De l'école de la réussite par le mérite à celle de l'échec par l'indifférence

Tant pis, je sais que je risque « l’excommunication » comme chaque fois que l’on s’attaque aux idées reçues et plus encore quand on tente d’écrire sur celles et ceux qui sont réputés être vos « amis » mais je me lance. C’est en effet le plus dur ! J’ai durement payé (une exclusion et 2 passages devant la commission des conflits en 82 et en 86 !) pour avoir essayé d’être « atypique » dans un monde socialiste normalisé. Je m’en suis remis, mais là, si je me mets à parler de certains enseignants, je risque gros… même si, à mon âge, mon avenir social est aussi limité que mon « ambition personnelle » : nul ! J’y vais !
L’école irait mal en France… et chacun y va de son constat, de ses statistiques, de ses classements, de ses interprétations sur des évolutions détachées de leur contexte. Ils n’ont en effet aucun sens si on ne replace pas le système scolaire dans le contexte social présent, et qu’on le compare avec celui de la fin du XXème siècle. Durant un siècle, après que Jules Ferry ait lancé l’instruction publique, rien ne venait interférer dans la sphère des apprentissages du savoir. Sauf a appartenir à la classe intellectuellement la plus évoluée, pas une seule des facettes de la construction personnelle n’échappait à l’école. Il était alors très facile pour un instituteur d’apparaître comme un « maître » et d’imposer son magistère à une classe pas plus douée intellectuellement que celle qui existe actuellement. Sans passage à la communale, pas d’avenir meilleur matériellement… et surtout pas d’entrée réelle dans ce monde où lecture, écriture, calcul, sciences, histoire, géographie permettaient d’exister vis à vis des autres. Ainsi, dans les années 30, seulement un peu moins de la moitié d’une classe d’âge obtenait le certificat d’études primaires ; et le taux de réussite au baccalauréat (par rapport au nombre de candidats présentés) a connu une remarquable stabilité depuis le début du siècle, de l’ordre de 60 %. Le nombre de candidats était cependant sans commune mesure avec la réalité actuelle. Forcément, comparer des taux ne rime absolument à rien !
Les taux de réussite des années d’avant la guerre mondiale – et donc les taux d’échec – étaient considérés comme « normaux ». La réussite distinguait le mérite et donc il fallait qu’il y ait des échecs pour justifier la qualité de la performance de ceux qui avaient passé l’obstacle. L’égalité républicaine n’était pas encore l’égalité des chances individuelles, mais l’égalité des citoyens face aux institutions de la République. Ce n’est plus la mission de l’école qui se trouve minimisée et minoritaire au cœur de processus très inégalitaires d’apprentissages.
Le système républicain se devait d’offrir les mêmes prestations, les mêmes services à tous (c’est la mission aujourd’hui disparue du service public à la française). Que, dès lors, certains puissent se réaliser mieux que d’autres par ces institutions, était affaire de responsabilité individuelle et non collective ; c’est le sens même de l’élitisme républicain. Nous sommes en une période où tout échec n’est jamais individuel, mais la résultante d’une insuffisance collective due à l’État républicain ! La mutation intervient au creux des années 60, quand les élèves dans des classes supérieures à 35 fréquentent leur établissement du premier degré majoritairement à partir de 5 ans et pour 30 heures hebdomadaires. A partir de ce moment là, le système scolaire bascule. Il va s’interroger sur lui-même, s’autodétruire, se regarder le nombril et se pencher chaque années sur la validité et la pertinence de ses objectifs, sur sa capacité à les atteindre, bref sur sa propre responsabilité dans l’échec d’une partie de ses élèves.
Au-delà de la responsabilité individuelle, l’accent est mis sur la responsabilité collective de l’institution et donc de la société qui l’a instituée. On se met alors en quête des causes et des solutions : refonte incessante des programmes, diminution des effectifs d’enseignants, rétrécissement du temps de travail, modification des cycles ou des formalités d’accessibilité au niveau supérieur, création de multiples diplômes… bref disparition progressive de la notion de « réussite scolaire » qui est inexorablement remplacé par celle « d’échec scolaire » responsable de « l’échec social ! ». On ne cesse plus, durant un demi-siècle, de faire supprimer, ajouter, rénover, démocratiser, évaluer… sans jamais aborder une seule fois les causes profondes de la situation. En fait, la société française dans son ensemble, en échec depuis un demi-siècle, va tripoter les « programmes », va triturer les « rythmes scolaires », va supprimer la vraie formation professionnelle (et surtout pas universitaire!) de ses enseignants, va étiqueter différemment les enseignants, va accuser, vilipender mais ne va jamais rien régler sur le fond : quelle place veut-on donner au savoir institutionnel dans un monde des apprentissages sauvages ou instinctifs. En une journée, où il passera désormais 5h 50 dans une classe face à un(e) professeur(e), un enfant du Cours préparatoire engrange en France, en moyenne 2 heures de télévision et environ 1 heure supplémentaire médiatique face à un autre écran, plusieurs minutes face à de la publicité extérieure diversifiée. Aucune activité d’acquisition exigeante du savoir, mais une situation confortable passive durant ces 3 ou 4 heures quotidiennes qui range l’école à l’arrière-plan. Les conséquences sur le comportement est irréfutable, et rend le seul débat qui compte : quelle pédagogie utiliser pour adapter l’école aux enfants et pour éviter de faire entrer de force les enfants dans une école inadaptée à ce contexte ! Or, de quoi débat-on dans les salles des maitres : des effectifs, des programmes, des rythmes, des salaires toutes choses importantes mais beaucoup moins que de la pédagogie !

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Cet article a 3 commentaires

  1. Claude MEFIANT

    Toute société cherchant à se reproduire à travers son école, une société pourrie ne peut produire qu’une école pourrie et les nouveaux rythmes n’y pourront rien changer.

  2. DESCAZEAUX

    Un discours lucide et réaliste…
    Je comprend mieux pourquoi j’ai tant plaisir à vous lire !

    Notre société est en faillite à tous niveaux …

    Un directeur d’école primaire un jour nous a dit lors d’une réunion de début d’année : les bons élèves, nous ferons tout pour qu’ils réussissent, les moyens, on essaiera d’en sauver quelques uns , les mauvais … on ne peut rien pour eux…
    Tout était dit…

  3. facon jean françois

    bonjour,
    et merci pour cette analyse lucide qui pose le vrai problème de la pédagogie et de la place de l’enseignant médiateur du savoir à transmettre.
    La pédagogie découverte lors d’un accident professionnel, en fait le résultat d’une restructuration imposée. Un métier formidable où celui qui apprend le plus c’est le formateur.
    Apprendre quelle plus belle chose pour un autodidacte! Apprendre sur soi-même et surtout apprendre des autres, en faisant le pari qu’à chaque « prestation » celui qui semble le moins au fait du sujet va nous en apprendre sur le domaine que l’on prépare depuis (si) longtemps.
    Une grande école de modestie ou le savoir écouter l’autre et l’envie de faire vivre le groupe autour de l’intention : « ensemble nous allons TOUS progresser ». Évaluer le transfert des différents savoirs en ayant toujours présent à l’idée que l’échec de l’apprenant c’est aussi l’erreur « pédagogique » du formateur. Expertiser les résultats de l’évaluation pour déterminer ce qui n’a pas fonctionné et se remettre en cause.
    Enseigner aux adultes c’est remettre en permanence sur le gril sa propre image et son statut « social ».
    Enseigner aux adultes, un exercice que je suggère aux enseignants des classes primaires et secondaires, une vraie chance de partager d’égal à égal les connaissances.
    Pour revenir à vos observations, l’effet social du « zapping » permanent des élèves et l’indiscipline de certains coûte très cher en temps de régulation. Le temps sacrifié à la régulation ( maintien de la discipline des individus et du collectif) ne peut que faire défaut au temps effectif d’enseignement. J’ajoute que passer la majeure partie de son temps à faire de la régulation est épuisant ( le mot est faible!!) physiquement et moralement pour l’enseignant et pour les apprenants.

    Salutations

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