La vie est étrange et nul n’est capable d’en prédire les subtilités. Certains parlent pompeusement du destin alors qu’il ne faut croire qu’à des superbes coïncidences. Lorsqu’en 1951, ma mère et mon père vinrent s’installer dans la mairie (ne faisant plus école) de Sadirac pouvaient-ils imaginer que je reviendrais pour, en tant que vice-président du Conseil général, inaugurer une extension de ce bâtiment ? C’est véritablement extraordinaire au premier abord…mais dans le fond assez logique ! Revenir 62 ans plus tard dans un édifice public où l’on a passé toute son enfance, comme maire et comme élu départemental tient pour moi de l’étonnement sur une trajectoire totalement imprévisible. Ma mère a été en effet nommée secrétaire de mairie en remplacement de son instituteur, combattant de la guerre 14-18 qui faisait valoir ses droits à la retraite dans ces lieux en 1952. Elle le secondait depuis 1942 car il assumait la classe et les tâches quotidiennes de l’administration communale et il avait décidé de la former pour lui succéder!
Georges Vasseur était ce que l’on appelait alors l’un « secrétaire de Mairie-instituteur » qui maillait le milieu rural. Cette combinaison des taches reflétait l’engagement citoyen profond des « hussards » au profit de la vie républicaine du pays. Ma mère avait tout appris de lui ! Et elle assura durant 40 ans de manière ininterrompue le service public dans une commune rurale. Le Maire, André Lapaillerie, radical-socialiste des années d’après-guerre exerçait la profession de banquier et vivait à Bordeaux et il dirigeait la commune par téléphone. Un visionnaire, un homme audacieux qui avait beaucoup d’avance sur son temps… mais qui ne passait que le samedi après-midi en Mairie laissant à « Jeanine » le soin de tout régler et de tout assumer. Mon père en entrant au service de Sadirac compléta alors ce duo « Jeanine-Eugène » ressource pour tous les habitants.
J’ai donc baigné dans cette vie au service des autres 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : il n’y avait aucune séparation entre le bureau de réception du public et la cuisine où nous mangions. Je suis devenu très tôt un « élève » imprégné de tout les usages de la démocratie locale alors bien restreinte. Les débats du conseil municipal dans la salle sous la chambre de mes parents n’avaient aucun secret. Les élections étaient des événements à vivre intensément. L’écoute patiente des habitants encore très souvent en difficulté avec la lecture ou l’écriture, était constante et inévitable à n’importe quelle heure du jour et de la vie. On trempait dans le service au public avec mon frère Alain !
Les naissances pas toujours désirées dans le village, les mariages aux motivations diverses, les décès plus ou moins attendus…rythmaient la vie quotidienne. On vivait au rythme des autres. La machine à écrire Japy qui succéda à la Remington des années 30 n’eut très vite plus de secrets pour moi… et tous les tampons officiels servaient de jouets pour de simulacres de délivrance de papiers officiels. Partout, tout le temps, dans cette mairie, la vie réelle rentrait et sortait donnant une formation sociale dont je ne mesure l’impact que 5 décennies plus tard !
Ce bâtiment construit en 1878 symbolisait toute la République avec ses deux piliers : « l’instruction publique » permettant aux enfants de devenir les citoyens de demain et « la gestion démocratique » de la cellule essentielle de proximité pour l’État qu’était cette commune issue de la Révolution. On y respirait la craie du tableau noir, l’encre des pupitres ou celle des actes d’Etat-civil. On y bâtissait l’avenir dans tous les domaines : adduction d’eau potable, électrification rurale, goudronnage des routes communales, construction de salle des fêtes (l’une des premières de Gironde), d’un bureau pour maintenir le service des Postes Télégraphe Téléphone… et tant d’autres investissements qui donnaient un nouveau sens à la vie collective. Toute mon enfance et mon adolescence a été imbibé de ces mots : « conseils municipaux », « budgets », « délibérations », « actes », « permis de chasser, d’inhumer, de construire »percepteur », « conseillers », « maire », « député », « conseiller général »… à tel point que je n’ai pas eu besoin, à aucun moment d’en apprendre le sens ! Manger, dormir, jouer, travailler, vivre aux milieux d’eux a probablement constitué le socle de ce qui est devenu une vocation : le service des autres et surtout des plus démunis. je suis la synthèse du lieu où j’ai vécu avec « l’instruction publique » en devant à mon tour instituteur et la vie démocratique en m’engageant dans la vie publique!
En pensant que je vais revenir dans ces pièces, même transformées, rénovées, je songe que je boucle un parcours étonnant. J’ai vu couper tellement de rubans tricolores ! Mais aucun n’aura la même valeur que celui que je couperai demain en lieu et place du Président du Conseil général ! Bizarrement alors que me détache des mandats électifs je reviens à la case départ… Étrange sensation mais aussi il faut bien l’avouer quel bonheur ! L’enfant de la Mairie de Sadirac aura vraiment grandi dans les principes que les occupants des lieux il y a un demi-siècle lui ont inculqués. Merci à eux ! Mais la vie est-elle vraiment extraordinaire ? Elle n’est que le fruit du travail des autres pour vous !
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Vous êtes né trop tard : Pagnol vous a coupé l’herbe sous le pied.