Elles sont incontestablement les reines de l’été. Elles s’étalent bronzées à souhait ou encore pâlichonnes, dans tous les lieux très fréquentés, tant sur la place publique que dans la sphère privée. On les trouve aussi sur les plages, dans les guinguettes, dans des baraques, le long des routes ou dans des espaces branchés, et elles séduisent inévitablement dès que l’on voit leur allure. Il les faut évidemment très chaudes et un brin épicées, pour qu’elles correspondent, dans tous les cas, aux goûts de ceux qui les convoitent. Il arrive souvent qu’elles se fassent attendre, aiguisant l’appétit des envieux qui ont commandé un instant de plaisir, à déguster avec les doigts. Inutile de préciser qu’avec elles, il n’est pas question de mener grande vie, même si parfois elles sont issues d’une filière réputée noble et rare. Certaines sont en effet triées sur le volet, grandes, élancées, fines, dorées à point, alors que d’autres se présentent rabougries, un œil noir et sèches… décevant ainsi le client qui s’attend toujours à la perfection en la matière. Si elles sont grasses, dodues, elles ne seront pas pour autant rejetées par les connaisseurs, les vrais,ceux qui savent que c’est un gage d’authenticité auxquels la société moderne ne les a plus habitués. En effet, tout dépend de leur origine, et surtout de la classe à laquelle elles sont destinées.
Dans la plupart des maisons jamais closes où elles figurent au « menu »il faut bien convenir que leurs trajets s’inscrivent dans un processus modernisé. Leurs racines provinciales plongent encore dans des terroirs connus, et si elles sont « cultivées », c’est toujours de manière extensive. Ramassées par des petites mains expertes, elles sont classées selon leur tour de taille de manière automatisée. Lavées puis « dévêtues », les plus belles d’entre elles sont alors soigneusement apprêtées pour souvent partir vers une zone extrêmement fraîche où elles séjourneront durant plusieurs mois avant de partir pour l’aventure. Ces « élégantes », dont la dimension est similaire aux merveilleux doigts de Memphis Slim ou de Compay Segundo, finiront dans la filière américaine. Sélectionnées sur la base de leur silhouette, correspondant aux normes actuelles, elles seront habillées dans un uniforme rouge frappé d’un M d’or. Elle ne devront surtout pas dépasser d’un iota la taille idéale pour être mises en place, droites comme des « I », mordorées et aisément accessibles à des jeunes souhaitant des propositions saines, aseptisées et normalisées. On ne les trouve que sur les aires d’autoroutes, le long des voies ou des rues les plus fréquentées, au pied des monuments les plus visités. Elles dorent dans un liquide parfait, clair, propre, absolument identique d’un bout de l’année à l’autre. Le bain leur donne en général bonne mine, car sa durée millimétrée correspond aux attirances formatées des gens qui fréquentent ces grandes surfaces américanisées oublieuses des traditions du goût ! Leur teint légèrement hâlé reste dans la norme de telle manière que chacun y trouve son plaisir. Avec les doigts on détache une « allumette » du groupe pour la parer d’un rouge donné par une « crème » réputée indispensable pour que le convive y trouve son compte. Durant l’été, sans que personne n’y voit matière à s’offusquer, les parents conduisent en masse leur progéniture retrouver ces « top-modèles » sauce américaine ! Il arrive même que l’affaire se passe directement dans la voiture, ce qui ne choque pas grand monde à part celles et ceux qui ont une vision plus poétique de la « chose ».
Il existe aussi une version plus populaire, consistant à plonger directement dans un jacuzzi bouillonnant, plus ou moins reluisant, des « productions » industrielles blanches comme le linge qui les a essuyées, entassées dans des poches transparentes. Elles passent alors, dans une volupté bruyante, de la froideur absolue à la plus brûlante des passions. Surveillées par une matrone pressée ou par un marmiton à l’œil aiguisé, ces sacrifiées dans l’urgence ne peuvent devenir que les compagnes d’une partie de « poulet », d’un « canard » ou d’un « bœuf ». En général, elle reflète la société à laquelle elle est destinée, tant dans sa taille, sa maigreur, sa consistance et même parfois sa couleur, pouvant aller du noir au blond, sans que l’on puisse incriminer autre chose que le hasard. En été, il faut aller vite pour que les familles trouvent, au meilleur prix, leur dose de bonheur. Tout s’accélère. On les affecte à une vulgaire barquette en matière plastique transparente, on y répand des grains de sel et on y ajoute un habillage peu esthétique, venant du ventre d’un réservoir pressé par une main experte. Souvent, plusieurs personnes partagent joyeusement cette arrivée dans un cercle gourmand. On y pioche à sa guise, on y tire une à une les plus bronzées, mais il faut remarquer que les plus estropiées, les plus menues, les plus racornies demeurent au fond, sans que quiconque leur tende la main.
Il existe aussi, durant l’été, ces rendez-vous campagnards permettant aux urbains, peu habitués à ces rencontres, de s’encanailler. Dans des hameaux isolés, il reste encore l’espoir de trouver des fermes auberges où on aime n’offrir que les productions de la maison. Issues de la terre nourricière, logées dans des toiles rudes de jute, mises au cachot afin qu’ils ne leur pousse pas des « ailes », leurs bases sont travaillées sans artifice. Dépouillées de leurs oripeaux poussiéreux par une main agile, privées de leurs yeux inutiles en un geste circulaire cruel, tranchées sans aucune régularité sauf à faire qu’elles soient robustes, lancées dans une graisse neigeuse transformée en liquide de mort, elles vont enchanter ceux qui refusent la loi de tous les régimes liberticides. Il faut absolument avoir goûté à ce péché défendu pour savoir réellement ce qu’est un été de tous les dangers. En général, on ressort rassasié de ces lieux où on renforce sa résistance grâce aux plats, mais on n’est pas très « branché », car il n’y a ni rouge aux lèvres, ni mayonnaise, mais du gras, rien que du gras, à donner la nausée à n’importe quelle spécialiste en ligne maîtrisée. Parmi les nouvelles modes de cet été, dans les soirée festives, la rusticité a même été accentuée. On a pu s’offrir partout la pomme (de terre) en robe de chambre, directement expédiée dans le grand bain. Elle a un goût exceptionnel, car elle est imprégnée de ses origines. Vous l’aurez deviné c’est ce qui m’a donné la… frite durant toutes ces vacances.
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Hum, quelle belle photo de robe des champs comportant le string minimum !
Sujet d’actualité puisque ma fille m’en réclamait ce soir. Mais nos pommes du jardin passèrent au sauna pour se parer d’un nuage de vapeur…Un voile de beurre salé les habillaient ensuite, tandis que les côtes de porc furent grillées 100% sarment de vigne locale !
Conclusion : nous aussi avons la patate !