L'entrecôte mérite tous les égards.

recette-e6232-entrecote-bordelaise Elle doit être épaisse et persillée dans sa partie charnue de minces traces de gras, légèrement bordée de graisse aussi blanche que la peau d’une anglaise débarquant sur les plages océanes, la taille doit être parfaite car elle ne souffre pas les rattrapages, bref il est nécessaire de prendre des références avant d’acheter la viande de bœuf de l’été. Finis les steaks anonymes « embarquetés » . Terminés les tournedos mollassons. Abandonnés les vrais faux filets. En Gironde, il faut absolument goûter à l’entrecôte et de préférence d’origine bazadaise, car c’est un vrai moment de bonheur si vous avez su aller dans la bonne boucherie quérir la pièce de qualité indispensable. Attention les « hommes de lard » sont parfois des cochons, et vendent de l’improbable bidoche pour la meilleure part du bœuf. Bien entendu, si l’achat reste l’acte essentiel, il ne saurait dispenser des autres rites. Bien des gens prétendent connaître les diverses étapes avant que l’entrecôte n’apparaisse sur la table, mais ils sont rares ceux qui possèdent le tour de main pour qu’elle soit préparée de manière idéale. Il est par exemple indispensable de posséder un lieu abrité afin de préparer le feu. Une vieille cheminée de souillarde ou un espace avec quatre pierres hautes d’une dizaine de centimètres, protégées du vent par un demi tonneau métallique coupé en deux, font l’affaire. Les barbecues modernes sont déconseillés, car ils ne diffusent pas la chaleur de manière homogène et ne permettent pas une cuisson rapide, régulière et intensive.

Quand on a le privilège de s’installer en plein air, il faut le saisir. Tous les combustibles sont interdits en dehors des sarments de vignes non traitées. Surtout pas de charbon de bois (il vaut mieux alors carrément une plancha!) ou de restes de cagettes dont il est démontré qu’ils produisent des fumées plus ou moins dangereuses. Il faut proscrire les allume-feux de toutes sortes. Si le fagot de sarments de vignes est parfaitement sec, la page politique du quotidien régional suffira à l’enflammer. La flambée doit être « sèche » et sans dégagements suspects. L’homme du feu reste le personnage principal, car il doit produire la braise sur laquelle sera posée l’entrecôte enviée. Ce lit rougeoyant, puis peu à peu plus gris, mérite un soin particulier avec aucune flammèche et une épaisseur parfaitement identique. Au préalable, on aura eu soin de passer dans le brasier très éphémère le gril qui aura servi aux cuissons antérieures et que l’on ne saurait laver. On fait disparaître les graisses par pyrolyse dans les flammes avant de frotter le support de la future grillade avec le reste du journal sur chaque face.

Tout va se jouer ensuite au coup d’œil du responsable du feu. S’il donne le signal trop tard, les braises trop faibles ne saisiront pas la viande et, dans la cas contraire, en fondant, la graisse risque de rallumer les braises et donc de brûler l’entrecôte sans vraiment la cuire. Il faudra à ce maître-queue de grill le doigté pour détecter le temps parfait pour que le bœuf soit saisi sur 5 à 6 millimètres d’épaisseur sur chaque face. Le gras doit virer au jaune d’or et le centre de l’entrecôte ne peut être que rouge vif et gorgé du jus. Le truc pour éviter que la viande perde son moelleux c’est de ne pas la saler pendant la cuisson ! Elle doit être saignante à cœur et cuite extérieurement. Pour ma part, je préfère mettre les échalotes « nature », découpées en mini-cubes, directement sur l’entrecôte environ deux minutes avant la fin de sa présence sur le gril. D’autres préparent le condiment à part et l’étale fondant et cuit sur la pièce de bœuf avant de la servir. A bannir, les échalotes congelées qui s’écrasent en se réchauffant. Un bon couteau bien affûté et une planche à découper permettront de faire des tranches dans le sens de la largeur servies aussi chaudes que possible avec quelques cèpes.

Certes cette description est totalement surannée et ne correspond plus aux concepts actuels du repas réussi. Il faut avoir conscience que le « culte de l’entrecôte à la bordelaise » s’efface devant le hamburger frites et bientôt devant le steak haché de viande synthétique ! Produite en laboratoire en trois mois à partir de cellules souches de bœuf. Cette viande vient d’être testée par une spécialiste autrichienne des tendances alimentaires. Cette dernière a trouvé que le résultat manque un peu de moelleux, est très peu gras, mais au goût ressemble tout à fait à de la viande et pas à un ersatz comme les substituts végétaux. Ouf ! Nous voici rassurés. C’est vrai aussi que le prix à payer est inaccessible au commun des mortels affamés. Mais le danger est là. Il rôde même en Allemagne, où les Verts on mis les parents en émoi avec la proposition de mettre en place un menu strictement végétarien chaque semaine dans les restaurants scolaires. Bientôt les consommateurs d’entrecôte culpabilisés, stigmatisés, vilipendés et qualifiés de « bidochards » vont finir dans un club comme ceux qui fument le cigare ou qui boivent du vin. Et donc, les gastronomes rassemblant ces trois « vices » finiront par être privés de carte Vitale !

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Cet article a 11 commentaires

  1. Christian Coulais

    Médoc ? Haut-Médoc ? ou Saint-Emilion Grand Cru ? Un vin de 10/15 ans d’âge sera parfait ! Et il est où ce barbecue ? J’ai cru voir passer une photo de cèpes sur FB… J’amène le vin…(par contre pourquoi pas de charbon de bois ? Celui fabriqué dans le Limousin avec des chutes de châtaigner qui sert à fabriquer ganivelles et autres piquets serait-il nocif ?)

  2. MF

    Je suis repue! Merci!

  3. danyecortot

    Après lecture assidue … cette description sur < la célèbre entrecôte Bordelaise nous chatouille les papilles gustatives même à cette heure tardive .
    Ce récit sur le choix ou la préparation n'est pas décrite par un novice ! Faut se révéler un fin gourmet artistique habitué à préparer ce plat si prisé dans notre SUD OUEST. A TABLE ET BON APPÉTIT.

  4. Eric Batistin

    Entre le Grand Livre des semences agréées par l’armée privée Monsanto, et celui édité par les Environnementalistes défenseurs de viande synthétique des laboratoires privés, se trouve une bibliothèque entière de moratoires contre le libéralisme.
    Nous sommes en effet fort nombreux à chercher un sens humainement cohérent à toutes les avancées mirifiques proposées par les industriels du bonheur en boite.

    Pourtant, avez-vous remarqué que la viande d’un animal ayant vécu librement est nettement plus délicatement goûtue que celle issue d’un animal élevé en camp de production ?
    De là à en conclure que la Liberté rend meilleur, il n’y a qu’un pas !

    Des êtres aux cerveaux fort développés, et ayant un goût certain pour la liberté, ont envisagé une solution amusante pour nourrir le monde entier:
    redonner à chaque village humain la possibilité naturelle de produire sa nourriture.

    Cela est tout à fait possible sans l’intervention violemment imposée de toute une bande d’inutiles. Inutiles que nous devrions d’ailleurs envisager sérieusement de classer à la rubrique « nuisibles »:
    toutes les entreprises privées dont les seul but est le profit de leurs dirigeants et actionnaires au détriment du bon goût nécessaire à l’éclosion de la Liberté individuelle.

    Ces nuisibles ont entre eux, bien plus que nous ne voulons le voir, une entente tacite, menant à l’asservissement généralisé de toute vie, animale ou humaine.
    Le progrès pour tous, comme il nous est vanté depuis l’avènement de l’ère industrielle au 19ième siècle, n’aura servi qu’à nous dépouiller de toutes nos propriétés naturelles.

    Pour faire court et établir un parallèle permettant de me faire comprendre, les indiens d’Amérique n’avaient en leur possession aucun titre de propriété de leurs terres ancestrales. Ils en ont été dépossédés par ceux qui ont su écrire sur un bout de papier: ceci est à moi !
    Il serait temps que nous réalisions la violence des brevets pris sur tout le vivant par les laboratoires privés.
    Sous peine de voir un jour jusqu’à nos ovules et spermatozoïdes nommément cités dans un Grand Livre de la propriété industrielle.
    Si cela vous amuse, en première lecture, je vous conseille, en seconde lecture, de vous renseigner sur le sens caché de certains tatouages de troupeaux humains.

    Sur ce, bon appétit à vous, et bon appétit aux pirates somaliens aussi !

  5. raymond viandonv

    C’était le menu d’hier soir a la maison. L’entrecote a grille sur des sarments de cabernet fabriques par mes soins a 50 mètres du barbecue (cuve en fonte). Salee et legerement poivree en fin de cuisson…. Il n’y en a plus !

  6. François

    Bonjour !
    Un petit conseil: après la lecture de cette chronique, évitez le pèse-personne: il présente tous les symptômes de la …. crise d’inflation ! !
    Cordialement.

  7. cassouletland

    Deux nuances ; l’usage du papier journal est à proscrire (même si l’on nous dit que les caractères des textes ne comportent plus de plomb) et l’entrecôte (épaisse svp) mérite un temps de repos « au coin du feu » après cuisson entre deux assiettes lourdes (afin de révéler les sucs et la tendreté).

  8. J.J.

    «  »légèrement bordée de graisse aussi blanche que la peau d’une anglaise débarquant sur les plages océanes, «  »dixit J.M.

    C’est vrai pour le bœuf bazadais, certainement excellent pour cet exercice de style gastronomique.
    Mais une bonne entrecôte limousine, fière de ses 4 quartiers de noblesse présentera une bordure de graisse d’un jaune rutilant et dont la seule vue fera saliver le « connaisseur ».

    Quant à la suite de la cérémonie, la description du rite est parfaite….

  9. Cubitus

    Le plus difficile est de trouver des sarments non traités. C’est quasiment impossible.
    Étant (beaucoup) plus jeune, un petit propriétaire de vignes de la zone des Graves de Vayres m’expliquait qu’il ne faisait jamais ses grillades sur les sarments mais sur du bois de chêne car la fumée des sarments, disait il, parfumait et imbibait la viande avec tous les produits qu’il avait utilisés pour traiter sa vigne, bouillie bordelaise et sulfate de cuivre notamment, et le brave homme tenait à sa peau.

    Maintenant, si vous savez où trouver des sarments non traités, je suis preneur.

  10. J.J.

    On peut obtenir une braise un peu semblable à celle des sarments avec de la bruyère (en utilisant des branches de bruyère assez grosses : expérience personnelle).Cette braise donne une chaleur homogène, « dormante », sans à coups comme celle du charbon de bois.
    Et avec la bruyère on est à peu près assuré qu’elle n’a pas été arrosée de produits phytosanitaires

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