Lorsque le soir, à l’insu de mes parents, je dévorais des livres d’aventures empruntés à la seule bibliothèque de Créon, cachée au fond du magasin de la famille Peytou, spécialiste de la flanelle pour hommes frileux, j’avais en tête des voyages extraordinaires. J’ai parcouru des dizaines de milliers de kilomètres par la magie des mots et j’ai ainsi, enfouies dans mon imaginaire des villes et des lieux exceptionnels que je rêve encore de découvrir. Il y avait Valparaiso. J’ai eu l’immense bonheur de parcourir ses quais et de grimper sur le flanc de la cordillère, couvert de maisons colorées, surplombant la rade où j’ai toujours imaginé les voiliers des romans épiques. Pour avoir lu les ouvrages de René Caillé, protégés par du papier kraft et dotés d’une étiquette où une main experte avait, avec pleins et déliés, minutieusement posé sur une étiquette encadrée de bleu, le titre qui contenait le nom magique « Tombouctou ». Un jour, au hasard d’un vide-grenier, j’ai retrouvé exactement cette édition, et je me suis empressé d’acquérir le précieux ouvrage, sous les yeux ébahis de la dame qui l’avait exhumé d’un grenier poussiéreux. Ce fut mon périple préféré vers ce que j’imaginais comme un havre de paix au milieu d’un océan aux vagues de sables.
Ce nom réveille donc en moi ces souvenirs exceptionnels qui émergent des enfances des dévoreurs de livres interdits ou réputés non adaptés à leur âge. Tombouctou… J’étais fier, immensément fier de connaître Tombouctou, de parcourir Tombouctou, de vivre à Tombouctou et je le reste, alors que je n’aurai probablement jamais l’occasion de m’y rendre. Les méharistes et leur « vaisseau du désert », les caravaniers aux pas lents et parcimonieux, les Touaregs dont les razzia furtives terrorisaient les oasis… Le sel gris transporté en plaques, les dattes cueillies par des acrobates aux pieds agiles, l’eau claire des puits versée dans les abreuvoirs, les norias animées par des ânes non-bâtés et ces ribambelles d’enfants qui accompagnaient l’arrivée des visiteurs. J’ai longtemps imaginé que je deviendrais un « Albert Londres » (n’y voyez aucune vanité mais du respect) parcourant des mondes ingrats ou des cités interdites. « Grand reporter », telle fut ma vocation après la lecture de chacun des ouvrages que je dénichais sur les étagères les moins fréquentées dans la « Bibliothèque pour tous » alimentée par la paroisse ! « Croc blanc », « Moby Dick », « Michel Strogoff », « Le roman d’un Spahi », « Henry de Bournazel, le cavalier rouge », « Seul à travers l’Atlantique » ou « L’expédition de Kon Tiki » ou « Naufragé volontaire »… m’ont permis de sillonner le monde, mais jamais je ne me suis senti aussi bien qu’à Tombouctou, dont le nom était magique, irréel, exceptionnel.
Souvent je cherchais sur une carte d’Afrique contenue dans le seul petit Larousse de la maison, le petit point perdu au milieu de l’immensité saharienne, identifiant cette cité où la vie ne pouvait qu’abriter les solitudes. Déjà étouffée par l’ensablement constant, la « perle du désert » a bel et bien failli mourir étranglée par la bêtise et l’ignorance de ceux qui oublient la raison au profit de la croyance aveugle dans des Dieux alibis. Rien de pire pour une ville qui symbolise justement exactement le contraire. Berceau de cultures séculaires, temple des écrits millénaires, sauvés de la cupidité des hommes par la volonté de familles lettrées, fières de leur patrimoine, Tombouctou a été saccagée par des incultes fanatisés. Terrible retournement de l’Histoire.
Les blessures constatées risquent bien d’être fatales à ce carrefour des civilisations. Comme ceux qui ne veulent surtout pas détruire l’immense trésor de leurs rêves enfantins, je n’imagine pas que ces monuments de terre, dont le désert venait lécher les bases, aient pu être rasés par l’absurde application de principes religieux d’un autre âge ! Tombouctou restera toujours identique aux photos grises contenues dans les ouvrages de la première moitié du XXème siècle… Les militaires occidentaux et africains y sont revenus triomphalement, quand René Caillé y était entré secrètement, déguisé en lettré musulman. Il avait d’abord rejoint un groupe de Maures et, en un an, il s’était imprégné de leurs coutumes ainsi que de quelques rudiments de langue arabe pour pouvoir déchiffrer le Coran. Un an après son départ du Sénégal, il a le bonheur de toucher au but. Bonheur immédiatement terni par la réalité. C’était donc cela, Tombouctou ? Une ville africaine assoupie entre le fleuve et le désert. Aucune trace des richesses espérées (toits en or, dallages…) ni d’une quelconque effervescence intellectuelle et religieuse…
Après deux semaines durant lesquelles il accumule des notes entre les pages de son Coran, René Caillé prend le chemin du retour avec une caravane d’esclaves qui remonte vers le Maroc, dans des conditions plus dures que jamais. Il était entré et sorti du mystère…Il avait vu Tombouctou et pouvait mourrir plus tard célèbre en Charentes. Tous les mythes finissent ainsi !
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La sonorité particulière du nom de la cité mythique chantait aussi à mes oreilles d’enfant. La réalité découverte, sur place, il y a quelques années était encore au dessus.Point de rupture de charge entre le dromadaire du désert et la pinasse du fleuve Niger, Tombouctou est un lieu de rencontres, d’échanges, de débat et de culture. Logique qu’elle soit devenue un centre universitaire, culturel et religieux. La preuve c’est que les fondamentalistes ont voulu la détruire.
Avant de brûler, les manuscrits anciens ont-ils eut le temps d’être tous dupliqués. Le Nord y a-t-il suffisamment investi de moyens?
Le monde est il prêt à enrayer l’avancée du désert qui transforme le port fluvial en dune?
Sommes-nous capables d’aider les Maliens à reconstruire un état et une démocratie? (Mais ne vaudrait-il pas mieux qu’ils y arrivent sans nous,)
superbe
Bonjour,
L’espoir renait comme le jour se lève après une longue trop longue nuit.
Dans un communiqué publié le 27 janvier 2013 à Nouakchott, les principales organisations Mauritaniennes de défense des droits de l’homme se prononcent en faveur de l’intervention de l’armée française au Nord Mali.
intitulé : Appel à la solidarité des mauritaniens avec les peuples du Mali.
http://www.cridem.org/C_Info.php?article=639062
et il s’achève sur:
– Invitons les mauritaniens, à se réapproprier les outils de l’authenticité culturelle – poésie, chants, danses, folklore, habillement traditionnel – comme contre-culture de la libération, en réponse à la dissémination du cimetière salafiste sur la surface de la terre.
Que dire de plus, la poésie arme de destruction massive de l’inculture, les chants les danses pour illuminer les cœurs et les esprits, le folklore et les habits traditionnels comme drapeau individuel de la libération. Un pacifisme militant et offensif face à l’obscurantisme des salafistes, je leur tire respectueusement mon chapeau.
Bonne journée
Ce qui m’a paru le plus emblématique dans cette libération de Tombouctou, c’est l’image de ces femmes, retirant avec joie et soulagement leur voile, symbole de la Liberté reconquise.
Nous avons tous l’espoir que la raison et le bon sens de ce peuple triompheront.