Comment faire sauter le barrage fait au débat public ?

Il y a tellement de réformes à conduire en France que dès que l’on ouvre un dossier on le referme en raison des difficultés qui vont naître. Les premières réticences ne viennent pas généralement des citoyens mais des organisations prétendant les représenter. Mieux ce sont aussi les services de l’État chargés de les mettre en œuvre qui se heurtent à d’autres services s’estimant spoliés par la disparition d’un pan entier de leur boulot. Ainsi cahin-caha on enterre, on replâtre, on transforme, on ajuste mais jamais on ne reconstruit vraiment alors que l’on constate un dysfonctionnement patent du système inventé parfois il y a des décennies. Il en va ainsi de l’immense usine à gaz que constituent les procédures applicables à un grand projet. De plus en plus ils mettent des années pour émerger, suscitent des recours judiciaires interminables, provoquent des conflits violents et finissent aux oubliettes ou passent en force.

La concertation en France n’existe pas vraiment et le débat public est confisqué par refus de la part des élus d’avoir recours aux référendums après une véritable information et une procédure codifiée permettant de garantir une vraie objectivité sur des dossiers complexes. Les textes sur les déclarations d’utilité publique et les enquêtes publiques qui les précèdent n’ont plus aucune signification. Partout (même pour les documents de base que sont les Plan locaux d’Urbanisme) on va vers un arbitrage des tribunaux administratifs et des annulations régulières. L’exemple le plus significatif et le plus récent de cette distorsion incontestable dans le dispositif actuel est celui du barrage de Sivens.

« La réalisation du projet initial n’est (…) plus d’actualité », a tranché Ségolène Royal, enterrant ainsi définitivement un projet qui suscite la controverse depuis des années. Le communiqué de la ministre a suivi de peu la publication d’un rapport des experts qu’elle avait mandatés en novembre pour tenter de trouver un compromis entre pro et antibarrage. Dans ce rapport, les experts jugent que « le projet initial de barrage à Sivens… n’apparaît pas comme une solution adaptée ». il est temps de s’en apercevoir… et surtout des tonnes de paperasses, des hectolitres de salive, du sang et des larmes donnent une vraie illustration de l’idée de l’efficacité de la procédure.

Après des mois de discussions, les experts listent deux « solutions intéressantes ». La première envisage « un réservoir réduit sur le site de Sivens, de préférence celui situé 330 m en amont du projet initial, épargnant plus de la moitié de la zone humide impactée par le projet initial ». Cette zone humide, dite du Testet, a été détruite dès septembre par l’avancement du chantier. Elle abritait de multiples espèces sauvegardées. Le deuxième scénario est « une alternative » comprenant un ensemble de trois retenues latérales ou collinaires, une à Sivens, et deux autres non loin. Comment admettre que notre pseudo système rationnel basé sur des processus soit un gage d’efficacité ?

J’ai été dans en 1995 désigné nationalement pour représenter les maires au sein de la commission nationale chargée de faire évoluer le débat public autour des très grands projets… nous avions travaillé un an avec un cabinet spécialisé marseillais pour ne jamais connaître les conclusions et surtout les réformes proposées. La commission existe encore et on en connaît les limites. Une première difficulté est liée à l’acculturation des administrations et du public dans un pays qui n’a jamais été habitué à la consultation directe du public, ce qui produit parfois des débats qui suscitent plus d’émotion que de propositions constructives, ou qui ne sont que des chambres passives d’enregistrements d’avis, entretenant une inertie, sans réflexivité, là où le débat aurait pu produire de la co-construction et de l’évaluation partagée. C’est la réalité et une bonne dizaine de lois ont sans cesse tripatouillé les textes sans jamais trouver la solution et mettre en place une vraie procédure démocratique de consultation des citoyens. Ainsi aucune décision n’est acceptée !

L’abandon du barrage de Sivens a été critiquée par les partisans du projet, qui l’estiment nécessaire pour irriguer les terres agricoles alentour. « Rayer d’un trait de plume le projet pose des soucis : qui va payer les entreprises contractées ? Et ça veut dire qu’on est reparti pour quatre ou huit ans d’études, sans aucune garantie qu’il n’y ait pas encore une fois des zadistes » sur le site du nouveau projet, juge le président de la Fdsea du Tarn, le syndicat agricole majoritaire grand défenseur du barrage. Se disant « très suspicieux vis-à-vis des experts », le porte-parole des agriculteurs à l’identique » avec pour seule transformation une réduction du volume d’eau alloué à l’irrigation. Quant aux antibarrage, s’ils se disent « satisfaits » que le projet initial soit « abandonné », ils refusent d’apporter « pour l’instant » leur soutien à l’alternative consistant à construire d’autres retenues. Ils estiment que les besoins en irrigation peuvent être satisfaits en utilisant les retenues collinaires existantes, des ouvrages de stockage d’eau construits par les agriculteurs eux-mêmes, et remplis par les eaux de ruissellement ou de pompage. S’il est prouvé que les besoins en eau ne peuvent pas être satisfaits par les retenues déjà construites, « alors, il faudra discuter d’un possible ouvrage ». « Mais il faudra que ce soit le moins impactant pour l’environnement. Et c’est reparti… pour une procédure dont on sait par avance qu’elle finira en justice !

Cette publication a un commentaire

  1. batistin

    Il en est de même pour le monde artistique… OU comme vous le dites, Monsieur,
    « Il en va ainsi de l’immense usine à gaz que constituent les procédures applicables à un grand projet »…
    En effet le Ministère de la Culture et de la Communication cherche, ou en tout cas dit le faire, une solution pour sortir du marasme les créateurs perdus dans nos campagnes et non subventionnés…
    Je ne parle pas ici des « artistes libres » joli appellation non contrôlée où sont casés de force par le pôle emploi tous les travailleurs indépendants inclassables, puisque le statut d’auto-entrepreneur est interdit aux « artistes » déclarés à la Maison des Artistes…
    Non, je parle donc des « artistes ».
    Comment, par quel moyen, mettre en valeur cette manne inutilisée, non subventionnée et porteuse d’avenir.. ?
    Le grand projet a été de lancer une multitude de Musée d’art contemporain régionaux.
    Musées subventionnés, eux.
    Sauf que les collections qui y sont acquises (en moyenne 40 000 euros par oeuvre ) et renouvelées ou améliorées chaque année, sont choisies par les directeurs de Musées dans un catalogue très parisien faisant totalement abstractions des artistes « régionaux »…
    Résultat, il n’y a de contemporain, dans les Musées d’art contemporains Régionnaux, que des oeuvres qui n’ont nulle raison d’y être, sauf à maintenir la cotation nécessaire à l’enrichissement des Galeries … Parisiennes.

    Nous sommes, nous artistes de campagne, pourtant forts contemporains, puisque… vivants !

    Quand on songe qu’il suffirait d’ouvrir dans chaque Musée (subventionné) une salle dédiée aux artistes vivants autour du dit Musée, pour que le budget subventionnel serve enfin à ce pourquoi il est attribué… c’est fort rigolo !

    Mais enfin, ces beaux messieurs et dames réfléchissent encore à une solution..

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