Un ami avec lequel je déjeunais, lecteur fidèle de « Roue Libre », me donnait ses impressions sur mes chroniques quotidiennes. Et comme j’aime bien savoir comment est perçu ce « travail » quotidien vieux de 10 ans sans aucune interruption majeure, je l’ai écouté avec soin. Le manque de « retours » dans une société où on se demande l’utilité de toute information présentée différemment des modèles généralisés me pèse parfois. C’est donc avec plaisir que j’ai bu ses mots : « Chaque texte que je lis traduit me semble-t-il une forte désillusion sur la vie sociale. Tu n’es pas pessimiste mais à la limite tu es trop réaliste… et on sent que tu n’as plus confiance. ». Il a raison et c’est un vrai ami car il m’a donné un avis sincère et précieux. J’ai effectivement du mal à me convaincre de ne pas changer dans un style qui est le mien : le parler vrai et en l’occurrence chaque matin « l’écrire aussi vrai » que possible à partir des informations que je peux récupérer ici ou là. Ce qu’il sait aussi, comme tous es vrais amis que souvent je me contiens pour ne pas aller davantage dans la mise en perspective des faits dont j’ai connaissance.
Dans ma faible expérience de 22 ans à côtoyer le monde du journalisme j’ai participé à de multiples « scoops » puisque je fus ainsi le premier en France à dévoiler l’affaire A Urba en 1982, à mettre en exergue le système fallacieux des cautionnements d’emprunts par la Mairie de Bordeaux en faveur des Girondins de Bordeaux, à annoncer la destruction des tours de Palmer, à prévoir les défaites de Talence et de Le Bouscat aux municipales, à raconter les dessous de l’élection surprise de Chaban à la tête de l’Aquitaine… et bien d’autres faits du monde sportif ou politique. On m’a aussi prêté bien d’autres écrits que je n’avais pas commis ou dévoilés. J’ai reçu de multiples menaces de gens mal intentionnés qui ne me voulaient pas du bien et j’avoue avoir pratiqué très souvent l’autocensure pour ne pas aller trop loin. J’ai aussi comploté, j’ai été dupé, j’ai servi des causes peu glorieuses… Et à mon ami j’aurais pu avouer (et il le sait) que je n’écris que très peu de ce que je sais sous peine de me voir mettre à presque 70 ans, au ban de la société. Je sais qu’il est infiniment plus facile de dire que d’écrire ! Et j’admire ceux qui vont au bout de cette volonté de tout transcrire au profit de la vérité ! C’est sincère! Alors je suis certes « désabusé » mais je crois être encore loin, trop loin de ce que réserve l’avenir.
Je lis, j’entends, je vois dans les médias des récits, des descriptions d’événements, de pratiques qui n’ont absolument aucun lien avec la réalité. Comme souvent je suis au cœur de ces moments et que le réseau que j’entretiens depuis près de 50 ans c’est impossible de casser le manichéisme de certaines informations dont je connais très souvent les origines. Alors c’est exact mon vrai ami à raison : « je n’ai plus confiance en grand monde et plus encore j’ai perdu confiance en ce monde et en cette société ». Peut-être que mon doute permanent naît du caractère pervers du système médiatique qui peut impunément interpréter de manière théâtrale les faits grâce à des gens se disant généralement bien informés alors qu’ils sont souvent bien manipulés. C’est ainsi ! Alors ces chroniques n’ont pas la valeur des « petites phrases » dont raffole l’opinion et un système simplificateur à l’extrême.
La dérive sociale est telle que j’ai aussi souvent l’impression de perdre pied face à ces médias répétant à l’infini des analyses de base. Et même si c’est immodeste depuis 10 ans, j’ai le sentiment d’avoir expliqué souvent bien avant les autres, ce qui va arriver ou décodé ce qui est arrivé. C’est vrai que ce n’est jamais très réjouissant d’avoir à faire perdre leurs illusions à celles et ceux qui se contentent de « croire » plutôt que de « comprendre ». En ce qui me concerne je n’ai jamais cru en rien sauf en ce que je suis capable de vérifier et de maîtriser. Or j’ai l’impression probablement à tort que je suis submergé chaque jour davantage par un tsunami d’approximations, de postures partisanes, d’analyses superficielles. Alors oui je suis « désabusé » et « décalé » !
« Roue Libre » me sert donc chaque jour d’exutoire positif car elle me donne l’illusion que je peux encore lutter contre ces phénomènes angoissants. Et parfois j’ai la bonne surprise d’avoir un mot sympa, un commentaire secret et personnel qui me conforte, une demande d’explication sur mes positions. Bien évidemment après plus de 3500 chroniques forcément inégales il serait vaniteux de penser qu’une seule d’entre elles a changé la face des choses mais je reprendrai une phrase écrite sous le buste d’un inspecteur général célèbre qui trône à l’école normale supérieure et que je paraphrase : « si dans votre vie (d’enseignant) vous avez élevé une seule conscience vous avez réussi votre vie (professionnelle) ». Je n’aurai pas la prétention d’être « journaliste » ayant élevé un seul esprit car je ne suis qu’un « journalier » inconnu, besogneux convaincu qu’il sème au hasard d’internet quelques graines de doute dans des esprits réceptifs !
Oui mon ami, je suis désabusé par ce que je sais, je suis désabusé parce que je ne peux pas toujours écrire ce que je sais, je suis désabusé par la croyance généralisé dans les apparences ! Mais tu sais bien que devant un verre de rosé frais le monde est différent et que la joie du partage revient vite ! Je vais me soigner ! Bientôt !
Jean-Marie Darmian
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Je comprends ton desabusement.
Il semble à la hauteur de ce que tu espérais de l homme
Même moi qui sans être cynique doutait de l homme de ses qualités j ai toujours eu pour principe que l homme nait bon et que la société le pervertit
J arrive quand même à avoir des déceptions c est dire qu il reste une lueur d espoir et parfois celle ci nous éclaire mais nous sommes tellement dans les ténèbres que nous n arrivons plus à la voir croyant être victime d hallucination
Il faut donc rester les yeux grands ouverts pour percevoir cette minuscule lumière
Pareil !
Avec cependant une préférence pour un verre de rouge.
Bonjour Jean Marie,
Je suis une lectrice (Créonnaise) de Roue Libre et j’aime beaucoup cette chronique. Je trouve votre style d’écriture clair et simple, à la portée de tous et j’apprécie votre façon de penser, de voir les choses ainsi que votre sincérité. Je suis très souvent en accord avec ce que vous dites. Même si comme vous dites, vous n’écrivez pas tout ce que vous savez, vous avez le courage de dire et surtout d’écrire.
Alors bravo et merci pour toutes ces informations et longue vie à Roue Libre.
Je me retrouve réellement dans les impressions de ton ami. Je me suis fait les mêmes réflexions à ton égard.
Mais je comprends cette résignation devant des éléments que tu ne peux pas conduire librement.
J’ai cessé « d’émettre » sur Facebook pour ces raisons, devant l’indifférence de mes « amis » ou à cause de leur censure.
Parce que nous sommes libres, nous devrions pouvoir nous exprimer sans retenue. Parce que nous ne vivons pas dans un monde libre, nous sommes soumis à nous retenir.
C’est bien triste, et je te remercie, chaque jour, de nous communiquer tes réflexions, avec lesquelles j’ai parfois des écarts de conception, mais grâce auxquelles il est permis de se poser des questions.
Le jour où tu cesseras d’écrire dans Roue Libre sera celui de la liberté d’expression. Ce jour n’est malheureusement pas encore là. Alors je continuerai à te lire régulièrement, comme les maquisards écoutaient prudemment Radio Londres. Tiens ! Bizarrement les initiales sont les mêmes…
Je suis bien désabusé moi aussi ! Peut-être est-ce du à l’âge ?
C’est vrai que dans tous les domaines, on en a vu des « vertes et des pas mûres » !
Et parfois on a intérêt à garder pour soi des constats que de toute façon d’autres ne voudront pas faire, même face à la réalité.
Ça m’est arrivé de naïvement de « l’ouvrir « un peu trop et ça ne m’a pas forcément apporté des avantages, mais tant pis, de temps en temps il faut se faire plaisir.
Continue jean marie à nous apporter ton lot quotidien de nouvelles qui me font dire souvent : je ne suis donc pas le seul…
Bonne santé à toi.
Bonjour !
Oui ! C’est vrai, J-M: comme certainement beaucoup de tes commentateurs, il m’arrive, très souvent, de vouloir te répondre dans la foulée de la lecture quotidienne, car, dans notre génération, on a le verbe direct qui permet d’évacuer …et d’avancer. Puis, hélas, le recul aidant, le clavier se bloque et le document que tu sollicites, rejoint l’icone « corbeille » !
Certes, je t’accorde qu’il s’agit de lâcheté philosophique ! Ne crois pas pour autant que je délaisse la lecture de tes feuillets qui m’apporte chaque jour (ou presque !) un précieux remède (gratuit pour Dame Sécu !) contre la cohorte de tracas pour retraités lassés par la tournure des événements … tout comme ils soignent énergiquement ta santé de maire-honoraire !
Quant à ton pessimisme, la frontière avec ton réalisme étant si brumeuse, je pencherai pour le second qui, d’ailleurs, s’avère souvent vérité. La tourmente footballistique actuelle nous en apporte la preuve !
Continue tes écrits même si quelques oreilles perçoivent des sifflements aigus…au demeurant salvateurs ! Pour les idées trop « piquantes », ce n’est point à toi, l’Instituteur, que j’apprendrai l’utilité philosophique des points de suspension en final …….. ! !
Cordialement