L'impitoyable engrenage des ambitions

Les engrenages cuivrés des horloges installées dans les palais gouvernementaux constituent le lien symbolique entre les séquences conduisant Robert Boulin vers un destin tragique. L’inexorable marche des roues dentées complexes d’un monde impitoyable avec ceux qui, d’une manière ou d’une autre, entraveraient la marche temporelle vers le pouvoir présidentiel des hommes qui le convoitent, traverse le film « Crime d’État ». Elle broie le temps et écrase de manière froide celui qui tente d’enrayer son cours. Le mécanisme mis à nu par un scénario minuté, précis, laisse pantois à la sortie de cet œuvre dont le réalisateur affiche clairement qu’elle repose sur un « parti pris », certes réputé fictif mais tellement minutieux qu’il en devient oppressant, prégnant et que l’on a beaucoup de mal à digérer un intense malaise. L’issue fatale connue de toutes et de tous, suggérée par de sombres images de tabassage dignes des pires polars n’a aucune importance à l’égard du mécanisme qui y conduit.
Avec sobriété et une précision d’horloger, Roger Aknine démonte un processus guidé par un seul but : maintenir coute que coute la Droite affairiste, corrompue, réfugiée par simple opportunisme derrière une étiquette gaulliste justifiant tous les moyens pour parvenir à ses fins. On reste pantois que le service public d’une télévision dédiée à la gloire de ses maîtres politiques se soit lancée dans un film que tout spectateur connaissant tant soit peu le milieu, reçoit comme un coup de poing à sa foi dans la République. Et croire que cette époque là est révolue relève de la crédulité absolue. C’est toute la force de « Crime d’état » que de dépasser justement le cas de Robert Boulin pour imaginer que, chaque jour, se trament des complots de ce type, mettant en œuvre des réseaux souterrains, obnubilés par leur seule réussite personnelle ou, plus encore, pour entraver celle des autres. La mécanique est aussi éternelle que celle des horloges posées sur les cheminées des lieux de pouvoir… Modernes ou anciennes, complexes ou modestes, utiles ou décoratives, elles avalent le temps, sans trop se soucier des gens qui doivent le traverser. Devenu « encombrant » l’ex-Maire de Libourne, présenté comme l’adversaire forcené de Chirac, finira par être happé par un engrenage qu’il pensait maîtriser, car il avait lui-même contribué à le mettre en place. Car c’est sûrement la faiblesse du scénario de ce « crime d’État », présentant un Robert Boulin social, courageux, immaculé, étranger aux agissements de ce Service d’Action Civique (SAC), dont on sait fort bien qu’il avait fortement participé en Libournais ou nationalement à ses campagnes électorales. La crédibilité de l’œuvre en est amoindrie, car elle finit par tourner au manichéisme partisan. François Berléand campe splendidement un personnage immaculé, social et libéral, partisan de Giscard qui ne viendra pourtant pas à ses obsèques, tourmenté par la fameuse affaire du terrain de Ramatuelle, naïf face aux agissements d’un ami peu recommandable et dont il ne pouvait véritablement ignorer le parcours. Le « parti pris » permet de passer sur ce portrait d’un « chevalier blanc » du gaullisme, dénué lui-même de toute ambition et plus encore ignorant un système quasiment mafieux pour se concentrer davantage sur le camp d’en face où derrière les personnes sur scène, se cache un Jacques Chirac strictement présent via des images d’archives. La subtilité de ce « Crime d’État », c’est de rassembler, de manière visible et ostensible, tous les protagonistes morts de cette machination : les Peyrefitte, Foccart, Barre, Debizet…alors que ceux qui savent tout, les Pasqua, Chirac, Giscard demeurent malgré tout en arrière-plan. Les premiers auront du mal à contester la validité du scénario macabre, alors que les autres ne soulageront probablement jamais leur conscience.
Il reste à comprendre les raisons ayant poussé France 3 à accepter un tel pavé dans les étangs de Holande (sic) au cœur de la forêt de Rambouillet, partiellement réservée justement aux chasses présidentielles. Bien évidemment, ce film, tourné il y a plusieurs mois, n’a pu voir le jour sans que l’Élysée sarkoziste ait donné son feu vert…et sa diffusion sur le service public n’a pu être programmée sans l’accord du même lieu, occupé par un autre président. En fait, ce « parti pris » d’Aknine et de son producteur auraient permis à Sarkozy de couler définitivement les lambeaux actuels du clan chiraquien, en les présentant comme les héritiers de cette époque où on pouvait assassiner un Ministre de la République…Ce n’est pas pour rien que, dans la salle de l’avant-première, on trouvait les ex-giscardiens Barrot, Fourcade, Santini et consorts mais peu de spectateurs de l’UMP canal historique, hormis une sénatrice girondine égarée et effarée. C’est la preuve, dans le fond, que les temps n’ont guère changé, et qu’à tout moment dans la vie politique, on peut être transformé par d’habiles montages secrets en victime, dans l’intérêt de ceux qui tentent, soit de préserver leur pouvoir, soit de la conquérir. L’ignorer en faisant le premier pas dans le marigot, c’est simplement se préparer à de sévères désillusions où à mourir donné en pâture aux crocodiles installés. Robert Boulin est mort dans un banal étang vaseux et peu profond. En regardant « crime d’état » on a l’intime conviction qu’il n’y est pas arrivé par hasard…mais ce ne sera une surprise que pour celles et ceux qui se contentent de faire confiance aux apparences !

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Cette publication a un commentaire

  1. André DELPONT

    Que croire alors ? Le reportage de ce soir qui explique un suicide possible ou le film de demain soir qu’on annonce favorable à la position de la famille Boulin?

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