Quand les meilleurs films reflètent des peurs sociales fortes !

Amour-accompagner-l-autre-quand-vient-la-fin_article_popinLe cinéma n’est parfois, d’une manière ou d’une autre, que le reflet des préoccupations sociales. La violence, le sexe, la misère, l’amour, la famille, la guerre, l’enfance ou le chômage entrent sur les écrans, donnant une réalité plus ou moins romancée d’un monde qui traîne sa misère ou tente de survivre grâce à l’humour. Il est par exemple frappant que les trois grands films produits en France en quelques mois aient été « Intouchables », « De rouille et d’os » et récemment « Amour »… car ils abordent les véritables préoccupations actuelles d’un pays angoissé par la perte sociale individuelle de l’autonomie. La place d’une personne dans un contexte très exigeant traverse ces trois œuvres qui trustent les récompenses, car elles ont permis à des acteurs et des actrices de traduire de manière exceptionnelle ce que les spectatrices ou les spectateurs ont inconsciemment en eux.
Le poids du handicap, le naufrage de la vieillesse, sous-tendent le fait que la perte de l’autonomie, qui conduit à un basculement dans la dépendance des autres, devient un enjeu majeur pour des millions de personnes. Dans chacun des scénarios, on retrouve cette constante de l’implication de l’autre dans le quotidien de celle ou celui qui ne trouve plus, seul, le chemin du bonheur. En perdant leur liberté individuelle de participation à la vie collective par la maladie ou l’accident de la vie, les « héros » centraux de ces trois films renvoient à l’évolution inexorable de la vie ! C’est leur force, car la fiction approche la réalité avec une pointe d’humour, de tendresse ou d’amour suffisante pour émouvoir et conquérir. Les bons sentiments recommencent à faire recette.
Dans « Intouchables », on ajoute la rencontre entre deux hommes, deux mondes, deux pensées, deux philosophies totalement inconciliables mais pourtant complémentaires. La richesse ostentatoire de Philippe (François Cluzet) s’accompagne d’une souffrance désespérante, comme s’il fallait illustrer le principe simpliste mais populaire que « l’argent ne fait pas le bonheur », alors que la joie de vivre de Driss transcende tous les clichés sur la banlieue froide et impitoyable. C’est donc purement un conte de fées moderne, dans lequel on a peine à croire, mais qui finit pas fonctionner, grâce à la qualité du jeu dramatique. Les prix reçus par cette œuvre tiennent essentiellement à la performance d’Omar Sy, plus vrai que nature, et parfaitement à l’aise dans ce rôle de « bouffon réconfortant » d’un roi, esclave de son immobilité. Le handicap accidentel qui bouleverse les parcours les plus prometteurs surgit dans ces histoires ! Quand Philippe doit son infirmité au parapente, Stéphanie la rencontre, dans « De rouille et d’os », dans le travail. Tous deux n’appartiennent pas à ce quotidien pénible, ingrat ou peu valorisant des gens « ordinaires », pourtant les principales victimes de ce type d’accidents de la vie.
Là encore, dans l’oeuvre de Jacques Audiard, on va assister à la rencontre de deux facettes d’une société inégalitaire. Tout commence dans le Nord. Ali doit s’occuper de son fils,Sam, 5 ans, qu’il connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, Ali, SDF en somme, trouve refuge chez sa sœur à Antibes. A la suite d’une bagarre dans une boîte de nuit, son destin croise celui de Stéphanie. Il la ramène chez elle et lui laisse son téléphone. Il est pauvre ; elle est belle et pleine d’assurance. Tout les oppose. Stéphanie est dresseuse d’orques au Marineland. Il faudra que le spectacle tourne au drame pour qu’un coup de téléphone dans la nuit les réunisse à nouveau. Quand Ali la retrouve, la « princesse » est, elle-aussi, tassée dans un fauteuil roulant : elle a perdu ses jambes et pas mal d’illusions. Un couple va se former et encore une fois la « faiblesse » de l’une sera compensée par la « force » morale de l’autre. Ali va l’aider simplement, sans compassion, sans pitié, et permettre à Stéphanie de refaire surface ! Ces films, qui ne ne tournent jamais au mélodrame, offrent des lueurs d’espoir à des publics individualistes, inquiets sur leur avenir, avides de comportements dénués de violence, d’intolérance et de haine. Bref, ils les dédouanent de pensées pourtant massivement égoïstes le reste du temps et ignorantes de la solidarité qui donne un vrai sens à la vie. Ils ouvrent des fenêtres sur une autre approche du handicap ! Ce sont des versions modernes des contes de Perrault.
« Amour » entre aussi dans cette logique, avec une première approche déconnectée des comportements sociaux actuels : la durabilité de l’amour entre deux êtres unis par leur goût pour la culture ! Autant dire que la projection dans le temps des générations présentes ne peut qu’interpeller et émouvoir les salles obscures. Comment d’abord Georges et Anne, octogénaires, ont-ils pu surmonter, grâce à leur passion pour la musique, les aléas parfois bénins, et les différences qui brisent tellement de couples. Leur fille, également musicienne, vit à l’étranger avec sa famille, ce qui donne à la situation un réalisme particulier, car c’est devenu l’une des préoccupations essentielles des familles déchirées entre le soutien affectif que l’on doit aux plus âgés et l’éloignement géographique imposé souvent par des contingences économiques. Un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale. Lorsqu’elle sort de l’hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d’un côté. L’amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve…et au défi de l’exclusion par une autre forme d’accident de la vie. Une situation là encore de plus en plus courante, qui hante les vieux jours de bien des gens. Le huis clos tendre qui réunit Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant crée une vraie inquiétude, un vrai partage amoureux, une vraie tendresse, dans un film beaucoup moins manichéen que les deux autres. Ce duo « oublié » du cinéma mérite amplement ses récompenses car tous deux sont plus que des acteurs et deviennent les personnages très authentiques de la chanson chef d’œuvre de Jacques Brel « Les vieux », avec cette lancinante obsession très présente en cette période :
(…) fuir devant vous une dernière fois la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t’attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend !

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