LA TELE REALITE

Sun, 16 Oct 2005 00:00:00 +0000

Soirée politique, samedi, avec l'opportunité de rencontrer, en  » live  » comme diraient les branchés, Alain Vidalies, député PS des Landes, Jean Luc Mélanchon, sénateur de l'Essonne, Laurent Fabius ex-premier ministre. Le verbe rencontrer prend toute son importance car l'idolâtrie béate, dans la vie publique, constitue le pire des dangers pour la démocratie, puisqu'elle transforme le militant ou le citoyen en supporteur ou en fan. Elle mute les réunions d'information et de débats en concert pour pop star, donnant une image pitoyable des relations entre les gens et les gouvernants potentiels. Les shows à l'américaine destinés à fournir une dose d'enthousiasme délirant au Peuple, via le support des reportages télévisés, se multiplient avec de plus en plus de moyens financiers. On en a récemment vu des exemples onéreux et dégoulinant de fric.

Là, samedi soir, il s'agissait, plus modestement, d'une rencontre sage, dans une salle des fêtes de village noyée dans la brume automnale, sans artifices lumineux, sans apparat particulier et face à un parterre ne brandissant aucune pancarte pré-imprimée. Malgré la présence des caméras de TF1, éberluées par ce décorum sommaire, pour un direct dans le journal de 20 heures, l'ambiance n'avait pas été modifiée. Cet événement (TF1 en direct depuis une commune totalement méconnue de la dizaine de millions de téléspectateurs face à leur petit écran) aura permis aux 600 personnes attablées de mesurer le décalage extraordinaire entre deux visions de la politique. Celle de l’ image et celle du terrain. Celle de l'apparence et celle du dialogue direct. Celle de la politique spectacle et celle de la réflexion collective. Celle de la réduction argumentaire et celle de la pédagogie citoyenne.

Dès le matin, la fracture entre ces pratiques m’était apparue, puisqu'une équipe de France 3 courait après les responsables socialistes girondins pour recueillir quelques secondes de déclarations sur ce que Fabius allait dire… le soir. Il faut d'abord se poser une question fondamentale. Etait-ce un libre choix rédactionnel (décision liée à un besoin d'information) ou du suivisme intégral (interview dans Sud Ouest le matin et annonce du passage chez Claire Chazal) ? Le besoin d'images primant sur le reste, la négociation fut extrêmement longue pour obtenir des prises de position de Philippe Madrelle et surtout de Gilbert Mitterrand?Le fond devenait accessoire. Seul le nom comptait. Le professionnalisme des journalistes n'est pas en cause mais la méthode l'est. Se retrouvant sur une inauguration d'école illustrant parfaitement le souci actuel des élus d'en bas pour le préservation de leurs services publics, la télé a totalement occulté cette manifestation pour ne retenir qu'une poignée de secondes d'une prise de position pré-établie. Les téléspectateurs n'auront rien du contexte, rien de la réalité, rien de l'ambiance, rien du motif profond de l'action des élus concernés. Le temps devenant, sur France 3 comme ailleurs, une question d'argent il n'y avait pas la place pour une info complète et proche du terrain.

Le soir, l'enjeu augmentait. Claire Chazal voulait absolument que Laurent Fabius soit son invité. Ne serait-ce que pour respecter, très globalement, les obligations de la chaîne en matière d'équilibre politique. Et en plus, si l'on peut placer dans le quota du P.S. des minutes consacrées à ses chamailleries internes, autant en profiter. Après le congrès ce sera trop tard !

On était, en plus, en direct sur une plus longue durée que celle du matin, et avec surtout, la possibilité de s'exprimer sans le risque d'être  » mutilé  » a posteriori? Une occasion que nul homme politique français ne saurait, par les temps qui courent, refuser.  » Je suis heureux de retrouver 600 personnes tout à l'heure expliqua donc Laurent Fabius, mais mon plus grand meeting, ce sera sur TF1 avec dix millions de participants « . Une phrase lucide qui situe bien désormais les enjeux réels de la démocratie. Les préaux d'école ne résonnent plus de débats enflammés. Les salles des fêtes n'accueillent plus que rarement la foule pour des cassoulets ou des entrecôtes républicaines. Les chapiteaux ont été remisés, car les fêtes populaires ne font plus le plein. Ce qui prime sur tout le reste , c'est la télé. Toute la télé. Rien que la télé.

Elle donne une image très différente de la réalité des hommes qui étaient présents hier soir. Elle ressasse les mêmes concepts. Elle conforte ce qu'elle pense devoir donner à voir à ses téléspectateurs. Il est exténuant pour un habitué des plateaux du 20 h de prouver qu'il vaut autre chose, qu'il n'est pas arrogant ou malhonnête, qu'il a changé? avec l'expérience. La télé répète à l'infini ses certitudes qui finissent par être ancrées dans l'esprit des citoyens. Le prisme déformant joue à plein, et les hommes politiques de la France d'en Haut le savent, mais ils ne peuvent que modifier très légèrement cette fameuse image d'eux-mêmes. D'autant qu'un bon petit sondage de temps en temps suffit à les replonger dans le  » prêt à parler « .

La salle des fêtes de Marcillac vue de Paris, était devenue une zone d'extra-terrestres fêtant la Gerbaude ( » Monsieur Fabius, qu'est-ce qu'une Gerbaude ?  » minauda Claire ). La France d'en bas ne correspondait pas du tout à ce sondage (encore un !) du Parisien qui a constaté que 3 Français sur 4 n’avaient  plus confiance dans leurs hommes politiques.

Mais, au fait, n'ont-ils plus confiance dans les femmes ou les hommes politiques, ou dans l'image que donne la télé de la politique ? Mais au fait, font-ils l'effort, ces 3 Français sur 4, de vérifier que tous les hommes politiques ne sont pas identiques*? (voir le blog « tous les mêmes »)

Il faut se rendre à l'évidence, le scrutin du 29 mai n'a rien changé. La  » télé  » croit toujours mener le Peuple par le bout de la zapette. Pour la réalité, passez votre chemin, il n’y a rien à voir.

Mais je déblogue?

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