Texte republié pour Manolita !
L’école publique du Bourg à Sadirac, désormais âgée de 60 ans, n’avait pas de cloche. La fin des classes ne reposait que sur la volonté de Monsieur Meynier de libérer ses ouailles. Et encore ne sortaient que celles et ceux qui n’étaient pas inscrits « à l’étude » pour préparer une échéance jugée utile à leur avenir. Après une dictée supplémentaire et un « rab » de calcul mental, il était temps de prendre la direction de la maison. Une sorte de sprint car, malgré les plâtrées de « fayots-saucisses », de « ventrêche-lentilles » ou de « macaronis tomate », le ventre sonnait creux. A l’arrivée il y avait deux propositions pour combler cette faim de galapiat. L’une tenait à l’histoire rurale de la famille et s’appelait la « frotte à l’ail ». Elle supposait un estomac solide et; plus encore, un appétit peu regardant sur les conséquences olfactives du mets préparé par mon grand-père. Il frottait minutieusement sur une large tartine de pain frais une gousse d’ail avant de verser un filet d’huile, et il attendait qu’au passage nous prenions le temps de les dévorer. C’était assez rare comme « quatre heures » car bien évidemment le mot « goûter » n’était pas encore entré dans nos repères, mais je ne renonçais pas à ce privilège modeste qui me permettait de démontrer ma capacité de me glisser dans le monde des adultes. L’autre promesse avait une toute autre allure et préfigurait ma prédilection ultérieure pour l’autogestion.
En arrivant dans la cuisine familiale il fallait aller vite se tailler une tranche de la miche du jour, se diriger vers une porte horizontale d’un buffet du meilleur jaune pétard pour y prendre, sous cloche, une masse sculpturale de beurre. Une bonne couche sur le pain ne suffisait pas à mon bonheur de « riche », car il restait discrètement à améliorer l’ordinaire. La boîte de Banania située dans la porte verticale constituait la clé de la gastronomie. En saupoudrant la tartine avec du… chocolat j’atteignais le sommet de la gastronomie. Le guide Michelin, dont j’ignorais bien entendu l’existence, n’aurait jamais envisagé qu’une tranche de « miche de quatre » pouvait avoir un telle attractivité.
Mieux, le premier arrivé pouvait atteindre le nirvana du « quatre heures » pris à six heures, en détachant avec une cuillère à soupe l’épaisse crème du lait bouilli pour remplacer le beurre, avant de racler dessus une tablette de chocolat noir avec la lame d’un couteau. C’était un sujet permanent de dispute avec mon frère, pour savoir quelle part serait attribuable à l’un ou à l’autre. Le partage relevait presque du débat autour du contenu d’un coffret de pierres précieuses découvert dans un mur, et devant être partagé entre des découvreurs de trésor.
Le chocolat constituait le diamant brut de la caverne d’Ali Baba. Il était acheté parcimonieusement au cul du camion Citroën frappé de la marque « L’Aquitaine », lors de la tournée hebdomadaire. La halte devant le portail de la mairie où nous habitions relevait du conte de fées. Il y avait sur les étagères les tentations du monde. Et, beaucoup plus que les bonbons, les plaques de Poulain, de Tobler, de Louit, de Cémoi relevaient du désir inassouvi. Elles contenaient toutes des images à coller, des timbres à collectionner sur des albums interminables et nous attendions leur découverte avec une impatience non contenue. Ma mère, soumise à la pression des affamés de cacao, finissait ainsi toujours par céder et par acquérir la moins chère de ces plaques. Nous avions ensuite droit à un ou deux carrés, selon les circonstances durant la semaine. Dures, croquantes, légèrement amères, les tablettes appartenaient aux plaisirs incomparables du « goûter ». Elles se dégustaient avec l’inévitable tartine beurrée.
Le chocolat appartenait aux produits les plus convoités à Noël, dans la mesure où il n’entrait qu’après des négociations incertaines dans la partie la plus haute du buffet jaune. Nous recevions parfois une « bouchée » Suchard enveloppée dans un magnifique papier doré. Un bonheur parfait. J’en ai conservé un amour particulier des cacaos les plus denses. Le lait dénature totalement le caractère rebelle, envahissant et robuste de ce chocolat dévastateur en bouche. Le produit ne souffre pas la médiocrité ou d’être édulcoré comme son alter ego le café! Tous deux réunis dans un palais redonne l’exotisme à la vie.
Je ne résiste jamais à fermer les yeux et à me laisser enchaîner par une « croquée » dans une tablette au goût à la fois dynamique et subjuguant. Rien ne vaut un carré fin, fort, sec pour relever un moral chancelant. Le seul problème, c’est que le résultat ne souffre pas la médiocrité et qu’il y a, en cette période de Noël, tellement de contre façons éhontées que la réussite est rarement au rendez-vous. Voici donc quelques conseils pour éviter une désillusion d’autant plus forte qu’elle succédera à une passion.
Pour faire l’amour avec une tablette, il faut absolument avoir des principes. Il est ainsi fortement recommandé d’être au calme, détendu, prêt et concentré, dans un endroit clair. Il faut être personnellement en « état psychologique », c’est-à-dire à jeun d’au moins 2 heures, et si possible ressentir la faim. Le chocolat doit lui aussi être à sa température idéale de dégustation (20° à 25°C) pour qu’il délivre tous ses messages. En premier lieu, il vous faudra découvrir les saveurs de base du chocolat qui sont : l’amertume, le sucré, l’astringence et l’acidité (le moins possible).
Le cacao doit être amer sans âcreté, cette amertume est noble. L’acidité imperceptible et la saveur sucrée ne doivent être présentes que pour « servir » les arômes. Aucune autre entrave ne peut dominer le lien entre la tablette et votre palais. Un excès de sucre est contraire au développement des arômes. Les parfums et les arômes se développent en bouche plus ou moins rapidement. On peut aussi parler d’attaque, d’épanouissement, de final et de longueur en bouche. Les arômes et parfums les plus souvent rencontrés sont pour le chocolat plein : cacao, ananas, banane, passion, vanille, cannelle, ainsi qu’un ensemble exotique presque indéfinissable. Quant au « grain » du chocolat, il ne doit absolument pas se faire sentir sur la langue, c’est là toute la finesse du chocolat. C’est un élément décisif dans le processus de fabrication et le gage d’un long travail de la pâte d’origine. En fait il faut être très attentif à son partenaire « amoureux » pour réussir à s’envoler une fraction de seconde vers un autre monde plein de soleil, de parfum, d’aisance, de volupté, de tentations. On succombe aux charmes d’un chocolat.
C’est exact qu’en ces temps déprimants, être chocolat ce n’est pas nécessairement un signe de faiblesse. Inscrivez simplement votre bonheur sur les tablettes en mordant à belles dents dans la vie en ce soir de réveillon !
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Moi qui suis un gamin des villes j’ai les mêmes odeurs de souvenirs de ce gamin de Sadirac. Merci de rester dans cette réalité que nous sommes de moins en moins à avoir connu. Bonnes fêtes de fin d’année à tous.
Merci pour cette republication !
J’ose vous dire que je partage vos critères de dégustation.
Et en retour, permettez-moi de vous souhaiter un bon Noël en compagnie de tous ceux que vous chérissez.
Amitiés