Les liqueurs secrètes de l'été

Une_grappe_de_cassisEn me promenant ce matin à la brocante de Saint Germain du Puch j’ai déniché sur une table pour un euro, une petite « madeleine » proustienne de l’été. Rien de bien sensationnel mais une minuscule bouteille qui contenait un extrait Noirot. Je sais que peu d’entre vous vont comprendre le lien entre cette trouvaille et la période actuelle. Pourtant il existe. L’extrait Noirot s’est vendu durant des années en pharmacie et permettait de confectionner des liqueurs plus ou moins originales avec un peu de « gnole » stockée après le passage du bouilleur de cru. Mon grand-père Abel avait le culte de ces fabrications économiques et j’étais son fournisseur exclusif grâce à mon vélo qui me permettait de me rendre cher Jean Castaing pharmacien à Créon pour ramener les précieuses fioles. Tout l’été il préparait la mauvaise saison en utilisant tout son savoir faire pour garnir les étagères du chai. Il aurait pu choisir la prunelle des haies ou les feuilles du pêcher mais pour lui sa passion n’était autre que la confection de la liqueur de cassis. Il se voulait un grand spécialiste de ce breuvage qui terminait tous les repas dominicaux et qui devait régaler les visiteurs auxquels il proposait systématiquement sa production. Il y ajoutait aussi la poire ou la pêche intégrée dans une bouteille ensuite garnie d’eau de vie.
Le travail pour ces spécialités débutait tôt dans l’année. Il surveillait avec une attention toute particulière les cinq vieilles touffes de cassis qu’il avait devant une rangées de poiriers aussi anciens. Le premier acte fondateur de la récolte estivale résidait dans une taille savante.
De tous les arbres fruitiers, le cassissier est un arbuste capricieux et indépendant dont l’ennemi mortel est la mousse qui diminue sa vigueur. Mon grand-père leur faisait donc une taille précise destinée à éliminer les pousses les plus vieilles pour ne laisser qu’une douzaine de branches. C’était suffisant pour de belles récoltes si le gel ou le temps estival le permettait.
Il fallait ensuite au jour près déterminer la récolte. Un moment décisif car trop tôt le cassis est acide et perd tout intérêt pour la liqueur car l’ajout de sucre efface le goût fin de ce fruit. Au cœur du mois d’août il allait vérifier tous les soirs la noirceur des grains. La décision intervenait lorsqu’au goût ils avaient perdu cette âpreté que l’on retrouve actuellement dans ceux que l’on achète en barquettes sur les marchés. La cueillette s’effectuait le matin à la fraîcheur pour que l’humidité soit maximum.
Abel égrappait ensuite soigneusement sa récolte pour ne conserver que les grains les plus charnus qu’il plaçait, avec trois ou quatre feuilles sélectionnées dans un grand bocal rempli d’eau de vie maison, d’eau du puis et d’un sirop sucré dosé selon la maturité du cassis de l’année.
C’était la première phase de cette préparation minutieuse. Il secouait de temps en temps cette macération qu’il allait laisser le plus longtemps possible dans l’obscurité du chai. En général il reprenait possession de « son » breuvage potentiel au printemps. Il plaçait les grains imbibés d’alcool dans un linge blanc aussi fin que possible. Tout se jouait sur la pression qui devait être adaptée à la consistance du cassis car il ne fallait surtout pas l’écraser. Une passoire ou un tamis ne convenait pas selon lui. Seule la technique du linge « première pression » était adaptée pour obtenir une liqueur douce et irréprochable. Il fallait donc beaucoup de bocaux de grains pour faire un bon litre de produit fini et sa fierté car la densité du goût était essentielle à ses yeux. Il fabriquait des « seconds » crus en passant au presse-purée les graines et en repassant la mixture pour obtenir une liqueur nettement moins fruitée qu’il servirait aux convives non connaisseurs.
Durant tout l’été il surveillait aussi ses bouteilles où mûrissaient des poires ou, plus difficilement, des pêches. Il avait repéré des fleurs au printemps les avaient délicatement glissées par le goulot en évitant qu’elles soient grillées par un soleil trop puissant. Il fallait donc les protéger des premiers rayons et ensuite surveiller l’apparition du fruit. Il allait souvent modifier l’orientation du flacon. La maturation progressait plus vite que dans un environnement normal et, là encore, dès que la poire ou la pêche avait de belles couleurs, il la détachait de sa tige et emplissait le récipient d’eau de vie pour réaliser une véritable œuvre d’art quand le fruit était volumineux et parfait. Mon autre grand-père Silvio entretenait cette tradition et mon père tentait chaque année de les imiter. Il faut savoir que cette opération très incertaine et très fragile, n’étant pas toujours couronnée de succès, on préférait discrètement « ouiller » la bouteille après chaque service ce qui finissait par fossiliser le fruit dans l’alcool.
Le plaisir estival d’Abel se complétait avec la fabrication de crèmes Noirot. Crème de banane, crème de cacao, crème de café, crème d’abricot, crème d’ananas et tant d’autres liqueurs que je n’ai eu le droit de goûter que quand j’ai eu « du poil au menton » sauf pour le cassis. « Ça ne peut pas lui faire de mal plaidait-il c’est naturel ! ». Que du bonheur dans le gosier !

Cet article a 3 commentaires

  1. J.J.

    « Il fabriquait des « seconds » crus en passant au presse-purée les graines et en repassant la mixture pour obtenir une liqueur nettement moins fruitée qu’il servirait aux convives non connaisseurs. » »

    Dans mon « environnement culturel », comme on dit maintenant, après élaboration du cassis-liqueur, les grains gorgés de sucre et d’alcool étaient mis à « combuger » (= macérer en langue vernaculaire) dans un bon vin rouge, qui était servi indistinctement en « apéritif de semaine » ou bien allongé d’eau fraîche (gazeuse dans les grands jours !)comme boisson rafraîchissante.
    Sans frigo, la fraîcheur de l’eau était toute relative….

  2. mlg

    j’adore!!!

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