Il ne peut pas y avoir une véritable journée d’été sans rencontres. Elles peuvent être de tous ordres et souvent parfaitement imprévues. Ces dernières peuvent plonger dans la douleur ou dans le bonheur en une fraction de seconde. Tout le monde sait qu’un été peut être « meurtrier » ou «régénérateur », et tout dépend des moments où l’on passe aux carrefours de la vie. Rentrer chez soi, ou reprendre le rythme du quotidien sans avoir en mémoire un visage, une discussion, un plat, un lieu, un éclat de culture, une parcelle d’inédit, c’est véritablement un échec patent. La routine, réputée parfois reposante, génère tôt ou tard l’ennui. N’entre dans le rayon des souvenirs justement que ce qui est inhabituel, tout ce qui choque, tout ce qui intrigue, tout ce qui ébahit, tout ce qui déroute. Le plus dur, c’est de sortir des sentiers de randonnées battus et archibattus par les promeneurs en quête du Graal touristique : découvrir l’exceptionnel, là où tout le monde s’évertue à ce que tout soit ordinaire. L’art des « organisateurs », quels qu’ils soient et à quelque échelle qu’ils soient, c’est en effet de tout prévoir, de tout préparer et, plus encore, de vendre du prêt à porter ou prêt à « marcher », afin d’éviter justement l’imprévu des rencontres. La seule véritable surprise possible reste celle de l’échange humain, celui qui découle de routes qui se croisent par le plus grand des hasards et permettent de trouver matière à s’enrichir.
Si vous faites le bilan d’un séjour au camping, d’un passage à l’hôtel, d’un voyage dans un transport collectif, d’une participation à un repas, d’une soirée au spectacle, de la participation à des jeux, quel que soit votre âge, vous vérifierez facilement que vous ramenez une rencontre plus ou moins importante. Même si, par conviction, vous avez accepté de vous retirer du monde durant cette période d’activité réduite, vous avez eu le privilège, dans le silence et l’abstinence, de vous retrouver face à vous même. La plus exigeante des « confrontations », car elle révèle des faiblesses et peu de réussites. On ne ressort pas intact de ce face à face estival, qui confine à la mise au mitard, comme si dans le fond il fallait expier une faute potentielle, celle de vouloir s’oublier dans la fête. Il semble pourtant que cette situation progresse, puisque financièrement, il devient de plus en plus difficile de se délocaliser pour s’étonner et se dépayser. Il faut donc absolument se persuader que dans la proximité, dans l’ordinaire, on peut trouver l’exceptionnel.
Chaque samedi soir, lors des soirées « gastronomico-musicales » au Point Relais Vélo, en faisant simplement le tour des tables une bouteille de rosé dans une main et un verre dans l’autre, je vérifie que l’on peut s’offrir à moindre frais des moments intenses, grâce simplement à la volonté de partager. S’arracher aux siens (qui vous le reprochent amèrement), pour aller vers l’inconnu, en s’asseyant à une place vacante pour engager une conversation, vaut tous les sondages, toutes les analyses sociales, tous les baromètres politiques. C’est là qu’en quelques minutes, on vérifie la température de l’été. Le constat le plus terrible, c’est qu’une rapide observation de la disposition des gens sur l’espace libre ouvert, dénote une aggravation de la non-communication entre les hommes. Les groupes se constituent avant l’arrivée, se gardent les places, ne se mélangent pas avec des « inconnus » et laissent, le long des tables, des vides révélateurs de l’impuissance croissante que nous avons à entrer en contact avec les autres. La désinhibition des fameux sites d’échange et de rencontre n’existe plus dans ces soirées, et elle n’a guère amélioré les contacts humains, dans la réalité. C’est fou combien les gens ont du mal à se parler, tant ils sont tétanisés par la peur de l’autre, de l’inconnu que l’on ne veut surtout pas rencontrer. Et comme, tout cet été, on a rabâché les mots qui tuent le lien social, « insécurité », « étrangers », « danger », « Roms », et la panoplie de tout ce qui peut mettre en lambeaux le lien social, pourtant essentiel dans une démocratie, on confine à la caricature. Drôle d’accueil pour ces familles qui consomment, écoutent, repartent sans avoir échangé d’autres mots que ceux qu’ils ont l’habitude de débiter. On reste ensemble, groupés, voire repliés, pour « faire la fête », alors qu’en été le bonheur devrait être dans la rencontre, dans l’échange.
Une image : deux étudiantes colombiennes, seules à une table, avec lesquelles un défi s’engage : goûteront-elles de la lamproie offerte ? Elles acceptent le challenge. Rires et amorce d’un dialogue extraordinaire sur leur vision de cette France, où elles séjournent depuis « ouit ans ». Du pur bonheur de les écouter, de répondre à leurs questions, de partager leurs inquiétudes et leurs espoirs. Elles finissent par être accueillies par une tablée, pour échanger sur Télécanalcréon, la télé citoyenne qui les intrigue. Elles enverront un message pour (et c’est le pire !) remercier de l’accueil qu’elles ont eu durant cet été de toutes les peurs pour les étrangers. Dans le fond, le plus inquiétant c’est qu’elles puissent se sentir privilégiées d’avoir simplement pu discuter sur une manifestation pendant les vacances.
Ailleurs, ce sont des Lorrains qui ont retrouvé des Auvergnats (ça ne s’invente pas !) dans un gîte collectif de Sadirac. Les maris ont fait leur service militaire ensemble et depuis, ils se retrouvent pour des vacances communes. Encore une autre discussion, un autre échange, une autre rencontre et d’autres bonheurs dans le partage. Plus loin, des familles venues des « banlieues » voisines ou des « gens du voyage », étonnés qu’on puisse encore leur parler. Discussion animée, mais discussion, et c’est là l’essentiel. La soirée sera fertile en négation du fait désormais institutionnalisé voulant, selon une phrase discutable de Jean-Paul Sartre que « l’enfer, c’est les autres ». Ces rencontres d’été enrichissent, entrent forcément dans ces portraits qui s’estompent, pour laisser la place à des impressions fugitives. Elles disparaîtront vite pour laisser la place à des certitudes assénées par des médias qui filtrent, dénaturent, formatent, ces rapports humains en voie de disparition. Cet été, où tous les chemins de pensée mènent aux « Roms », confine à la caricature absolue de ce cloisonnement social qui s’installe… et qui se renforce à vive allure. Demain, il sera trop tard, car l’indifférence aura fini par creuser des précipices ou par dresser des barbelés !
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Dans les mots clefs, il manque juste « verre de rosé à la main » !
Agréable fin de vacances à toutes et tous car le 7 septembre, je pense qu’on sera encore à arpenter la rue, mais pas en touriste…