"47 ans de services…" et rien d'autre !

Une ligne dans une longue énumération de noms sur le journal officiel de la République Française. Le décret est du 12 juillet dernier, publié le 14, jour de référence pour celles (de plus en plus nombreuses) et ceux qui entrent ou progressent dans l’ordre de la légion d’honneur. Le texte est simple mais résume en fait toute une vie ordinaire de militant passé par les responsabilités ordinaires à l’école normale d’instituteurs, puis le syndicalisme (Syndicat national des Instituteurs : le plus beau de tous, car unitaire) et la mutualité (MGEN) avant de passer à la politique (PSU puis PS) et aux fonctions électives (30ans passés) : « M. Darmian (Jean-Marie), maire de Créon (Gironde) ; 47 ans de services ». C’est peu comme commentaire mais c’est beaucoup ! C’est même essentiel pour moi. Le chiffre vaut tout le reste !
Il serait malhonnête de prétendre que l’on ne sait jamais que l’on va peut être obtenir une « récompense émanant de la République » puisque, d’une manière officieuse ou officielle, on a été obligé de transmettre, via le Préfet, un pedigree complet sur son engagement dans la vie sociale… mais nul ne sait jusqu’au dernier moment la suite qui sera donnée à cette démarche venant des autorités de l’État ou inspirée par un « ami » qui vous veut du bien ! Et c’est là que le doute s’installe !
Bien évidemment, les échos de positions extrêmement sévères à l’égard des « médailles » arrivent dans la pensée du récipiendaire. Et la célèbre définition cynique de Napoléon débarque dans la tête – « C’est avec des hochets que l’on mène les hommes » – pour pourrir la joie que l’on peut avoir de… ne jamais avoir l’impression d’avoir été « mené » par l’espoir de recevoir un « hochet ». N’empêche que le doute existe bel et bien et que l’on se sent coupable de monter sur le devant de la scène, car forcément seuls les gens qui ne doutent pas peuvent s’estimer dignes d’entrer dans la Légion d’Honneur. J’ai peur du jugement des autres, car il est tellement facile, à l’époque actuelle, de trouver le détail qui tue, la faille qui fait effondrer une vie, le complot qui va transformer le bonheur en dérision, la jalousie qui va briser la satisfaction d’être reconnu.
Il n’y a aucun acte, aucun comportement, aucun fait qui mérite d’être distingué puisque tout ce qui est entrepris et réalisé ne peut qu’être inspiré par le devoir. Une bien belle rhétorique que celle du « devoir » accompli avec enthousiasme et passion durant 47 des 66 ans d’une vie ! Mais c’est ainsi, plus les hommes sont célèbres et reconnus plus ils peuvent s’offrir avec une certaine vanité liée à leur suffisance, la reconnaissance collective. C’est la simple manifestation d’un égoïsme démesuré, car c’est laisser accroire que l’on n’a jamais eu besoin des autres pour devenir ce que l’on est devenu ! Or absolument aucun être sur cette terre ne saurait affirmer qu’il n’est pas le fruit du dévouement, de l’amour, de la passion, de l’engagement, du soutien, de la formation, venus de personnes qui, elles, n’ont jamais vraiment été sur le devant de la scène. Le mépris n’est pas loin… avec un habillage « révolutionnaire », « modeste », « revendicatif » derrière des phrases destinées à se placer au-dessus du commun des mortels corrompus par un hochet sans signification !
Je  suis certainement une erreur du destin, car ma vie n’a jamais été marquée par un « exploit » mais par une ascension basée sur des valeurs simples : fidélité dans l’engagement, aucune ambition démesurée, satisfaction modeste de servir, plaisir de redonner aux autres ce qu’ils m’apportent sans cesse, essayer chaque jour de mettre réalistement ses actes en accord avec ses options philosophiques , tenter de faire de la politique au sens noble du terme, renoncer le moins souvent possible au parler-vrai et ne rien attendre en retour des autres, autrement c’est la dépression garantie. Alors, quand le marathon dure 47 ans, sans répit, il faut avoir le courage de ne pas sombrer dans une fausse indifférence qui blesse tous les « maçons » de votre vie. Aucun édifice ne saurait se bâtir seul et le courage consiste à le reconnaître et à savoir le partager avec le plus grand nombre. C’est désormais mon obsession : comment associer ces gens que j’aime à ce qui sera leur distinction ! Pas facile autrement que par mes mots, alors que souvent les leurs m’écrasent et me hantent. Est-ce que je les mérite ? Est-ce que je ne les déçois pas en acceptant ce signe de reconnaissance « matériel » et parfois galvaudé ? Ne dois-je pas me contenter de leur regard, de leur sourire, de leur amitié ? Seul le partage peut me rassurer et me remettre d’aplomb. Alors maintenant, mon impatience va grandir afin que je puisse récompenser celles et ceux qui ont simplement cru en moi ! Et je pense pour eux à cette phrase d’un inspecteur général de l’Éducation nationale qui affirmait « qu’une carrière réussie c’est simplement avoir réussi à éveiller une conscience ».

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Cet article a 6 commentaires

  1. François Castandet

    Je crois que René Justamente aurait été fier de son ami Jean-Marie Darmian. Certains, ici, à Libourne, pensent à se souvenir, d’une manière ou d’une autre, de sa propre action dans son exercice professionnel. À suivre…
    Encore toutes mes félicitations pour ce qui peut-être un hochet pour certains, mais sans doute pas pour toi.

  2. J.J.

    «  » Est-ce que je ne les déçois pas en acceptant ce signe de reconnaissance « matériel » et parfois galvaudé ? » »

    C’est la première pensée que j’ai eue moi aussi, je l’avoue, car les décorations n’ont pas bonne réputation (il y eut une fameuse affaire dans les débuts de la Troisième République).

    Ce serait le cas en effet si cette distinction te permettait de t’assurer une promotion nouvelle, obtenir un grade supérieur, briguer d’autres honneurs, te pavaner dans les salons….
    Mais après 47 ans de « bons et loyaux services »; ce n’est qu’une juste récompense.

    On mène les hommes avec des hochets, certes, mais il faut bien également récompenser les serviteurs dévoués de la Nation, de l’Humanité, des concitoyens, et c’est cela ta récompense.

    Je suppose que tu n’as pas l’intention de faire comme cet officier supérieur en retraite que j’ai rencontré un matin chez le boucher du village, où il venait en proche voisin. Il était vêtu en toute simplicité de sa veste d’appartement mais y figurait en bonne place sa légion d’honneur !

    Et puis une promotion du 14 juillet, c’est tout un symbole.

    Sincères félicitations Jean Marie, je suis content pout toi.

  3. Raymond VIANDON

    Ah non, Jean-Marie, cesse de douter ! Elle n’est pas galvaudée cette Légion d’Honneur, en ce qui te concerne. C’est, justement, des hommes comme toi que la République oublie trop souvent de reconnaître. Alors, non, évacue définitivement les scrupules. Tous tes amis sont heureux et fiers qu’en ce 14 juillet la République t’ai apporté sa reconnaissance.
    Je sais que tu n’as pas demandé, intrigué, supplié (j’en ai vu tellement !)
    Amitiés
    Raymond

  4. Daniel Barbe

    Félicitations et surtout merci pour ton engagement simple mais au combien précieux pour tous. Seul ceux qui ne comprennent pas les mots loyauté et fidélité ne pourront jamais comprendre, mais tant pis pour eux

  5. AC

    Ne doute pas tu le mérite tout simplement. Toujours là au service et à l’écoute de la population. En ce qui me concerne je peux tout simplement te dire merci ! tu peu accepté cette récompense tant mérité.

  6. PACIOS Vanessa

    47 ans, je crois en effet que tout est dit <3

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