée pour rassurer les clients, mais oiseau lucide ! L’épisode des colis piégés a exacerbé le sentiment d’insécurité outre Atlantique, et immédiatement, tout étranger devient un suspect qui s’ignore. Aux USA, les tracasseries administratives deviennent un véritable frein au tourisme. Des heures de paperasses, de questionnements, de dialogue brutal et marqué par une violence sous-jacente, née avec la notion de terrorisme, sont désormais nécessaires pour pouvoir poser un pied sur le sol nord-américain. Et la semaine dernière, les lettres adressés au chef de l’Etat français ou à son ami Berlusconi depuis la Grèce, ainsi que les expéditions faites depuis le Yémen, ont relancé la psychose. Le déplacement en avion reste celui qui génère la plus grande agitation avant de débuter. Présentation, la ceinture à la main, le jean taille très basse, en chaussettes car les chaussures doivent s’offrir une radiographie détaillée, j’approche des cerbères. D’une main, je tente d’empêcher une chute de pantalon, alors que de l’autre, il me faut tenir le passeport, la carte d’embarquement et installer dans des bacs tout ce qui peut poser problème : parkas, veston, téléphone, montre, ceinture, sac à dos.
La première épreuve des travaux de l’hercule des transports aériens consiste à ne rien perdre dans cet épisode, que je considère toujours comme indispensable mais humiliant. La traversée du portique constitue la seconde. Bien évidemment, le bip strident et à la tonalité variable selon les aéroports, sonne. Un sentiment immédiat de culpabilité envahit l’aventurier du contrôle. Il lève les yeux étonnés et immédiatement met les mains en l’air comme s’il était face à une personne armée menaçante. Instinctivement il faut se palper, tenter de débusquer la pièce de monnaie rétive, la fermeture éclair fautive ou l’épingle double oubliée… Le « fouilleur » s’approche et vous somme de lever les mains, de vous prêter de bonne grâce à une palpation méthodique. Si vous êtes, comme moi, systématiquement renvoyé face au portique détecteur, vous augmentez notoirement votre angoisse. Ça sonne… et j’explique que j’ai, depuis 34 ans, une broche dans mon tibia, sans convaincre, mais destiné à obtenir un passage plus serré de la détection rapprochée. Un signe vous libère de cette « garde à vue » très éphémère, sauf que depuis quelques semaines, à Montréal, on peut vous passer dans une sorte de cabine de douche pour vous transformer en patient, déshabillé par la technologie moderne. Mon sac est passé au crible avec un bâton terminé par un tampon imbibé, qui doit détecter les explosifs potentiels dans mon appareil photo. Ouf, encore rien ! Encore trois contrôles de passeports avant d’apprendre que le vol aura finalement deux heures de retard, en raison des mesures de sécurité prises en Europe. Trop tard, on est en vase clos et rendu plus modeste dans ses sentiments de voyageur privilégié. La montée dans l’avion intervient plus de 5 heures après l’arrivée sur place !
La nuit sera gommée par les divers services long courrier, mais avec l’aube les tracas reviennent. Se dépêcher pour aller à l’autre bout de l’aéroport d’Amsterdam récupérer le vol vers Bordeaux, puis franchir encore deux contrôles plus légers que ceux du Canada, mais usant en raison de l’affluence. Pantalon en danger, chaussures toujours suspectes… et le scénario se répète avec, en plus, la pression des gens pressés qui poussent pour ne pas manquer une correspondance hypothétique, car le retard à l’atterrissage atteint les 2 heures. On s’esquive en tenant son froc et en tentant de ne pas faire tomber le reste ! Pathétique…mais inévitable pour perdre le statut putatif de terroriste.
La porte d’embarquement va changer trois fois, avec chaque fois bien entendu un laïus en anglais incompréhensible. Enfin, les portes s’ouvrent. vérification des papiers et, en bus, départ pour l’avion de la KLM Air France qui dessert une destination française sans absolument aucune personne capable de s’exprime autrement qu’en anglais et en néerlandais. Pas de descente du véhicule, et sans explication claire, retour à la case initiale. L’avion a une défaillance « technique »… et doit être remplacé. Que faire ? Rien. Attendre. Nouvel appel. Nouveau contrôle et nouveau périple bringuebalant dans un autobus pressé. Montée dans l’aéronef de secours, mais point de départ, car le commandant de bord grommelle quelques excuses pour nous inviter à redescendre, à revenir dans le bâtiment de l’aéroport et à attendre un troisième avion. Celui-ci aurait des micro fissures, détectées sur les ailes, qui pourraient se révéler dangereuses dans la tempête qui souffle sur les Pays-Bas. Enfin, c’est ce que nous croyons comprendre, car les subtilités du néerlandais échappent (comme celles de l’anglais hollandisé) aux passagers. Transfert des bagages, nettoyage hâtif d’un « arrivant », plein accéléré de carburant et… inspection de la carlingue qui dure. Encore des micros-fissures, détectées sur l’avant de l’aéronef. Escabeaux pour observateurs méticuleux, qui mesurent et notent, pour finalement lever le pouce vers le cockpit. Bien évidemment le énième contrôle se profile, et le retard atteint, là encore, trois bonnes heures.
Sur une destination Air France onéreuse, pas la moindre explication en français, mais on se plaindra ensuite de la disparition au plan international. Mais ce n’est plus l’heure de se pencher sur ce sujet annexe. Décollage et arrivée sur le sol français. Ouf. Ici, la suppression des postes de fonctionnaires met en évidence l’efficacité de notre pays : absolument personne pour le moindre contrôle. La police de l’air et des frontières est absente puisque nous arrivons de l’espace Schengen, et ne parlons pas des douaniers, dont le sort avait été prévu par Fernand Reynaud. Personne : le paradis. Qu’est-ce que c’est chouette d’être des gens du voyage en France. Surtout quand on n’est pas Rom… mais simplement passager d’une ligne arienne internationale. J’avoue : il est doux d’entrer chez soi sans contrôle d’identité. En 24 heures j’ai présenté au moins douze fois mes papiers, et en plus, j’ai payé cher pour ça!
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En moins poussé, j’ai subi le même genre d’expérience pour prendre l’Eurostar à Bruxelles, au moment des attentats à Londres : contrôle par la police anglaise, puis belge, puis passage au portique.
Mes restes de tradition rurale font que je ne me sépare jamais de mon couteau de poche. Mis par précaution dans le sac à dos mais détecté par le portique, il m’a fallu le sortir et l’exhiber. Considéré comme non dangereux dans le train (difficile de détourner un train avec un couteau), le passage est réussi. Ouf !
Mais au portique, je me suis mis à sonner !
Il a fallu que je me dépouille comme un oignon pour finir par découvrir au fond d’une poche des comprimés de glucose enveloppés dans du papier alu.
Derrière moi la foule s’imptientait et j’ai vu le moment ou je monterais dans le train en slip….