Le coup du Père François, une affaire de communication

Du temps où les rois exploitaient la France comme une vaste propriété de droit réputé divin, on les affublait selon leur comportement d’un qualificatif destiné à les faire entrer dans l’Histoire. Cette habitude a valu à Louis II d’être « le Bègue », à Charles III d’entrer dans la postérité comme « le simple », à Louis V d’être qualifié de « fainéant »… avant que l’on aille vers « le pieux » pour Robert II, « le gros » pour Louis VI, « le Hutin » pour Louis X et « le bel » pour Charles IV. On arriva à « le bon », « le sage », « le fol », « le prudent », « l’affable » et même, ce qui est peu connu, « le Père du peuple » pour le peu célèbre Louis XII. Mais le paroxysme fut atteint sous les Bourbons, qui héritèrent de « le grand » (Henri IV), « le juste » pour… Louis XIII et bien évidemment, le roi Soleil pour Louis XIV et finalement « le bien aimé » attribué à Louis XV ! En définitive, l’Histoire est un éternel recommencement… puisque pour le Pape nouvellement nommé la communication vaticane a vite orienté le choix. François sera le « Pape des pauvres ». Il vaut mieux construire une image que de se la laisser imposer par les circonstances. Imaginons un peu que les « médias perroquets », qui se copient les uns les autres, se mettent vite à délirer sur son passé et à l’affubler d’un sobriquet peu conforme avec les nécessités du temps, pour une église ballottée par diverses « affaires » que l’on tente de placer sous un oreiller pontifical ! En fait, les icônes demeurent l’apanage de l’imagerie religieuse dans laquelle la raison n’a pas sa place. Il fut une époque où l’on distribuait des miniatures, des gravures, des peintures, et une autre où, grâce aux vitraux, ont confectionnait des « héros » courageux, tenaces, convaincus et surtout symboliques.
Dans l’arrière boutique du Vatican, on a vite voulu tourner une page sur les affaires de fric qui agitent sa banque, sur la situation fiscale scandaleuse de l’église, sur les révélations à propos des abus scabreux liés au sexe, et qui sont nettement plus immondes que celles qui ont mobilisé l’attention des médias durant des mois. Il faut, comme on le dit communément, « se reconstruire une image positive ». Le coup du Père François est donc parfaitement maîtrisé et réfléchi. Il servira d’abord de contre-feu à la « révolution » qui gangrène le continent le plus catholique de la planète, et en plus, il donnera bonne conscience à « l’Incurie » romaine. Il faut bien avouer que c’est une « sacrée » bénédiction de pouvoir vite diffuser des « éléments de langage » positifs. Humilité, simplicité, sincérité… contrecarrent les effets ostentatoires, dispendieux et factices des pratiques actuelles du sommet de l’église. Maintenant il faudrait, au-delà de l’image, analyser la dure réalité !
Quand au Vatican on parle de « pauvres », il est impératif de mesurer de quoi il s’agit. Présenté comme le porte-voix des déshérités, le pape François est, on l’a vu, originaire du continent sud-américain, qui a vu naître la « théologie de la libération ». Ce courant de pensée théologique chrétienne, qui s’est assorti d’un mouvement socio-politique d’inspiration marxiste, est apparu dans les années soixante, en réponse à la pauvreté. La théologie de la libération prône la libération des peuples, et entend notamment rendre dignité et espoir aux pauvres et aux exclus et les libérer d’intolérables conditions de vie. Les adeptes de ce courant de pensée se sont engagés contre les dictatures militaires conservatrices en place dans plusieurs pays d’Amérique latine, et le nouveau pape en est très éloigné. Il porte ce que l’on décrit comme une vision passéiste et rétrograde de la pauvreté. Il a souvent confondu, comme on le fait dans bien des religions, « la charité » avec  « la solidarité ! », « la compassion » avec « l’action », la « résignation » avec « la révolution ». Le nouveau pape n’a pourtant jamais manqué de dénoncer le néolibéralisme, la corruption, le clientélisme politique et la pauvreté. Il se réclame de l’archevêque de San Salvador Oscar Romero, assassiné le 24 mars 1980 pour ses prises de position contre l’armée salvadorienne, et en faveur des droits de l’homme….Certes, mais il ne met pas en cause les fondements de la pauvreté.
La position du Jésuite devenu Pape est celle, traditionnelle, de l’Église : les pauvres sont bien considérés comme un objet d’attention, de compassion et de charité. La conception catholique traditionnelle du pauvre se traduit en actes de charité, par l’assistance sociale et par des aides diverses aux plus démunis, alors que pour la théologie de la libération, les pauvres doivent être les sujets de leur propre libération, les acteurs de leur propre histoire. Il s’agit pour eux de participer à travers les communautés de base et à travers des pastorales populaires (pastorale de la terre, pastorale ouvrière…) aux luttes et à l’auto-organisation des pauvres (ouvriers, chômeurs, paysans sans terre, indigènes…) pour leur libération. L’émancipation des pauvres implique un changement radical de société. On en est très loin, mais on va multiplier les films, les documents, les écrits, les témoignages susceptibles d’effacer cette version du rôle des religions non émancipatrices, pour accréditer le concept d’un virage de l’église qui se démarque ainsi du monde du profit, de l’injustice et de l’oppression, grâce à un fils d’immigré italien un peu moins cynique que quelques-uns de ses rivaux. Amen !

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