HISTOIRES D’ÉTÉ : redonner une vie éphémère par la force de l'esprit

Ne pensez pas que si certains vacanciers vont faire le tour des cimetières des villages c’est qu’ils ont un goût prononcé pour les soirées sataniques ou gothiques. Il est vrai que ces pratiques sociales sont de plus en plus répandues mais les promeneurs qui déambulent ont seulement l’envie de relever des indices de la vie simple des gens de ces bourgades parfois abandonnées par les familles dont les noms figurent depuis de siècles sur les sépultures. Ces lieux sont en effet les révélateurs d’une appartenance sociale et reflètent souvent les réalités d’une vie quotidienne particulière.
Certes dans les grandes villes il existe un tourisme spécialisé comme dans le fameux « Père Lachaise » à Paris, le repos marin Sète, le monumental de Milan, du vieux cimetière juif de Prague, coloré de Sapanta en Roumanie, enluminé la nuit comme à Xoxocotlan à Mexico, millimétré comme Arlington aux USA ou poétique à Highgate à Londres… on y va pour admirer la créativité ou la vision culturelle que portent au fil de siècles ces dernières résidences de gens aimés ou parfois bannis ! Mausolées ou même palaces de marbre, gazon rasé, pierres gravés pour l’éternité, croix de bois, terre nue, granit triste, chaux blanche si la mémoire des hommes le permet, statues évocatrices d’un engagement ou d’une passion : il existe un art funéraire exceptionnellement fécond à travers le monde !
En poussant la porte souvent lourde et rouillée de cet espace blotti contre un clocher comme s’il fallait empêcher les vivants de s’y rendre, on entre dans des histoires portées par des prénoms d’antan et des noms tellement ordinaires qu’ils en deviennent émouvants de simplicité. La mousse, les herbes folles et les fleurs en matière plastique réputées immortelles mais brûlées par le soleil, dénotent souvent que le souvenir s’est évanoui avec le temps. On pense inévitablement à la chanson « La montagne » de Jean Ferrat sur celles et ceux qui ont quitté un à un le pays pour aller vivre leur vie… ailleurs ! Cet ailleurs porteur d’espoirs mais aussi d’oublis, de renoncements et de moments nostalgiques ! L’abandon des racines se mesure souvent à la couche de lichen sur un bloc de granit ou à travers une parcelle de terre à la croix penchée ou carrément tombée au sol ! Elles sont pourtant là dans cet espace entouré de mur comme des prisons illusoires pour des éventuels morts-vivants.
En été certains cimetières s’ébrouent et retrouvent des instants de gloire quand le vacancier en tongs, bermuda ou short coloré vient y chercher la tombe d’une personnalité célèbre. Il passe en ignorant tous les autres, en dédaignant ces gens qui ont parfois fait la petite ou la grande histoire pour aller découvrir à Arcangues le caveau muet de Luis Mariano ; à Le Py sur la ville de Séte pour adresser une supplique à Brassens ; aux Grands Maisons à Jarnac pour poser une rose à François Mitterrand ; au père Lachaise pour trouver une kyrielle de gens refusant de quitter la scène pour sans cesse recevoir des spectateurs, et ils vont ainsi dans bien d’autres musées des gloires passées. D’ailleurs des milliers de touristes accourent au Panthéon afin de vérifier que les grands hommes ont besoin d’un tombeau à la dimension de leur ego puisqu’il est bien connu qu’ils sont plus grands morts que vivants.
Entrer au hasard d’une promenade dans un cimetière inconnu pour simplement prendre le temps de s’intéresser aux inscriptions de chaque tombe permet de sortir de l’oubli ces générations qui ont construit une nation. La brièveté de leur passage sur terre entre deux dates gravées dans le marbre ou au contraire leur longévité époustouflante selon leur siècle, a quelque chose de pathétique. Dans le silence du lieu, dans le silence de sa pensée on imagine leur parcours grâce parfois à une épitaphe, une plaque commémorative ou un élément illustrant leur parcours… Un roman sur l’étagère de la gigantesque bibliothèque des destinées s’ouvre alors laissant place à l’imaginaire. Dans le fond en quelques secondes les noms retrouvent une existence et quittent leur douloureux anonymat que leur a infligé le temps qui passe. Il arrive que des rencontres hors du commun soit possible puisque la notoriété devient relative avec l’impitoyable course des ans. On découvre la vraie beauté du Peuple !
Tous les amateurs de jogging savent que presque tous les cimetières possèdent un robinet permettant de se rafraîchir en été ce qui leur donne en été une fonction particulière. On prétend par contre que l’ombre fine et allongée des cyprès ces arbres funestes qui élancent leurs tristes rameaux vers le ciel est malsaine pour l’amateur de sieste. Le sommeil ne serait alors qu’une singerie de la mort ! C’est le paradoxe de ces endroits dont on veut qu’ils n’existent point alors qu’ils ne sont que les reflets de notre humanité. La vie et la mort s’y affrontent spasmodiquement.
L’été permet justement de donner du temps au temps et d’apprécier (et donc de relativiser) ce que l’on pense être l’injustice de vies incertaines ou angoissantes. Il n’y a rien de morbide ou de malsain à aller à la rencontre sans aucun préjugé, sans aucune crainte, sans aucun voyeurisme, de femmes, d’hommes, d’enfants pour lesquels le soleil n’existe plus. « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas » avait lancé François Mitterrand lors de ses derniers vœux à la France : ils le pensaient tous et tous avant de disparaitre du monde mais l’inexorable faiblesse des mémoires en a décidé autrement ? Parfois on peut rencontrer les forces des esprits sans le savoir et sans le vouloir dans une allée où elles rodent en espérant qu’on les réveillera quelques secondes !
Jean-Marie Darmian

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Cet article a 3 commentaires

  1. bernadette

    Les forces de l’esprit ne sont que l’imaginaire que l’on peut appeler globalement : spiritualite ou la croyance en des lieux, objects ….
    Pour moi, c’est le debut de la folie par le fanatisme.

  2. bernadette

    La recherche de ces ancetres fait partie de la genealogie, c’est egalement un metier au service des notaires, Banque etc… Pour heritage.

  3. Jbara Karim

    Jean-Marie, ta chronique me fait penser à trois moments de vie parmi les morts.
    Été 1981, Memphis, Tennessee, je découvre que le gigantisme américain se niche même dans les cimetières, que l’on peut – doit ? – parcourir en voiture. Et où j’ai vu de multiples exemples d’art funéraire : Les sobres plaques sur les tombes de soldats confédérés ; les monuments et sculptures de toutes tailles, styles et goûts ; les pierres tombales à idéogrammes de membres défunts des communautés asiatiques locales, etc.
    Décembre 2007, Maroc : Pour la première fois – nous étions fâchés -, je me rends sur la tombe de mon père. Plus ou moins abandonnée, elle disparaît sous les herbes folles et l’inscription sur la pierre est bien fanée. Mon cousin Abdelhamid, qui m’a conduit là, donne quelques dirhams au gardien. Pendant qu’il lui refait une beauté, je parle à mon père et fais la paix avec lui.
    2013, Vannes, ma nouvelle compagne me raconte comment elle emmenait ses jeunes fils et leurs cousines et cousins au cimetière « pour leur parler de la mort, parce qu’elle fait partie de la vie ».
    Merci pour ta chronique

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