Chaque rentrée est la plus belle !

sauterelle bleueIl existe encore des écoles où le son de la cloche retentira en ce jour de rentrée. Elle est agitée avec frénésie par un enfant, vite poursuivi par beaucoup d’autres, aussi fier qu’un conseiller général coupant un ruban un jour d’inauguration. Il y avait des tâches de ce type que tout élève, surtout les plus modestes, adoraient remplir, car elles témoignaient de la confiance de celui que l’on appelait encore l’instituteur. Remplir les encriers de porcelaine ou de verre tourné avec la bouteille violette et son bec crochu nécessitait une précision et une adresse de bon aloi pour un futur apprenti. Il fallait un talent particulier pour nettoyer avec l’éponge Spontex rectangulaire un tableau vert ou noir couvert d’une écriture cursive blanche soignée ou de signes plus ou moins maladroits des débutants. Les autres sollicitations relevaient d’une technicité supérieure, comme celle d’écrire la date à la bonne place ou de distribuer les cahiers du jour ! Que du bonheur d’être actrice ou acteur de ce jour de rentrée ! Il était au moins aussi splendide quand on traçait avec une plume Sergent Major son nom et son prénom sur le pré d’une page blanche. Des pleins et des déliés pour l’éternité, quand on a le privilège rare d’avoir pu conserver l’un de ces cahiers parsemés des fins coquelicots rouges des appréciations de la maîtresse ou du maître ! C’était toujours comme ça la première fois : on tirait la langue et on se préservait de le naissance prématurée d’une tache désastreuse… qui finissait toujours par arriver quand on se laissait emporter par sa fougue !

Pas de souvenirs d’escapades prestigieuses à se raconter, puisque pas grand monde n’avait quitté le périmètre du village. On s’était croisé et donc on savait déjà tout ce qu’il y aurait pu y avoir de sensationnel. La mer ? Elle se résumait à une rivière douce ou même un ruisseau frais au milieu d’un pré à vaches. Les montagnes ? Elles ressemblaient à une colline des sous bois, dont les fougères dissimulaient des cèpes. Les bouchons ? Ils avaient sauté au cours de quelques soirées familiales sous les étoiles ! Bref, les seules nouvelles intéressantes résidaient dans le tablier gris ou à carreaux acheté au chef-lieu de canton, ou mieux, lors d’un déplacement en autocar vers Bordeaux. Les culottes courtes et la jupe plissée étaient de sortie. On rivalisait de propreté : cheveux coupés en brosse ou avec une raie parfaite sur le côté pour les garçons, et boucles « anglaises » pour les filles les plus couvées par leur mère. Inutile de tendre les mains ce jour-là, elles avaient été soigneusement débarrassées des stigmates noirs du travail imposé par les champs ou la collecte des pommes de terre. Ca sentait la nouveauté de chez Parunis, des Nouvelles Galeries ou de chez Thierry, ou le labeur précis d’une grand-mère, reine de l’aiguille.

La paix régnait encore dans la cour frisquette de récréation puisque les inimitiés avaient été adoucies par le temps des vacances et les clans non encore constitués. D’ailleurs, les rares nouveaux venus attendaient que ces démarches faites avec la marche pied à pied des chefs l’un vers l’autre… pour effectuer un mercato pour gendarmes et voleurs. Au couv-jour-de-rentrée-optmoment où la sonnette électrique retentira en 2013, plus personne ne vivra ces douces réalités : l’odeur de la craie, la couleur de l’encre, les couleurs des tabliers, la voix forte n’ayant pas besoin de distribuer les noms vers des classes en grand nombre puisque le couple d’enseignants se répartissait tous les niveaux et connaissait sa troupe. Les « petits » d’un côté et les « grands » de l’autre. Simple et efficace, car aucun parent ne pouvait témoigner de son désappointement ou de sa satisfaction sur cette affectation. Dans les têtes, aucune vraie ambition, mais majoritairement le souhait d’aller le plus vite possible vers la fin des études avec ou sans certificat. Les rêves ne se mesuraient pas encore en millions comme ceux de ces gamins qui commenteront le transfert de Gareth Bale au Real Madrid pour 100 millions d’euros et un salaire de 1 million d’euros par mois ! On est à mille lieues des kilos de cèpes, des sacs de blé ou des culs blancs attrapés aux pièges à ressort…

Les rentrées se suivent et ne se ressemblent pas. Elles ne se ressembleront d’ailleurs jamais puisque chacune d’entre elles s’est accompagnée d’une réforme ! La fameuse et incontournable « réforme de la rentrée ». En France, c’est une tradition, une sorte de rite institutionnel : aucun ministre qu’il fût de l’instruction publique ou qu’il soit de l’éducation de moins en moins nationale, n’a passé des mois sans pondre une nouveauté pour améliorer un « système en panne ou n’obtenant pas de résultats satisfaisants ». Le pire, c’est que leur imagination est débordante et qu’ils ont tous fini par dénicher l’idée géniale qui dure un an. On en a même vu qui supprimaient ce que leur prédécesseur avait présenté à la rentrée précédente comme l’événement le plus important depuis des décennies. On devrait inventer, comme pour les grands footballeurs, des albums Panini avec des vignettes portraits de tous les Ministres qui ont effectué une réforme… on les vendrait au profit de la « coopé » pour financer les classes transplantées ! Une idée neuve pour la rentrée.

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Cet article a 4 commentaires

  1. François

    Bonjour !
    Quel Régal ! Quel Nectar ! Quel Délice ! ! ! que  » les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître  » … grâce aux travaux assidus de quelques dégénérés en mal d’ego propulsés aux plus hauts postes de la gouvernance et qui entraînent le drame professionnel de Marseille, de ce professeur qui voulait transmettre l’Ecole qui l’avait construit.
    N’est-ce pas, Monsieur le Ministre, cet homme-là était un débile avec des idées saugrenues inadaptées au milieu scolaire basé sur le bas-niveau ( facile à obtenir et très malléable ) que vous avez l’honneur et la science de construire !
    Merci Messieurs les Ministres et Paix à vos consciences !
    Cordialement.

    PS: Je connais personnellement un jeune professeur de trente sept ans, père de famille qui ne fera pas la rentrée car, craignant d’en arriver là, il prend une année de repos ! Ils sont plus nombreux que l’on croit dans ce cas !

  2. J.J.

    Et quand on arrive à la fin de sa carrière d’enseignant, on peut au moins se dire avec satisfaction que l’on a eu la chance de bénéficier d’une solide santé, car on a survécu à toutes les réformes….

  3. Jean-Pierre Lafon

    Je suis à la retraite de prof des écoles depuis cette année, et je ne ferai pas la rentrée, sans nostalgie. J’ai vécu et pratiqué avec passion ce formidable métier, dans mon Macau natal.
    Quand j’ai débuté (Mérignac Ferdinand Buisson), le directeur m’a dit : « Petit, tu en verras passer des ministres et des réformes, et tu feras de ton mieux » !
    Ce que j’ai essayé de faire. Les réformes et les contre réformes s’annulent. Et nous, nous essayons de faire en sorte que nos élèves soient heureux à l’école pour « bien travailler ».
    Courage à tous. Vive notre Ecole républicaine et laïque !
    http://www.youtube.com/watch?v=IYO74K0iKaY

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